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Carrière

«Nous recevons des plaintes de salariés d’entreprises marocaines installées en France»

Aujourd’hui, seuls la France, la Belgique et le Canada se sont dotés de textes sur le harcèlement moral. L’Italie et la Suède s’y intéressent de près.

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Aujourd’hui, seuls la France, la Belgique et le Canada se sont dotés de textes sur le harcèlement moral. L’Italie et la Suède s’y intéressent de près.
En France, «Harcèlement moral stop» est l’une des premières associations à être créée pour prévenir ce fléau. Loïc Scoarnec, son président, ancien mis au placard lui-même, connaît bien le phénomène. Il parle du phénomène tel qu’il est vécu en France et aborde au passage la situation au Maroc.

Quel est le but de votre association ?
Loïc Scoarnec : L’association, qui a aujourd’hui plus de cinq ans, fait du diagnostic, de l’orientation, du conseil auprès de toutes les personnes se considérant comme victimes de harcèlement moral.
Parallèlement, nous venons de créer un cabinet de consultants pour prévenir les risques sociaux en entreprise. L’association traite annuellement une moyenne de 17 000 appels entrants, 1200 dossiers, presque autant de mails et 900 courriers. Elle compte 1 500 adhérents.

Quelle lecture faites-vous du nouveau Code du travail marocain qui ignore le harcèlement moral ?
C’est un Code du travail assez surprenant. Nous avons dans le préambule des intentions marquées très fortes, notamment sur la «dignité» du salarié. Un terme qui revient à de nombreuses reprises. «Le travail ne constitue pas une marchandise et le travailleur n’est pas un outil de production», est-il également écrit. On ne retrouve malheureusement aucune de ces intentions fortes dans les articles. Mais la prise en compte
de la question dans les textes ne se fera, à mon avis, que lorsque les partenaires sociaux s’y intéresseront. Mais est-ce vraiment
le cas ?

La notion est peut-être encore floue dans les esprits. Existe-il des outils permettant d’éviter ces confusions?
Toute situation de conflit, de stress, ne relève pas du harcèlement moral, bien sûr. Mais ces confusions sont souvent volontairement entretenues.
Nous déplorons aussi une connaissance trop partielle du sujet de la part des salariés, des juges et avocats, des syndicats, DRH… C’est pourquoi il est essentiel de faire de la prévention. Les conséquences du harcèlement moral peuvent être très graves et particulièrement destructrices. A certaines périodes, nous enregistrons quelque trois ou quatre suicides par semaine. Nous sommes loin de la «judiciarisation» à outrance et des dérives à l’américaine à la limite de la caricature que certains craignaient. Nous avons effectivement mis en place des outils, notamment un questionnaire, afin d’être certains que nous sommes bien en présence d’un cas de harcèlement moral : Quels sont les facteurs déclenchants ? La victime est-elle systématiquement visée ? Les actes sont-ils répétés ? Y a-t-il volonté délibérée de nuire ?…

Avez-vous eu connaissance d’initiatives en direction du Maroc sur le sujet ?
J’ai récemment été contacté par la «Convention France Maghreb» qui souhaitait organiser un colloque sur le sujet à Casablanca et Rabat. Le nombre d’entreprises ayant répondu présent étaient tellement ridicule qu’il semble que le projet soit tombé à l’eau ou reporté. Mais, à en juger par les appels que nous recevons de personnes employées dans des entreprises marocaines sur le sol français, il est difficile d’imaginer que le Maroc soit épargné. Nous avons par exemple des dossiers très épais sur des banques, dont les agissements relèveraient presque du pénal ! Des plaintes également émanant de sociétés de transport. Le secteur des centres d’appels, actuellement en plein boum au Maroc, est traditionnellement aussi un terrain favorable. Le harcèlement pourrait donc bien concerner aussi des entreprises françaises au Maroc.

Quelles sont les raisons de l’ampleur de ce phénomène aujourd’hui ?
Le durcissement du monde du travail et sa compétitivité exacerbée, la déshumanisation des relations de travail et l’hyper individualisation en forment sans doute les causes essentielles. Le secteur public, qui adopte aussi de plus en plus des techniques de management privé, reste le haut lieu du harcèlement pervers.

Y a-t-il un profil du harceleur ?
Il y en a assurément plusieurs. Il y a le harceleur managérial, le cost killer en service commandé, une sorte d’animal à sang froid, sans états d’âme, qui agit sur ordre de la hiérarchie.
Et puis, il y a les pervers, très nombreux, le paranoïaque, par exemple, ou le pervers narcissique qui peuvent vous anéantir. Il est intéressant de reconnaître ces profils pour préparer des parades. Il s’agit toujours d’en parler à la hiérarchie, aux syndicats… de recueillir des témoignages, des preuves (mails, post-it…). Et je conseillerai, bien sûr, d’éviter de démissionner en abandonnant ainsi tous ses droits.