Carrière
Comment marquer son territoire au travail
Un territoire est un fragment d’espace délimité par un acte de pouvoir, c’est un lieu de règne.
Prérogatives, espace de travail, nature des relations avec les collègues, tout peut être délimité.
Parfois, il est utile de provoquer un conflit ouvert pour remettre les choses à leur place.

«De quel droit se permettent-ils de raconter ces ragots sur moi ?», «Je ne vais pas me laisser marcher sur les pieds», «Il s’imagine qu’il va donner des ordres en claquant des doigts», «Il n’a qu’à faire ce travail, moi j’ai d’autres chats à fouetter», «J’en ai ras-le-bol de voir mon voisin de bureau empester la salle avec ses cigarettes. En plus, il raconte tout le temps sa vie au téléphone»… Ces expressions qui traduisent des sentiments d’agacement, de colère, d’insatisfaction ou de dépit vous sont certainement familières. Il n’y a là rien de particulier. C’est le quotidien de toutes les entreprises, à des degrés divers, bien évidemment. Dans un groupe, quelle que soit la solidité des liens qui unit les uns et les autres, le besoin de s’affirmer reste toujours vivace. C’est ce qui conduit de nombreuses personnes à sortir de leurs gonds pour marquer leur territoire, même si les pics de colère sont aussi souvent la conséquence du stress.
Pourquoi une telle attitude? L’explication la plus simple est que l’homme est ainsi fait; il veut, partout où il se trouve, se créer un envrionnement dans lequel il se retrouve, un système qu’il maîtrise. Pour pousser un peu plus ce raisonnement, on peut considérer qu’un territoire est un fragment d’espace délimité par un acte de pouvoir, c’est un lieu de règne. Il ne se limite pas à des éléments palpables ou physiques (objets, zone géographique déterminée…). La notion de territoire est un peu plus large. Outre ces domaines, elle inclut des éléments plus abstraits et psychologiques comme l’identité, le temps de travail, la morale, les sens (odorat, vue…)… Un empiètement peut empoisonner les relations humaines, pourrir l’ambiance de travail et générer des conséquences néfastes pour les résultats de l’entreprise.
Procédure et fiches de poste permettent de réduire les zones de conflit
Du point de vue physique, cette notion de territoire ne souffre d’aucune ambiguïté. Personne ne vous contestera votre autorité dans votre bureau, surtout s’il est individuel. D’ailleurs, dans certaines entreprises, on pousse la différence jusqu’à marquer sur la porte le nom et la fonction de l’occupant. Et ce n’est pas seulement pour orienter les visiteurs. Dans ces entreprises, la culture interne et/ou le style de management fixent dès le départ la place que doivent occuper les uns et les autres. Par conséquent, il y a peu de risque de porter tort à autrui, sauf si l’on cherche délibérément à créer un conflit.
Cet espace personnel est plus difficile à délimiter dans les entreprises qui ont opté pour les open spaces (plateaux de bureaux) en vue de développer la communication au sein du groupe. Pour autant, chacun essaie de créer un environnement personnel. Du coup, photo de famille sur le bureau, objets personnels, cartes postales et dessins d’enfants affichés au mur, tous les moyens sont bons pour affirmer une présence. Certains poussent la manie jusqu’à marquer leurs outils de travail personnel. Est-ce un signe d’individualisme ou de paranoïa que de chercher, à l’instar du lion ou de l’ours, à quadriller instinctivement son domaine réservé ? «On doit pouvoir marquer sa différence par rapport aux autres», estime Redouane Boumezrag, consultant chez LMS.
L’exemplarité, un bon moyen de se faire respecter
Toutefois, c’est au niveau professionnel que les problèmes se posent le plus puique la contestation se porte sur le champ de l’immatériel. Dans une entreprise organisée, où les postes et les missions des uns et des autres sont bien définis, où les procédures sont écrites, le risque que les uns et les autres se marchent sur les pieds est certes réduit. Mais, là encore, il s’agit de théorie. N’a-t-on pas vu, même au sein de multinationales, des collègues, hauts cadres ou simples employés, se tirer dessus pour ce qu’ils considèrent comme une violation du domaine réservé; des commerciaux s’accuser de «détournement» de clients ou de prospects ? Les exemples ne manquent pas.
Pour se prémunir contre de tels problèmes, la règle d’or consiste à fixer les règles en jouant cartes sur table si les prérogatives et/ou missions ne sont pas bien formalisées, au départ, ou mal interprétées. La chose est plus facile quand on démarre dans un nouveau job. Pour ne pas se mettre à dos un nouveau collègue ou passer pour un trouble-fête, le plus simple est de demander à la hiérarchie de jouer son rôle d’arbitre. En revanche, quand on est relativement ancien, il est préférable d’évoquer le problème avec la personne directement concernée.
Mourad Naïmi, chef du service après-vente dans une société d’informatique, a tout simplement refusé d’aller dépanner un client parce que le commercial, en négociant un marché, avait omis de le consulter sur le délai minimum de réaction en cas de problème. Depuis, en dehors des aspects généraux bien inscrits sur les contrats, il est invité à toutes les réunions consacrées à des contrats spécifiques.
Un directeur nouvellement recruté a, lui, été obligé de s’en prendre ouvertement à un collaborateur qui voulait sans doute tester sa résistance en lui cassant du sucre sur le dos. Un rappel à l’ordre a permis de remettre tout le monde à sa place.
En somme, ces personnes ont été obligées de créer un conflit ouvert pour fixer ou rappeler les règles de fonctionnement.
Le plus important est cependant de prévenir parce qu’il est souvent plus difficile de recoller les morceaux quand le mal est déjà fait.
Au niveau individuel d’abord. Il est important de respecter les autres, de les gérer comme ils sont, du point de vue de la personnalité, et non comme on voudrait qu’ils soient. C’est l’un des meilleurs moyens de signer tacitement un «pacte de non-agression». Sauf que dans une équipe, il est impossible de se passer des critiques et autres remarques à caractère professionnel.
Savoir dire non, en y mettant la forme
Savoir dire non est aussi un moyen efficace pour repousser les indésirables. Nombre de spécialistes sont d’avis qu’il n’existe pas une manière de «dire non» spécifique à une personne donnée, un patron, un collaborateur ou un client. Quand vient le moment de prendre une telle décision, la seule précaution est qu’il faudra bien intégrer le contexte pour éviter une rupture.
Cela dit, la question est plus délicate quand il s’agit de marquer son territoire face à un supérieur qui essaie, par exemple, de vous faire faire un travail qui n’est pas le vôtre. Si vous ne réagissez pas la première fois, il sera difficile de refuser par la suite. Mais il ne s’agit pas de foncer tête baissée : ne dites pas non d’emblée, attendez le moment opportun, celui où il n’est pas débordé par ses réunions et jouez la carte de la démonstration logique. De manière générale, il faut motiver son refus par des éléments concrets. Il est aussi très important de rester ferme si l’on est réellement convaincu que la requête est de nature à vous porter préjudice.
Du point de vue des prérogatives, il revient à l’entreprise de définir le champ d’action de chaque personne. Cela consiste à bien définir les postes et à préciser les missions assignées à chacun. Cette démarche ne permet pas de neutraliser les conflits territoriaux mais permet d’arbitrer correctement quand ils se déclarent. Et là, il reviendra à la personne qui se sent agressée d’alerter la hiérarchie pour mettre fin aux nuisances.
L’entreprise intervient aussi dans l’organisation du cadre de travail. Exemple concret : la Trésorerie générale du Royaume, qui est en train d’installer ses équipes dans un open space, a défini un certain nombre de pratiques, une sorte de code de conduite.
Quatre principes sont édictés : le respect de l’autre, l’esprit d’équipe, l’ouverture et la modernité. Sur le plan pratique, il est interdit de fumer, de déjeuner au bureau (sauf exception), de parler trop fort. Les agents sont aussi invités à mettre les téléphones portables sous silence ou en mode réunion. Ce sont quelques pré-requis pour travailler dans des conditions harmonieuses.
