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Carrière

«Il m’est difficile d’admettre l’idée d’une beauté standardisée !»

Plus que des traits figés, la beauté est une mise en dynamique du physique dans la communication avec l’autre.
Possible «facilitateur» de promotion, la beauté ne compte pourtant pas,
dans le monde du travail, si elle n’est pas soutenue par d’autres qualités.

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Faut-il accorder un crédit aux études sur le pouvoir de la beauté dans le destin professionnel des individus ? Le physique est-il un facteur de discrimination? Dans les entreprises, le sujet reste tabou du fait que personne ne veut être épinglé pour cause de discrimination. De toutes les manières, la notion de beauté est elle-même relative et doit être relativisée.
C’est l’avis d’Assia Akesbi Msefer, psychologue.

La Vie éco : Le physique vous semble-t-il un facteur déterminant dans le monde du travail ?
Assia Akesbi Msefer : A priori, je dirai que ce n’est pas un élément anodin, surtout lors du premier contact, dans des situations d’entretien d’embauche, par exemple. Ceci dit, la beauté est une notion toute relative. Une jeune recrue pourra plaire aux uns et déplaire fortement aux autres. On sait la part importante de transfert dans ce genre d’appréciation, de projections et d’introjections. Il est d’ailleurs très rare de se mettre d’accord sur des critères objectifs du beau. J’ai participé à des commissions de recrutement dans lesquels les intervenants avaient souvent une perception radicalement opposée d’un même candidat. Je me souviens par exemple d’une jeune fille dont le sourire agaçait certains, qui le jugeaient trop mécanique, et en charmait d’autres. Il est heureux finalement que les perceptions soient si différentes.

Est-ce à dire que la beauté n’existe pas ? Est-ce votre démarche thérapeutique qui vous fait nier cette notion et son corollaire discriminatoire ?
Peut-être et il ne me semble pas non plus utile de déprimer davantage les personnes se jugeant moins belles. Dans la gestion d’une carrière, le physique importe, certes, mais il est vite épuisé s’il n’est pas soutenu par d’autres qualités, de socialisation, de communication, par des compétences techniques et humaines. Il peut être en effet un «facilitateur» de promotion. Il peut aussi être un frein. La déception est souvent à la mesure de l’attente. La personne jugée belle pourra payer plus durement la déception qu’elle a suscitée. Parler de discrimination me gêne. Je ne vois pas comment on peut trouver une personne laide dans l’absolu.

Pour vous, donc, ces études sur l’importance du physique dans l’entreprise sont «bidon»?
Je ne vois pas bien l’intérêt et la finalité de telles études. Je remets aussi en cause les résultats qui aboutissent à une standardisation du beau à laquelle je n’adhère pas. Je le répète, les critères esthétiques sont, par définition, strictement personnels et relatifs.
J’ai souvent été, par exemple, en admiration devant des physiques d’hommes et de femmes que je recevais comme patients. Pourtant, beaucoup avaient une représentation très négative de leur corps. On peut alors se demander si les critères apparemment objectifs le sont tant que ça… Je ne vois pas comment on peut être unanime sur des critères objectifs du beau. De plus, le physique, ce n’est pas uniquement des traits figés, mais la manière avec lesquels ils sont mis en dynamique quand on s’adresse à l’autre.
La beauté c’est en quelque sorte le mouvement et le transfert positif établi et suscité chez l’autre. Le physique c’est aussi le sourire, la tenue vestimentaire et comportementale, l’intonation de la voix, la façon d’écouter l’autre… Ajoutons que le physique est apprécié très différemment selon le sexe de la personne «évaluée». Ce qui est apprécié chez une femme peut constituer pour un homme un élément de dépréciation. Une voix douce peut ainsi être perçue chez l’homme comme un manque de dynamisme, de fermeté… De même, on appréciera davantage une grande taille chez un homme que chez une femme.

Etes-vous en contact avec des patients qui souffrent de leur apparence ?
Oui, et ces personnes ne souffrent pas uniquement sur le plan professionnel, bien sûr. Ces appréciations négatives qu’elles ont d’elles-mêmes proviennent souvent de critiques qu’elles ont intériorisées dans leur jeune âge. Le premier miroir est maternel. Mais un père qui répète inlassablement à sa fille qu’il aurait aimé qu’elle soit autrement ou qu’elle ressemble à sa sœur laissera forcément des traces.

Un physique agréable peut-il devenir dans certains cas un handicap ?
Lorsque j’étais écolière, on disait parfois devant moi que telle jolie fille n’aurait pas besoin de faire des études. Et c’est un fait que ces jolies filles se mariaient souvent jeunes et quittaient le cursus scolaire. On ne peut pas dire alors que leur physique leur ait rendu service. C’est également vrai pour certains hommes beaux qui se sont reposés sur leur charme physique, développant de ce fait quelquefois moins d’ambition. A contrario, le sentiment de manque est souvent à l’origine du développement d’autres qualités

J’ai souvent été en admiration devant le physique de personnes que je recevais comme patients. Pourtant, beaucoup avaient une représentation très négative de leur corps. On peut alors se demander si les critères apparemment objectifs le sont tant que ça…

assia akesbi msefer Psychologue «Le sentiment d’un manque au plan du physique est souvent à l’origine du développement d’autres qualités».