Carrière
Hafida El Mesbahi : «L’individu a besoin de se reconvertir pour se reconstruire»
• La reconversion professionnelle involontaire ou subie est un bouleversement économique, social et aussi identitaire.
• Elle est souvent faite dans le cadre des accompagnements des entreprises afin d’accompagner les collaborateurs souhaitant se convertir au sein de l’organisation.
Les crises économiques sont souvent des moments de remise en question personnelle. Car la motivation d’une reconversion se nourrit aussi bien d’un projet que d’une peur pour notre situation actuelle. Pour Hafida El Mesbahi, coach consultante professionnelle – dirigeante de AZ.Partenaires, une reconversion professionnelle ne doit pas être subie. En effet, la meilleure attitude qui offre davantage de chance de réussite consiste à être acteur de sa propre carrière.
• Avec la crise actuelle, beaucoup de métiers se sont trouvés malmenés, surtout dans certains secteurs comme le tourisme, la restauration, les transports et bien d’autres. En tant que coach, êtes-vous amenée à travailler avec les gens sur leur reconversion ? Comment ?
Dans le cadre de mon exercice de coach professionnel spécialisée en évolution professionnelle et gestion de carrières, depuis quelques années et particulièrement avec l’arrivée de la nouvelle génération, je rencontre des demandes spécifiques de reconversion, essentiellement des reconversions volontaires. J’avoue que particulièrement ce processus de coaching est timidement demandé au Maroc, comparé à la France, où j’ai plus de demandes dans ce sens, et par tous les âges et toutes les catégories sociales. Au Maroc, et à ce jour, la demande d’accompagnement à la reconversion est souvent faite dans le cadre des accompagnements des entreprises afin d’accompagner les collaborateurs souhaitant se convertir au sein de l’organisation. Aussi, quelques demandes limitées aux cadres et aux cadres supérieures, et spécifiquement dans une phase de la vie professionnelle que nous qualifions de la phase de transition d’un secteur à l’autre. Souvent, ces accompagnements sont à caractère volontaire.
n Qu’en est-il avec cette crise sanitaire ?
Avec l’arrivée de la crise sanitaire qui frappe de plein fouet l’emploi dans des secteurs spécifiques, où la reconversion n’était pas une pratique culturelle, nous assistons, à cause de l’arrêt complet de l’activité du secteur, à une vague de demandes de reconversion à caractère forcé (involontaire).
Les individus touchés se trouvent face à une réalité dictée par le contexte sanitaire et économique où il n’y a plus d’emplois dans leur domaine d’expertise. Ils se trouvent obligés de changer complètement de secteur et de s’orienter vers des nouveaux métiers. Il s’agit bien d’une reconversion, mais non volontaire.
La reconversion professionnelle involontaire ou subie est un bouleversement économique, social et aussi identitaire, elle branle les repères de l’individu, remet en cause son quotidien et marque une rupture dans son parcours professionnel et dans sa vie sociale. Cette rupture déclenche un sentiment de perte de rôle, de repères et d’identité professionnelle, surtout pour les personnes investies dans leur travail. L’individu sait qu’il a besoin de se convertir pour se reconstruire professionnellement et personnellement, mais ne sait ni comment, ni quoi faire.
• Changer de métier est souvent un passage délicat. Généralement, quelle est l’attitude observée chez les gens en phase de transition ?
Cette phase est marquée souvent par la peur du vide, un stress important et une pression de l’entourage social. En ces moments, un inconfort émotionnel amplifie les doutes et l’incertitude de l’avenir et empêche la réflexion dans la recherche du futur professionnel. S’ajoute à ce sentiment le manque de moyens qui accentue le sentiment de perte. C’est à ce moment-là que le coach joue un rôle important en accompagnant l’individu à sortir d’abord de cette phase critique pour éviter le repli sur soi Le coaching trouve tout son sens et toute sa puissance à permettre à l’individu de trouver l’énergie, la motivation et les ressources en soi pour surpasser cet inconfort et tracer un cheminement structuré et le plus sûr possible pour une reconversion en accord avec son identité, ses valeurs, ses besoins, mais également avec ses appréhensions. Le coach travaille après, et avant d’arriver à la décision de reconversion à accompagner l’individu dans une exploration identitaire, à faire un état des lieux, qui met en valeur aussi bien les compétences techniques de l’individu que les ressources intrinsèques, les talents et le potentiel dans le but de renforcer son sentiment de compétences et de capacité. Dans ce processus, qui se veut un travail structuré qui s’appuie sur une technicité pointue et des outils innovants, le travail du coach est soldé par l’atteinte des objectifs professionnels et/ou personnels de son client en toute sécurité en favorisant une maîtrise des perspectives de carrière et une capacité de reconduire en toute autonomie ses évolutions professionnelles futures.
• Faut-il un déclic pour cela ?
Toujours, une reconversion professionnelle se déclenche suite à un déclic, souvent ce déclic est lié à une perte de sens dans ce que nous faisons, le sens dans ses 3 dimensions: perte de la direction et de vision dans notre travail, perte d’écho et de résonance positive en nous et perte de ressenti du plaisir dans ce que nous faisons. Aujourd’hui, l’éloignement et la distanciation des individus de leur environnement professionnel ont provoqué ce déclic. Il mène l’individu à une introspection, à un processus de réflexion identitaire et un questionnement profond sur soi, sur ses choix d’orientation professionnelle précédents et aussi sur son avenir professionnel. C’est un passage obligé qui s’accompagne par une ouverture mentale aux possibilités de reconversion, cette fois-ci volontaire. Un processus culturellement nouveau au Maroc. Cette ouverture mentale, soutenue par le nombre important de webinaires et interventions d’experts sur le sujet de la reconversion et le sens du travail a fait découvrir aux personnes que la reconversion professionnelle est possible et accessible pour tous.
• Cette reconversion peut-elle être beaucoup plus volontaire qu’imposée par la crise ?
Avec la crise, nous assistons à un changement de paradigmes et de système de pensée vis-à-vis du monde de travail en général et vis-à-vis de la stabilité professionnelle en particulier. Nous acceptons de plus en plus les remises en question porteuses d’options nouvelles et nous croyons fortement à ce que la crise peut être une opportunité précieuse de transition vers un monde professionnel meilleur. Nous nous autorisons à imaginer notre avenir professionnel en toute liberté où le mot d’ordre est le SENS. Collaborateurs et entreprises, chacun dans son périmètre d’action, a gagné avec ce changement, en agilité face à la complexité de l’environnement économique, social et culturel. Et la reconversion professionnelle, fait partie de cette agilité, à l’intérieur de l’organisation ou en projet individuel, car elle nous invite à un monde professionnel prédisposé à la reconversion et à la transformation des individus et des organisations à tout moment.