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Carrière

Entreprises, ne tuez pas la créativité !

Le fait de ne pas pouvoir créer est souvent à  l’origine de la démotivation.
La réalisation de soi dans le travail ne doit cependant pas se faire
au détriment des règles prescrites.

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Mis à jour le

Ghita Mseffer Psychologue(*)

Marx s’employait à  associer la question de l’autonomie au travail à  celle de la réalisation des facultés personnelles dans l’acte productif, nous amenant à  considérer l’autonomie sous l’angle du libre épanouissement de la créativité dans l’activité laborieuse.
Jon Elster (philosophe norvégien qui a travaillé sur l’Å“uvre de Marx) nous indique que «l’exploitation est moins importante à  dénoncer que le défaut de réalisation de soi». C’est, au fond, l’absence d’issue aux dispositions créatrices de chaque individu au travail qui est révoltante. Il est juste de rétribuer chacun selon ses contributions, mais une fois cela fait, on a besoin d’arriver à  une complète satisfaction des besoins les plus essentiels de la vie, c’est-à -dire le libre accès à  la réalisation de soi par la création.
Marx considérait la juste rétribution des contributions selon la réalisation du principe «chacun selon ses besoins» et il plaçait au premier rang le besoin de créer. Il aspirait à  une réelle reconnaissance des personnes singulières et de leurs dispositions créatrices au travail. Pour lui, la réalisation de soi est une «nécessité intérieure». Dans cette perspective, il condamnait la division traditionnelle entre travail de conception et travail d’exécution.

La peur de la sanction inhibe les facultés créatrices
En psychologie du travail, nous savons aujourd’hui qu’à  l’origine de la démotivation, il y a le fait d’ôter aux salariés leurs propres besoins de création (exemples souvent rencontrés dans les organisations oppressives) : l’initiative dont dispose l’acteur pour le choix de ses moyens et la conduite de ses tâches est menacée par la peur de la sanction.
La psychodynamique du travail, avec Christophe Dejours (professeur de psychologie du travail en France), s’interroge sur l’absence d’issues créatrices en lien avec des souffrances au travail. Pour lui, la subjectivation dans le travail consiste à  donner une place dans l’organisation du travail à  l’expression de soi. Néanmoins, il est important de rappeler que la réalisation de soi au travail ne peut pas se passer des règles prescrites. Travailler revient à  respecter l’ensemble des règles prescrites puis à  créer et ce, quel que soit le niveau hiérarchique. Travailler revient à  faire fonctionner son intelligence, sa créativité pour répondre quotidiennement aux aléas de l’activité (c’est d’ailleurs ce qui distingue l’Homme du robot).
Pour être plus clair : l’Homme souffre à  partir du moment o๠il ne peut plus exprimer sa subjectivité dans le travail (ce qui distingue chacun).
Motiver les salariés,

c’est les aider à  retrouver le plaisir de créer
Plus nous éprouvons de plaisir à  travers les activités que nous réalisons, plus nous pouvons y consacrer du temps, nous appliquer et nous impliquer.
Je retrouve chez les salariés d’un grand nombre d’établissements un sentiment «d’obligation» plus poussé que l’appropriation des concepts et des valeurs du travail. J’entends souvent : «Je travaille parce que je suis obligé».

La dimension du plaisir et de la possibilité de réalisation de soi est souvent omise pour laisser place à  des «tâches». Exemple : dans les groupes de travail, lorsque je demande aux salariés de définir le travail, j’entends le plus souvent: «c’est réaliser des tâches». C’est dire à  quel point, pour beaucoup, le travail n’a pas encore acquis sa dimension épanouissante, de créativité. Comment motiver les salariés sans les aider à  retrouver la dimension épanouissante du travail ; c’est-à -dire leur part de créativité à  travers toute activité professionnelle ?

Mon travail quotidien auprès des adultes mais aussi des enfants m’a souvent amenée à  constater des phénomènes similaires à  l’école. A titre d’exemple, un grand nombre d’enfants vont à  l’école sans y trouver du plaisir. Il ne peut d’ailleurs pas y avoir plaisir et peur en même temps. Souvent, les parents ne s’en inquiètent pas et renforcent ce sentiment en y mettant de l’obligation : «tu es obligé d’aller à  l’école, tu es obligé de faire tes devoirs, etc.». Voilà  comment, dès leur plus jeune âge, les futurs travailleurs apprennent à  tuer leur désir, leur créativité et leur intelligence pour remplacer cela par «un sentiment d’obligation d’accomplir des tâches».

En réalité, le fait de pouvoir réfléchir en termes de choix et de possibilités n’est-il pas ce qui fait de nous des Hommes en quête de liberté de penser et d’agir ?