Carrière
Comment réagir lorsqu’on est dans le collimateur du chef
L’absence de culture managériale conduit à une gestion autocratique des collaborateurs.
Il arrive que certaines personnes se posent en victime pour cacher leurs incompétences.
Aucun conflit n’est insoluble, mais encore faut-il que les parties concernées acceptent d’en discuter.

Il avait l’habitude de vous saluer tous les matins et, depuis, votre patron passe devant votre bureau sans lever la tête. Vous êtes écarté de toutes les missions enrichissantes. Pire encore, il éprouve du plaisir à vous réprimander devant les autres, à critiquer votre travail et votre comportement…
Pas de doute, vous êtes dans son collimateur. Son objectif : vous fragiliser, vous pousser à la faute ou vers la sortie. Youssef, vingt-trois ans, technicien en maintenance, en sait quelque chose. Il reconnaît être «à bout» et «en pleine dépression». Son supérieur, un cadre intermédiaire, le harcèle, du matin au soir. «Il me sait nerveusement fragile et fait tout pour me rendre fou et me tuer au travail. Il ne me pardonne aucune erreur, exerce sur moi un chantage continuel, dépense toute son énergie à m’induire en erreur. Il use de non-dits pour créer des malentendus qui se transforment en fautes professionnelles. Il me pollue la vie, même le week-end». La peur de perdre son emploi et l’isolement des salariés empêchent toute solidarité. Ces petits agissements hostiles peuvent sembler anodins. Répétés, ils affectent souvent gravement le salarié. Youssef rêve de quitter. Il sait qu’il pourrait «y laisser sa peau», mais sa situation (soutien de la famille) le fait encore hésiter.
Dans nos entreprises, le harcèlement des employés par les responsables est encore courant. Là où il y a absence de pratique et de compétences managériales, il y a inéluctablement une forme d’exercice autocratique du pouvoir. Cela se traduit souvent par la perception que l’employé ou le collaborateur est «une chose» et qu’il doit agir au doigt et à l’oeil.
Même si le harcèlement ne laisse pas de «sang» dans l’entreprise (il s’agit souvent de violence discrète), ses ravages n’en sont pas moins considérables pour les victimes : anxiété, insomnie, dépression voire suicide, mais aussi absentéisme, perte d’efficacité, démission.
Fouad, cadre dans une banque à Casablanca, et mis au placard depuis trois mois, n’attend même plus le soutien du DRH, lâche ou complice. «Suite à une demande de mutation, on m’a privé de tout : travail, ordinateur, téléphone. Je n’ai plus rien à faire. La direction préfère payer double : une personne pour effectuer mon travail et moi… pour ne rien faire, et me pousser à la démission», déplore-t-il. C’est que le harcèlement n’est pas seulement l’aveu d’un véritable malaise dans le management, il est aussi pour l’entreprise une arme stratégique redoutable. Parfois, on fait semblant d’être mécontent d’un collaborateur qui se laisse aller pour le pousser à se reprendre. Certains managers usent aussi de ce stratagème pour encourager la concurrence.
Souvent, parmi les attitudes ou les gestes les plus flagrants d’un acharnement, figure le mépris du supérieur vis-à-vis de son subordonné. «Notre patron a l’habitude de ne pas faire attention aux personnes qu’il juge moins intéressantes. Celles-là, ils ne les saluent même pas», souligne Abla, assistante de direction dans une société de service. Cette indifférence fait mal. Mais le rejet peut aussi prendre la forme d’une surcharge du travail, d’un manque de reconnaissance… Si la situation s’éternise, on peut parler de harcèlement qui, généralement, est un moyen pour se débarrasser d’un collaborateur.
Il se trouve que le fait de se mettre dans la peau d’une victime est toujours facile. Pour Ahmed Al Motamassik, une soi-disant victime d’un persécuteur prend rarement l’occasion de se voir dans le miroir. Au contraire, elle a besoin d’entourage, de renforts pour renforcer sa victimisation. Beaucoup cachent leurs incompétences ou leur manque d’implication en invoquant un comportement inapproprié ou un manque de respect du patron à leur égard.
Quoi qu’il en soit, un conflit du genre, parce que c’est bien de ça qu’il s’agit, est nuisible à la vie du groupe et déteint sur les performances de toute une équipe.
Que faire alors dans un tel environnement ? La pression et l’isolement sont beaucoup plus difficiles à vivre qu’un licenciement. Souffrir en silence est une double souffrance. Il est ainsi recommandé aux victimes de parler de leur situation, d’abord à leur entourage immédiat.
De l’avis de Ghita Mseffer, psychologue d’entreprise, «il s’agit avant tout de savoir si la mise à l’écart est délibérée ou un comportement normal qui sanctionne une petite baisse de performance. Si la situation persiste et qu’elle porte préjudice à ses activités, à ses performances et à son intégration, alors il faut envisager de changer d’entreprise». Elle conseille de ne pas laisser trop durer le bras de fer car on s’en sort affaibli. En effet, les victimes mettent souvent du temps pour se remettre de telles expériences.
Une fois cette question personnelle réglée, on doit avoir le courage de s’attaquer au problème de front sans aucune agressivité. Votre patron vous agresse inutilement ? Prenez votre courage pour lui demander poliment ce qui ne va pas. «Autrement dit, il vaut mieux crever l’abcès très tôt pour éviter la dégradation de la situation», souligne Ghita Mseffer. Encore faut-il trouver un interlocuteur. A ce propos, Mohammed El Yousfi, DG du cabinet LMM-QSE, souligne qu’un manager ne doit pas se replier sur lui-même quand un collaborateur multiplie les erreurs ou semble dépassé. Pour lui, une critique constructive donne souvent de bons résultats. Cependant, «il faut rester ferme sans être blessant car certains comportements sont parfois dictés par une mauvaise passe», ajoute-t-il.
Le mieux, c’est de prévenir. Selon Ahmed Al Motamassik, «les séminaires de team-building ou encore de communication interpersonnelle se diffusent très largement pour faire face aux problèmes d’agressivité ou d’incompréhension au sein d’un environnement de travail».
