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Carrière

La drague au bureau : bénéfique… Mais pas tout le temps

Un compliment pour un nouveau tailleur, un service rendu, des blagues régulières…, la drague en entreprise revêt bien des formes. La législation
du travail protège contre le harcèlement, mais encore faut-il que la victime réagisse.

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La drague au bureau 2012 03 20

Chaque matin, Hamid, 36 ans, ne manque pas de lancer des compliments à sa collègue de bureau. «J’aime taquiner mes collègues sur leur manière de s’habiller, leur coiffure ou leur sortie pendant le week-end. A force de le faire, j’ai ressenti une certaine proximité avec quelques-unes. Cela me permet de communiquer plus facilement avec elles quand il y a des problèmes professionnels. Ceci dit, je ne vais pas plus loin. Si je veux entretenir des relations plus poussées, je préfère le faire ailleurs», explique-t-il. Ahmed Al Motamassik, sociologue, abonde dans le même sens. «Il est certain que dans une relation de travail, les individus construisent un vécu qui peut être basé sur la dimension affective. J’entends par là qu’une relation purement professionnelle n’existe pas dans la mesure où une affectivité se crée. On observe soit une attirance, soit un rejet pour la personne», souligne-t-il. En somme, l’entreprise étant une émanation de la société, ce sont les mêmes rapports humains qui s’y nouent. D’ailleurs, il est maintenant fréquent de voir des personnes y trouver un conjoint. Un phénomène d’autant plus compréhensible qu’on passe une bonne partie de son temps au travail. En soi, la drague, ou la séduction, terme plus approprié, selon Ahmed Al Motamassik, n’est pas répréhensible. «Je pense que le phénomène de la drague est courant et ne prête pas à conséquence, tant que l’on respecte l’autre. On peut blaguer si chacun fixe ses limites et respecte celles des autres», ajoute-t-il.
Elle ne peut susciter des problèmes que quand l’autre partie refuse de jouer le jeu où quand les propos sont suggestifs ou blessants. La drague s’assimile alors à du harcèlement. Cette situation n’est pas rare, aussi bien entre collègues qu’entre supérieurs hiérarchiques et collaborateurs.
«Un collègue m’attendait tous les matins devant la machine à café, se proposait toujours pour aller me chercher un sandwich à midi et n’arrêtait pas de me faire des compliments pour un rien. J’ai fini par accepter son invitation à un dîner au cours duquel je lui ai bien signifié que je ne concevais que des relations amicales avec lui. Il l’a mal pris et est allé jusqu’à tenter de salir ma réputation dans l’entreprise», explique une chargée de projet dans une agence de communication. En général, c’est quand le harceleur sent que l’interlocutrice est vulnérable qu’on en arrive à une telle situation. Selon un consultant, le personnel de support ou qui occupe des postes d’exécution est le plus exposé. Mais il se peut aussi que des salariées d’un niveau plus élevé soient victimes de pressions. La question culturelle ne peut être éludée pour expliquer ces écarts de comportement. En effet, dans notre environnement l’homme se croit souvent tout permis et ne conçoit ses rapports avec la femme que dans la soumission. Draguer avec insistance lui est permis parce que l’autre sexe ne doit pas s’aventurer dans l’espace public sauf à ses risques et périls.

Un code de conduite pour éviter les abus

La législation du travail protège certes contre le harcèlement sexuel, mais une victime qui craint pour sa place gardera toujours le silence tant qu’elle peut supporter. Quand c’est possible, «il ne faut pas hésiter, dès les premiers signaux d’alerte, à prévenir l’inspection et la médecine du travail, que l’on soit victime ou témoin. Cela fera des traces pour contre-attaquer par la suite», conseille M. Motamassik.
Dans tous les cas, il est essentiel pour toute entreprise d’adopter une démarche préventive. Dans les grandes entreprises, la situation n’est pas aussi compliquée. La plupart des grands groupes inscrivent ce sujet dans leurs chartes éthiques, mais dans un cadre plus large du harcèlement moral. Le code de conduite de certains groupes, par exemple, indique que l’entreprise «s’engage à maintenir un environnement de travail multiculturel, exempt de toute forme de discrimination, harcèlement et représailles». Mais le volet sexuel n’est pas explicitement évoqué.
Dans d’autres, on n’hésite pas, en revanche, à appeler les choses par leur nom : l’amour avoué y est interdit. «Par exemple, il est formellement interdit d’avoir des couples formés au sein de notre structure. L’un des membres est obligé de chercher du boulot ailleurs s’ils veulent vraiment continuer leur vie», souligne le cadre d’une grande entreprise privée.
D’autres vont même jusqu’à refuser de recruter des personnes si elles ont des liens personnels avec des salariés. C’est dire que si les rapports affectifs sont acceptés, ils n’en restent pas moins redoutés pour leurs effets pervers. Alors quand les plaisanteries risquent de mener à des situations embarrassantes, il faut savoir remettre les choses en ordre.