SUIVEZ-NOUS

Carrière

Comment améliorer le système de rémunération des dirigeants au Maroc

Le fixe, le variable court terme, les avantages sociaux ou en nature et la rémunération directe liée à la performance sont les leviers de la rémunération n Le Maroc est à la traîne en matière de rémunération à base de capital dont les deux principaux instruments sont les stock-options et les actions de performance.

Publié le


Mis à jour le

Les salaires des dirigeants

Achraf Dahbi
Consultant senior au sein du cabinet LMS ORH

La rémunération à base de capital est un sujet sensible qui reste généralement cantonné à la sphère des hauts dirigeants dans la gestion de leur relation avec l’actionnaire. Même dans les pays développés le sujet continue à être largement débattu, récemment sous l’impulsion des pouvoirs publics, historiquement par les actionnaires qui l’utilisent comme un réel levier pour le verrouillage de leurs mécanismes de gouvernance.
Le Maroc est encore très en retrait par rapport à ces débats ô combien structurants et essentiels dans le chemin de la mise à niveau des schémas de gestion des entreprises modernes.
L’absence d’un cadre juridique et de mécanismes fiscaux incitatifs masquent une réalité culturelle forte, un modèle économique frileux et très conservateur et une valorisation d’entreprise peu fiable et volatile. Pour autant, beaucoup d’entreprises marocaines gagneraient à introduire des dispositifs de rémunérations à base de capital pour plus d’alignement avec les objectifs de l’actionnaire et un recentrage plus précis sur la création de valeur.
La rémunération à base de capital, c’est quoi ?
Il existe 4 grands leviers de rémunération : le salaire fixe, la rémunération variable court terme (bonus, primes…), les autres avantages sociaux ou en nature et, enfin, la rémunération directement liée à la performance de l’action.
Au-delà de la simple définition juridique de la rémunération qui consiste à compenser le travail rendu par un salaire, les enjeux de la rémunération sont divers.
D’abord il faut attirer les talents. Ces derniers sont aujourd’hui une denrée très prisée dans un marché international. Il est tout à fait envisageable d’avoir un DG marocain dans une société française basée en France ou de recruter un PDG italien ou turc pour une société marocaine. Les frontières géographiques ne sont plus un obstacle et les subtilités culturelles tendant à s’estomper avec la surconsommation des cultures importées. L’enjeu est aujourd’hui dans la capacité des entreprises à offrir un challenge, un projet structurant et de la perspective en termes de rémunération.
Ensuite il faut fidéliser les talents. Pour cela, il est indispensable que l’entreprise tienne ses engagements. Qu’elle valorise le travail du collaborateur ou du dirigeant et qu’elle puisse lui offrir l’opportunité de s’inscrire à plus long terme dans le projet proposé.
Enfin et surtout, l’entreprise doit s’assurer que les intérêts personnels convergent avec ses propres intérêts. Ce dernier enjeu fait écho à ce que l’on appelle en sciences de gestion «la théorie de l’agence». Cette théorie met en avant que les acteurs de l’entreprise peuvent avoir des intérêts divergents. Les dirigeants peuvent poursuivre des objectifs personnels (taille de l’entreprise, limitation du risque, profit personnel,…) différents de celui des actionnaires (maximisation de la valeur de l’action). Ainsi, un bon système de rémunération permettra de garantir que le dirigeant ait comme priorité de maximiser sur le long terme la valeur de l’entreprise.
L’outil traditionnel pour inciter les managers à «aller dans le sens de l’actionnaire» est le bonus, généralement déterminé sur la base de la performance de l’année passée. Il est théoriquement versé si certains objectifs quantitatifs ou qualitatifs ont été atteints. Le caractère variable du bonus est très certainement incitatif, mais ses principes présentent certains défauts. Citant notamment sa tendance à s’institutionnaliser pour devenir en partie théorique et la complexité de définition d’objectifs suffisamment précis pour être mesurables et dépendant directement de l’action du management tout en garantissant une maximisation de la valeur sur le long terme et moins sur le court terme.
Pour rendre la rémunération encore plus incitative et répondre aux enjeux cités plus haut (attractivité, fidélisation, alignement), une panoplie de produits ont été développés et largement diffusés depuis les années 1980 d’abord aux Etat-Unis avant d’atteindre l’Europe, les plus classiques sont les suivants.
Primo, les stock-options. Cet instrument octroyé comme un élément de la rémunération permet en quelque sorte d’indexer la rémunération sur la performance de l’action puisqu’il s’agit d’une option d’achat d’action. Il présente de ce fait l’avantage d’offrir un levier important laissant au dirigeant une perspective de gain très élevée en cas de progression soutenue de la valeur boursière de l’action. Par ailleurs, il est théoriquement fortement incitatif car sa valeur peut être nulle en cas de sous-performance et dans un marché en faible croissance.
Secundo, les actions de performance. Les entreprises dont le rythme de croissance se ralentit préféreront attribuer des actions gratuites qui auront toujours une valeur plutôt que des stock-options qui en vaudront de moins en moins. C’est plus sûr en termes d’incitations et d’efficacité managériale.
L’attribution d’actions gratuites ou «actions de performance» est liée à des critères objectifs qui sont censés refléter l’action effective du management et non les variations de la valeur de l’action : taux de rentabilité comptable minimum, taux de progression du bénéfice par action, etc. Les critères peuvent être non financiers: degré de satisfaction des clients, taux d’accidents du travail, niveau de la part de marché, etc. La valeur de ces actions, une fois acquises grâce à l’atteinte de critères économiques, dépend évidemment de la performance du titre mais, sauf faillite, elle n’est pas nulle.
D’autres produits plus sophistiqués ont fait leur apparition avec des montages de plus en plus complexes, cherchant d’un côté et de manière obsessionnelle l’alignement parfait entre actions managériales et objectifs actionnariaux et d’un autre offrant des produits plus performants financièrement et fiscalement.
Où en est le Maroc dans tout ça ?
Dans le domaine des outils de rémunérations à base de capital, les Etats-Unis et surtout la Grande Bretagne sont à la pointe. Ils sont à l’image de leurs économies, libérales et innovantes. Que ce soit au niveau de la diversité des produits proposés ou dans les process les gérant, ils sont loin devant tous les autres. Se positionnent ensuite les pays de l’Europe continentale et quelques pays de l’Asie du Sud-Est. Le Maroc est bien derrière avec le reste du monde pour schématiser. Les raisons à mon sens sont multiples :
• Une réalité culturelle et des modes de management frileux.
Sans tomber dans une analyse sociologique approximative, le Maroc est un pays conservateur. Et ceci transpire également dans le monde des affaires. Le tissu économique est toujours marqué par la prédominance de l’entreprise familiale qui continue à être gérer par «La famille». Et quand l’entreprise décide de recruter des professionnels du management pour booster la performance ou moderniser la gestion, elle n’arrive pas à prendre le recul nécessaire et remettre entièrement les clés de la maison. Comment alors envisager d’associer des «étrangers» au capital. Impensable.
Même les plus grandes entreprises peinent à installer ces mécanismes et principes de création de valeur. Ils ne sons inscrits ni dans l’agenda des conseils d’administrations ni sur les feuilles de route fixées aux managers. Le focus est toujours porté sur le court terme et le «bas de page» et l’actionnaire est fortement impliqué dans la prise de décision. Le risque est partagé, la marge de manœuvre également. Les décisions opérationnelles sont bien déléguées au management, celles réellement stratégiques et engageantes restent à la main du propriétaire. L’utilité d’associer le management au capital se retrouve sensiblement réduite dans ces conditions de gouvernance.
• L’absence de cadres juridique et fiscal favorables.
On dit souvent que les lois sont le reflet de la société qu’elles régissent. Au Maroc, il existe une circulaire fiscale qui trace le cadre de l’attribution d’une forme assez spéciale de stock-options avec des conditions très limitatives. Aucune mention spécifique n’est prévue dans le code du commerce et encore moins dans un texte dédié. Face à ce vide, toute tentative «audacieuse» pour proposer une rémunération adaptée sous forme d’actions ou de stock-options est vite avortée par crainte de requalification fiscale ou pire de transactions capitalistiques illégales.
• Des marchés financiers encore loin d’être efficients.
S’il y a eu floraison de dispositifs de rémunérations à base de capital dans les pays développés c’est parce qu’ils hébergent des marchés financiers performants et efficients. L’investisseur rationnel ne fera l’acquisition d’une action donnée que s’il est assuré de payer exactement sa juste valeur. Cette juste valeur dépend à la fois d’une évaluation objective et indépendante basée sur les fondamentaux financiers d’une entreprise mais aussi sur l’assurance de disposer d’un titre liquide (cessible à tout moment). Ces deux conditions sont parfaitement transposables pour les dispositifs incitatifs car un bénéficiaire qui n’a pas de la visibilité quant à l’évolution de la valeur du titre octroyé ne pourrait croire en l’impact de son action sur la performance financière. L’aspect incitatif perd ainsi sa substance en l’absence de transparence et d’objectivité.
Le marché financier marocain, à date, est toujours peu liquide et très volatil car essentiellement porté par une poignée de valeurs phares qui font la pluie et le beau temps. Plus important encore, l’essentiel des valeurs marocaines sont à l’extérieur des marchés financiers, absentes de la cote et donc ne disposant pas de manière systématique d’une valorisation objective.
Quel avenir pour la rémunération à base de capital au Maroc?
Ma position est que nous adopterons inévitablement ce type de mécanismes. La réalité économique nous rattrapera. Face à des marchés de plus en plus mouvants et des métiers tout aussi complexes, le besoin de déléguer le management à des professionnels experts s’imposera. Le verrouillage de cette relation entre actionnaires et managers obligera l’ensemble des acteurs à revoir leurs positions. L’entreprise devra attirer les meilleurs, les retenir et les aligner sur des objectifs communs et leur offrir alors des packages de rémunérations «complets». Le législateur répondra au lobbying intelligent par des textes adaptés afin de soulager les entreprises du vide oppressant et profiter du potentiel fiscal que présenterait la mise en place des dispositifs de rémunérations à base de capital.
L’entreprise marocaine pourrait brandir la carte de l’agilité et de la compétitivité et rentrerait alors pleinement dans l’économie mondiale.