Carrière
France/USA : profond désaccord
La loi américaine Sarbanes-Oxley impose à certaines entreprises la mise en place de canaux permettant aux salariés de dénoncer des actes frauduleux.
La France s’est opposée à ce système qui ouvre la
porte à la dénonciation sans fondement sur la base de rumeurs ou
sur fond de règlements de compte.
La façon d’appréhender la question de la dénonciation, en France ou dans les pays anglo-saxons, est diamétralement opposée. Autant la France semble allergique à toute dénonciation institutionnalisée, autant cet acte peut être perçu comme civique dans les pays anglo-saxons. Depuis mai, un bras de fer oppose la France aux USA sur cette question, ou plus exactement entre la cnil (Commission nationale de l’informatique et des libertés) et la Commission américaine de régulation des marchés financiers (Securities and exchange commission, SEC). De quoi s’agit-il ?
Secoués par de vastes scandales financiers (Enron, WorldCom…), les Etats-Unis ont récemment mis en place des procédures d’«alerte éthique». Le mot peut prêter à sourire lorsque l’on imagine les dérapages possibles d’une telle loi, mais l’intention initiale était bien celle-ci : moraliser l’entreprise. Il s’agit en fait ni plus ni moins que de la mise en place d’un système organisé de délation professionnelle. La «ligne éthique» fonctionne par téléphone ou par courrier électronique, télécopie ou courrier postal. Chaque employé peut ainsi, anonymement, dénoncer un collègue. Votée en 2002, la loi américaine Sarbanes-Oxley impose ainsi aux groupes faisant appel public à l’épargne aux Etats-Unis d’avoir mis en place, depuis le 1er août, ces procédures dites «whistle blowing» (coup de sifflet). Pour les rédacteurs de la loi, les scandales financiers d’Enron et WorldCom auraient pu être détectés si les cadres au courant des fraudes avaient été protégés (leur silence étant lié, dit-on, à la crainte de perdre leur emploi).
La France met en avant les moyens légaux de contrôle déjà existants
Pour diverses raisons, le Français est très mal à l’aise avec la dénonciation. En bon latin, il se solidarise toujours plus volontiers avec le fraudeur qu’avec le contrôleur, avec le voleur qu’avec la police. Il est aussi hostile à une société de l’ordre moral et profondément marqué par le traumatisme de l’Occupation (dénonciations de résistants, de juifs, de clandestins auprès de la Gestapo ou des autorités de Vichy). Les pays anglo-saxons, dans lesquels peut-être aussi la police est plus respectueuse des libertés individuelles (l’est-elle vraiment ?), tolèrent bien mieux cette pratique.
La cnil a donc refusé, en mai dernier, la création par deux filiales françaises d’entreprises américaines – Mc Donald’s France et la Compagnie européenne d’accumulateurs (CEAC) – d’un système destiné à recueillir les confidences de salariés sur d’éventuelles pratiques contraires aux lois de l’entreprise. Tous les systèmes d’alerte mis en place en France par d’autres entreprises (qui ne se sont d’ailleurs pas toutes signalées à la cnil) ont dû être gelés (BSN Glasspack, Bayer…). Ces dispositifs sont jugés par la cnil disproportionnés et la possibilité de réaliser une «alerte éthique» de façon anonyme ne peut, pour elle, que «renforcer le risque de dénonciation calomnieuse». La cnil précise par ailleurs qu’il existe d’autres moyens prévus par la loi afin de garantir le respect des dispositions légales et des règles fixées par l’entreprise (actions de sensibilisation par l’information et la formation des personnels, rôle d’audit et d’alerte des commissaires aux comptes en matière financière et comptable, saisine de l’inspection du travail ou des juridictions compétentes…).
La cnil cherche à présent un système qui pourrait la satisfaire tout en respectant la loi américaine. Un sursis pour les groupes non en conformité avec Sarbanes-Oxley a été demandé lors d’une rencontre entre un responsable de la cnil et de la SEC (Securities and exchange commission). Ces groupes risquent en effet une radiation de Wall Street. Le gendarme de la Bourse américaine a fixé au 30 octobre la date butoir pour trouver un accord
Systèmes d’«alerte éthique» en chiffres
En 2003, une étude, réalisée par le cabinet Deloitte & Touche auprès de 373 sociétés américaines cotées, donnait une idée du dispositif d’«alerte éthique» aux Etats-Unis. 79,2 % des entreprises interrogées avaient mis en place un système d’alerte sur des sujets éthiques ou de conformité.
Sur ces sociétés disposant d’un système :
33,1 % en avaient confié la gestion à un prestataire extérieur.
90 % disposaient de systèmes permettant d’alerter anonymement ’un suivi de plaintes.
19,2 % offraient une accessibilité de ces systèmes à des tiers (fournisseurs, actionnaires, grand public…)
Votre ordinateur peut vous trahir
Les nouvelles technologies de l’information «fliquent» le salarié dans un nombre croissant d’entreprises. Rien de plus facile désormais que de traquer le temps consacré à autre chose que le travail, filtrer les mails, consulter les sites internet visités. Pourtant, l’outil ne devrait pas servir à autre chose que ce à quoi il est destiné. L’ordinateur
n’a pas pour fonction de moucharder, pas plus que les caméras de surveillance à révéler autre chose que les vols.
La cyber surveillance peut paraître légitime, mais doit aussi obéir à des règles. Les secrets commerciaux, brevets, renseignements stratégiques confidentiels, bases de données clients… sont en effet stockés sur des disques durs ouverts sur le réseau internet et donc exposés aux attaques externes et internes. Selon une étude, 50% des attaques seraient réalisées de l’intérieur des entreprises et plus de 70 % des actes de cyber criminalité proviendraient des salariés. Pourtant, cette cyber surveillance a des limites et des obligations. Le salarié doit avoir connaissance de la mise en place d’une telle surveillance. C’est la première des règles. Les entreprises n’ont pourtant ici aucune obligation à déclarer leur matériel informatique en réseau, ni même à informer les salariés sur la surveillance mise en place. Un flou juridique qui pourrait bien permettre toujours plus d’abus dans les années à venir
