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Carrière

Gestion des risques : Entretien avec Omar Benaini, Consultant associé au sein du cabinet LMS ORH

Les signaux d’alerte peuvent être de natures très variées : augmentation subite de l’absentéisme, turnover massif, micro-conflits récurrents, prolifération des rumeurs.

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Mis à jour le

Omar Benaini 2015 07 15

Conflit social, chute des ventes, endettement, changement de système organisationnel…, les entreprises sont souvent exposées à des situations parfois compliquées pouvant conduire à la déstabilisation. Le pire, c’est de les subir. Alors comment décrypter les signaux d’alerte ? Les réponses d’Omar Benaini, consultant associé au sein du cabinet LMS ORH.

Une mauvaise santé financière est généralement un des premiers facteurs sur lequel se focalisent les dirigeants d’entreprise, pouvez-vous en citer d’autres ?

Il est évident que la santé financière est un indicateur implacable des difficultés que rencontre ou pourrait rencontrer une entreprise à court et moyen termes. Une détérioration de la trésorerie, du chiffre d’affaires ou de la rentabilité sont autant de signaux d’alerte qui focalisent au quotidien l’attention des dirigeants. Ces éléments sont la partie émergente des difficultés d’une entreprise. D’autres  signaux faibles peuvent parvenir de sources internes ou externes à condition de disposer des structures pour les détecter.  

Ces signaux peuvent être de natures très variées : augmentation subite de l’absentéisme, turnover brusque et massif, chute d’attractivité en tant qu’employeur, micro-conflits récurrents, prolifération de rumeurs, lettres anonymes, réseaux sociaux hostiles, diffusion en public d’informations confidentielles… A titre d’exemple, l’apparition de tensions interpersonnelles récurrentes entre les membres du comité de direction est en général précurseur d’une crise importante qui pourrait perturber la bonne marche de l’entreprise et affecter son image vis-à-vis de ses parties prenantes. 

Les alertes auxquelles les dirigeants doivent s’intéresser sont donc à géométrie variable et dépendent intimement du contexte de chaque entreprise. Le secteur d’activité,  le profil de la population employée, la qualité et la diversité des parties prenantes, la nature de l’actionnariat sont autant d’éléments qui vont orienter l’attention des dirigeants au-delà du risque financier qui reste l’ultime indicateur. Ce sont ces considérations qui poussent les entreprises à adopter une gestion orientée pilotage des risques pour essayer dans la mesure du possible d’être au-devant des difficultés qui peuvent émerger.

Comment ces problèmes se répercutent-ils sur le quotidien des équipes en général ?

Les difficultés que rencontre une entreprise, quelle que soit sa nature, se propagent inéluctablement et affectent son fonctionnement, de manière générale, et ses équipes, de manière plus spécifique. Ces répercussions peuvent être de deux natures différentes : matérielle ou morale.

Les répercussions matérielles peuvent aller du gel des augmentations de salaires et des primes jusqu’au déploiement de plans sociaux avec réduction des effectifs.

Les répercussions morales sont essentiellement liées à un manque de visibilité et de sentiment d’insécurité. Les équipes seront alors démotivées et la tension au quotidien pourrait engendrer des effets négatifs sur le rendement individuel et collectif des équipes.

En l’absence d’une communication efficace et transparente, les difficultés pourraient se transformer en une crise de confiance où les forces vives de l’entreprise sont occupées à alimenter la rumeur au lieu de s’attaquer aux défis à surmonter.

Souvent, on pointe du doigt le déficit des compétences des dirigeants en matière de gestion, qu’en dites-vous ?

La gestion d’une entreprise répond à des logiques complexes. Les dirigeants sont les dépositaires de la réflexion stratégique et du suivi de sa mise en œuvre. Une stratégie est une alchimie fine qui combine une certaine vision du futur alimentée par des données endogènes et exogènes. Tout le talent d’un dirigeant est de savoir anticiper les risques sur ces deux niveaux et ajuster ses leviers en conséquence.

La nouvelle génération de dirigeants marocains est équipée techniquement pour la gestion d’une entreprise. Ils sont formés dans les grandes écoles d’ingénieurs ou de business, et ont acquis les meilleures pratiques de management. Cependant, diriger une entreprise nécessite, outre le bagage technique, des qualités personnelles particulières. La gestion des entreprises en période de crise requiert des qualités encore plus spécifiques.

 En matière de gestion, le décideur «n’a pas le droit d’être surpris» : l’anticipation est le mot-clé. Mais pour bien anticiper, il ne suffit pas de disposer d’une information de qualité. Encore faut-il savoir l’interpréter et l’exploiter au bon moment.

Comment détecter, dès que possible, qu’une entreprise connaît des difficultés? Quels sont les voyants à surveiller de près ?

Pour repérer les signaux des difficultés, il faut à la fois être attentif, vigilant et savoir les interpréter une fois déclenchés. La détection des signaux faibles est le plus souvent le résultat d’un scanning de l’environnement et ils peuvent être identifiés :

• au travers des réseaux de relations;

• dans les sources accessibles, c’est-à-dire celles qui cumulent un maximum de caractéristiques suivantes: accessibilité, coûts abordables, retour d’expérience, capacité des canaux, richesse de l’information, temporalité, vitesse du message, présence sociale…;

• en variant les sources en fonction des sujets abordés;

• en se focalisant sur le processus de détection plutôt que sur les sources.

Ensuite vient l’étape de l’interprétation. Cette étape est importante car elle définit le niveau de compréhension du signal qui conditionne, lui-même, la décision managériale qui s’en suivra. Donner un sens au signal suppose de le recouper avec d’autres sources d’informations souvent contextuelles. 

Il faut garder la lucidité nécessaire pour détecter les voyants et comprendre leur sens. A titre d’exemple, un fort taux d’absentéisme dans une entreprise pourrait être un indicateur avancé d’un mauvais climat social, généré lui-même par une gestion laxiste ou un mauvais management. Aussi, un carnet de commandes qui se vide pourrait à la fois être une conséquence d’une crise économique qui s’annonce ou d’une dégradation de la qualité des produits d’une entreprise donnée.

 

Souvent, les difficultés conjoncturelles affectent les entreprises, mais ne pensez-vous pas que le problème peut être ailleurs ?

Tout signal négatif n’est pas forcément précurseur d’une difficulté durable. Effectivement, il y a des effets conjoncturels qui miment des crises durables. Comme il peut y avoir des problèmes locaux et isolés qui ne sont que des effets grossis par la loupe d’une anxiété excessive. 

Les difficultés d’une entreprise, selon leur importance, demeurent des événements ordinaires de la vie d’une organisation qu’il faudra gérer selon leur urgence et leur impact.

Pour un cadre qui dirige une équipe, la situation peut s’avérer difficile surtout s’il ne dispose pas assez d’informations pour rassurer ses collaborateurs. Quelle alternative peut-il avoir dans ce contexte ?

Dans un monde idéal, toute entreprise devrait disposer d’un mécanisme de veille et d’une réelle politique de gestion des risques. Ces deux dispositifs permettent d’éclairer la prise de décision et d’anticiper sur les difficultés à venir.

Parfois les cadres dirigeants se retrouvent effectivement en situation de black-out et donc ne disposent pas eux-mêmes d’assez d’éléments pour apporter des réponses claires à leurs collaborateurs.

Rassurer et motiver les équipes passe alors par une réflexion en trois temps :

• neutraliser la rumeur et ses effets négatifs en restant à l’écoute de ses équipes et en développant des messages positifs basés sur le vécu commun ;

• continuer à assurer le bon fonctionnement du travail en maintenant une tension  positive sur les équipes. Ceci leur permettra de combler le vide qui génère de la frustration et laisse place aux idées contre-productives ;

• profiter de la situation pour préparer les performances futures et donner des perspectives à chaque membre de l’équipe. Les temps de crises peuvent constituer des moments privilégiés pour lancer des réformes ou aborder des challenges qui remettront les équipes en mode projet avec de réelles perspectives de réussite.