Carrière
Entreprise sans tabac : mieux vaut sensibiliser d’abord avant d’interdire
La fumée de tabac est la plus importante source de pollution en milieu de travail.
De grandes entreprises, comme le groupe OCP et l’ONCF, montrent l’exemple en se déclarant «sans tabac».
L’interdiction brutale est déconseillée, pour éviter le sentiment d’exclusion chez les fumeurs surtout s’ils sont nombreux.

«Notre entreprise est normalement déclarée sans tabac. Et pourtant, personne ne respecte cette consigne. Les gens se permettent de fumer sans se préoccuper des autres. Il faut dire aussi que le nombre des fumeurs au sein de l’entreprise est plus important que celui des non-fumeurs. Quand ces derniers râlent, ils sont automatiquement taxés d’emmerdeurs», s’indigne Maria, 26 ans, attachée de direction. Comme elle, beaucoup d’individus se plaignent de la cigarette sur le lieu de travail. Fumée, odeurs, risque de maladies pulmonaires, la fumée de tabac est la plus importante source de pollution en milieu de travail. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) classe ainsi le tabagisme passif comme cause majeure de cancer. De nombreuses études sur l’usage du tabac en milieu de travail ont révélé des charges significatives liées à l’absentéisme, à la productivité et à l’aménagement de locaux appropriés.
Peu d’entreprises osent s’attaquer de front à la problématique. Au moment où une vaste campagne est aujourd’hui en cours de réalisation, à l’initiative de l’Association Lalla Salma pour la lutte contre le cancer, pour promouvoir le programme «Entreprise sans tabac», l’ancienne loi antitabac (voir encadré) n’a jamais été appliquée et la nouvelle, votée en janvier 2009, ne peut pas l’être faute de décrets d’application et peut-être aussi de volonté politique. Beaucoup d’entreprises qui veulent lutter contre le tabac se contentent encore d’afficher une note, sans plus. Et quand l’interdiction est stricte, c’est souvent pour des raisons de sécurité : les sites industriels sont obligés de respecter cette restriction pour prévenir le risque d’incendie. Pourtant, les entreprises qui prennent en compte la protection des non-fumeurs et aident leurs salariés à modifier les habitudes liées au tabagisme en tirent plusieurs avantages, à commencer par faire chuter l’absentéisme. D’après des études scientifiques, les fumeurs prennent 1,8 fois plus de journées de maladie que les non-fumeurs. Selon l’OMS, les salariés fumeurs et non-fumeurs exposés à la fumée de tabac dans leur espace de travail ont deux fois plus de risques de prendre des congés de maladie.
Deuxième avantage, faire chuter les éternelles pauses cigarette. Une étude sur le tabagisme en milieu de travail à l’Office chérifien des phosphates (OCP), réalisée en 2004, fait ressortir que les fumeurs passaient en moyenne 45 minutes de leur journée à griller leurs cigarettes.
En Europe, des statistiques ont montré que la pause cigarette entraîne des absences variables d’un fumeur à l’autre. Une personne qui consomme quotidiennement 5 cigarettes sur son lieu de travail est inactive pendant 5 fois 5 à 10 minutes, soit plus ou moins 35 minutes par jour multiplié par 220 jours ce qui équivaut à 128 heures par an soit 18 jours effectifs !
Autre avantage tiré de la restriction, une réduction des frais de nettoyage et d’entretien ainsi que des risques d’incendie. La fumée détériore la peinture et les murs et nécessite donc un entretien coûteux. Les mégots et cendriers doivent être ramassés plusieurs fois par jour et peuvent endommager certains revêtements de sol. «Protéger les salariés contre le tabac est un signe de l’intérêt de l’employeur pour la santé et le bien-être de ses employés. Cet engagement permet de soigner l’image de l’entreprise auprès de ses salariés mais aussi de ses partenaires externes», commente Jamal Maatouk, conseiller juridique, directeur du cabinet Juris-land.
Prévention non agressive
Pour combattre le tabac, la majorité des entreprises optent pour des fumoirs, et ce, pour ne pas marginaliser la population de fumeurs. Pour certains, cela s’appelle la prévention non agressive. Cependant, il convient de ne pas ignorer que les fumoirs coûtent en moyens et en énergie. Ils doivent être ventilés correctement, faire l’objet d’un règlement d’accès précis …
Alors comment agir pour exclure en douceur le tabac de l’entreprise ? Plusieurs pistes peuvent être envisagées mais tout doit commencer par un état des lieux de la situation. On n’aborde pas de la même façon l’interdiction de fumer sur le lieu de travail dans une entité où 50% du personnel fument, mais seulement quand il s’agit d’une minorité. L’enquête n’a pas besoin d’être longue ; elle peut se résumer en deux ou trois questions qui permettent de connaître le nombre de fumeurs, leur localisation éventuelle dans l’entreprise et leur sentiment par rapport à l’interdiction de fumer sur le lieu de travail. La stratégie à mettre en œuvre dépendra de la perception qu’a le personnel du tabac.
Dans tous les cas, il est déconseillé de vouloir contraindre tout de suite. La démarche la plus appropriée est d’y aller par étape. «Il ne suffit pas de rappeler la restriction par affichage, il faut aussi sensibiliser», souligne Salim Ennaji, DRH de Veolia Environnement Maroc. A ce titre, les actions entreprises portent généralement sur des informations concernant la loi, les dangers du tabagisme (actif et passif), les bénéfices de l’arrêt du tabagisme …Ces informations peuvent prendre plusieurs formes : conférences, expositions, projection de films, affichage, distribution de dépliants, charte de bonnes pratiques, articles dans le journal interne, rubrique sur l’intranet…, le maximum de messages sensibilisent généralement les fumeurs qui commencent d’abord à se poser des questions puis envisagent l’arrêt du tabac. Quand ils en sont à ce niveau, l’entreprise peut les accompagner. Par exemple, l’Office national des chemins de fer (ONCF) devenu, il y a plus d’une année, «entreprise sans tabac», s’est résolu à accompagner son personnel fumeur par un programme de consultations médicales spécifique au sevrage tabagique individuelle et de groupe. La démarche a porté ses fruits : selon Nezha Barakat, médecin conseil à l’ONCF et chef du projet «ONCF, Entreprise sans tabac», «la mise en place du plan de lutte antitabac a permis de faire régresser le nombre de fumeurs de 60%».
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