SUIVEZ-NOUS

Carrière

Comment maîtriser le «risque compétences» dans le cadre du développement d’une activité

L’inadéquation de profils peut retarder, renchérir et/ou faire échouer le développement d’une activité. Au-delà des compétences métiers, la réussite d’un investissement en capital humain dépend d’un juste ciblage en matière de soft-skills.

Publié le


Mis à jour le

remuneration mode emploi

Andrea Bises
Consultant au sein du cabinet Diorh

Suite aux dernières données sur le chômage fournies par le HCP, le Royaume est traversé par un débat sur l’évolution de son marché du travail. En effet, le Maroc est confronté à un paradoxe, pays riche de sa jeunesse  (moins de 19% de la population totale) et de perspectives prometteuses, le taux d’activité et le chômage continuent de progresser. Le taux d’activité continue de baisser (47,5% en 2016) et le chômage atteint 15,7% dans les milieux urbains, soit 50% que la moyenne nationale qui est de 10,7%. Pourquoi ? Ceci s’explique en partie par des questions structurelles et macro-économiques, : une croissance non agricole inférieure à 2% sur les 5 dernières années, un impact limité des investissements publics, une faible capacité du secteur tertiaire, premier pourvoyeur d’emplois depuis 2015, à créer des emplois pérennes et qualifiés.

Qualifier un or rose abondant

Pour autant, ce débat omet d’aborder une question centrale, l’adéquation compétences – emplois. L’or rose est abondant, et la compétence rare. Cette distorsion de marché constitue un frein majeur à l’investissement et à la résorption du chômage. En année faste, le Maroc crée moins de 7 000 postes qualifiés  alors que l’enseignement national fournit au marché moins de  140 000 diplômés en Master ou plus… Derrière ces chiffres, notre pratique du conseil en RH nous amène au constat suivant : les dirigeants au Maroc éprouvent des difficultés à sécuriser leurs investissements à cause du «risque compétences». Quel que soit le niveau de responsabilité, réussir un recrutement est difficile et fragilisant pour l’entreprise. Une célèbre multinationale industrielle a passé 2 ans à former son capital humain afin qu’il atteigne le niveau de qualité et de productivité minimum, alors les ressources avaient bénéficié d’un programme de formation sur mesure… Cette situation s’explique en partie par un faible développement des softs skills, qui réduit la capacité d’adaptation et d’évolution des ressources humaines au Maroc.

Impliquer le DRH en amont de l’investissement pour réduire le «risque compétences»

Dans ce contexte, lorsqu’un acteur économique souhaite développer son activité, la question du capital humain devient cruciale. Bien que l’opportunité et la faisabilité d’un investissement aient été validées, l’absence ou l’inadéquation de profils peut retarder, renchérir et/ou faire échouer un développement d’activité. Aujourd’hui par exemple, le souffle de la croissance des NTIC est coupé par le skill shortage : les promotions de diplômés en ingénierie informatique ne couvrent que 30% des besoins en postes à pourvoir en moyenne . Donc la DRH en tant que Business Partner doit être associée en amont pour qualifier les compétences dont l’entreprise a besoin, et ainsi faciliter la concrétisation de l’investissement. Pour ce faire, de nombreux outils sont à la portée du décideur averti (enquêtes de rémunération, données sur le marché du travail…). Ces données permettent une première qualification pour définir sa stratégie de sourcing. La difficulté réside dans l’identification de bassins de compétences, capables de fournir un or rose de qualité à un coût compétitif.

Identifier les bassins d’emplois appropriés pour réduire coûts et incertitude

Le Maroc étant à la confluence de plusieurs marchés du travail, bénéficie à la fois des compétences nationales et expatriées. Ces compétences expatriées se comptent par millions, sur les marchés très divers et très matures (Amériques, Moyen-Orient, Europe,…). L’existence de bassins d’emplois sans frontières amène les entreprises à élargir leurs champs théoriques de chasse. Cependant, ce phénomène complexifie et biaise le sourcing de profils. La performance d’un profil est fortement liée au contexte dans lequel elle évolue. En d’autres termes, des profils ayant fait leurs preuves à l’étranger  pourraient connaître des difficultés d’adaptation dans le contexte national. En outre, les profils résidant à l’étranger sont susceptibles de réclamer une «prime au retour» et/ou de réfléchir dans un cadre salarial déconnecté des pratiques de marché. Ainsi une majorité d’entreprises  privilégie le sourcing sur le marché local, afin de réduire l’incertitude et les coûts. Chaque besoin étant spécifique et particulier, il est important d’avoir une démarche réfléchie pour qualifier les terrains de chasse.

Structurer ses référentiels de sélection des compétences

Une fois les bassins de recrutement arrêtés, il est nécessaire de construire son référentiel de compétences pour maximiser les chances de réussite. Au-delà des compétences métiers, la réussite d’un investissement en capital humain dépend d’un juste ciblage en matière de soft-skills. Ainsi dans le cadre de réflexions prospectives, le Word Economic Forum (WEF) a interrogé des DRH et des DG du monde entier pour identifier les compétences à l’horizon 2020. Ainsi la capacité à gérer des situation complexes, la capacité à collaborer ou encore la créativité sont considérées comme incontournables pour réussir et faire réussir son entreprise dans le futur.

Ce constat est confirmé par notre pratique des projets de classification des emplois et compétences. Nous savons que pour apprécier l’apport d’un profil à l’entreprise, il faut dépasser les approches traditionnelles. Pour mesurer la contribution d’un profil à l’entreprise, il faut adopter des méthodes universelles qui permettent d’apprécier toutes les dimensions de la création de la valeur. Ainsi la méthode IPE définit 4 axiomes (Impact, Communication, Innovation, Connaissance) servant à évaluer la contribution réelle ou potentielle d’un profil au sein d’une entreprise. Au-delà d’un usage sur les postes existants, de plus en plus d’entreprises ont recours à cette méthodologie pour réfléchir à leurs stratégies de recrutement et de gestion de talents.  Lors d’une Skill Due Dillegence, la méthode IPE permettra au décideur d’établir le référentiel à partir duquel rechercher et sélectionner les profils.

Appliquer une démarche stratégique pour des recrutements critiques

Quand les entreprises réalisent des Skills Due Dilligence, elles adoptent une approche stratégique pour sécuriser leurs investissements en capital humain. Dans un premier temps, la Skill Due Dilligence consiste à identifier et qualifier les bassins de recrutement (ex. : le Maroc dispose-t-il en quantité et en qualité des profils recherchés?) par des démarches de type études de marché. Ensuite, il est important de mener des audits des viviers de recrutement pour vérifier l’adéquation profil – emploi (ex. : les profils IT disponibles ont-ils les compétences techniques et comportementales recherchées ?). Cet audit est basé sur un «skill matching» pour mesurer l’écart entre l’offre et la demande. En fonction de la consistance du gap, l’entreprise peut réfléchir à des mesures d’accompagnement (ex. : si les profils IT recherchés ne sont pas disponibles, par actions améliorer leur employabilité ?). A partir des enseignements précédents, l’entreprise peut modéliser des scénarii de recrutement et d’intégration des profils afin d’apprécier le coût économique de l’opération (ex. : au regard du total cost est-il plus rentable de débaucher des profils en poste ou de recruter et former des profils disponibles ?). La Skill Due Dillegence se termine par synthèse des résultats qui facilite la prise de décision en matière d’investissement en capital humain (ex. : quel pourcentage de postes, le débauchage permettrait-il de pourvoir ? A quel coût ? Avec quelles conséquences ?).

1. Part des 15 à 25 ans dans la population totale (HCP).

2. Création nettes calculées sur les données OIT 1991 à 2020 – catégorie high skill jobs.

3. Statistiques du ministère de l’enseignement supérieur sur les diplômés du secteur privé et public.

4. Etude de l’économiste sur les profils ingénieurs informatiques.