Affaires
Bouthayna Iraqui : Pas candidate pour un second mandat à la tête de l’AFEM
La présidente sortante, en juin prochain, estime qu’en trois ans l’association a été restructurée en profondeur.
Pour elle, l’alternance est le meilleur garant de la démocratie : objectif, éviter que l’image
de l’institution ne se confonde avec celle de son dirigeant.
La base des affiliées a été élargie : de 273 membres en 2006 à 410 aujourd’hui.

Finalement, vous jetez l’éponge à l’issue d’un premier mandat !
Je suis une amoureuse du sport et parler dans un référentiel sportif est amusant. La métaphore à mon avis n’est pas appropriée. En boxe, on jette l’éponge quand on est à bout de souffle. En ce qui me concerne je peux dire que j’ai pris le souffle de l’endurance et le ring de boxe m’est devenu trop étroit ! Le bureau et moi-même avons un bilan très positif et avons relevé le défi de mener l’AFEM à un niveau d’excellence conformément à la vision que nous en avions alors même que nous menions notre campagne électorale en mai-juin 2006 !
Maintenant est venu le temps de l’alternance, pour permettre à d’autres femmes d’apporter également leur énergie et leur intelligence, et assurer la continuité. C’est la raison pour laquelle j’ai décidé de ne pas me porter candidate pour un nouveau mandat car ma conviction profonde est que l’alternance est un garant essentiel de la démocratie. L’alternance permet à chacun et chacune d’apporter sa pierre à l’édifice et surtout seule l’alternance évite la confusion préjudiciable de l’image d’une institution avec celle d’un dirigeant immuable.
Le succès d’un mandat dans l’associatif est la conjugaison d’une forte motivation, d’une bonne dose d’enthousiasme et enfin l’engagement sur un programme ambitieux.
Si vous aviez à parler de l’AFEM il y a trois ans et si vous deviez en parler aujourd’hui, qu’est-ce qui a changé ?
Lorsque j’ai été élue présidente de l’AFEM en juin 2006, j’avais mis la barre très haut bien que j’avais eu, à cette époque, le souci premier de constituer un bureau dont la plupart des membres étaient était totalement inconnus du public. Notre force était que nous formions une équipe soudée autour d’une même vision, celle d’une association patronale qui veut influer réellement sur le développement économique du Maroc et surtout qui se doterait des moyens de ses ambitions.
Aujourd’hui, l’AFEM s’est structurée : elle est certifiée Iso 9001-2000. Elle s’est dotée d’une équipe de 10 permanents (au lieu de 2 en 2006). Elle est installée avec Casa Pionnière, l’incubateur d’entreprises, sur un plateau de bureau de 500 m2 offrant un cadre de travail agréable au lieu du bureau de moins de 20 m2, emprunté à l’époque à la CGEM.
Votre programme était basé sur trois axes : régionalisation, création d’entreprises au féminin et développement de l’entreprenariat féminin, notamment grâce à la reconversion des diplômés. Après trois ans, quel bilan dressez-vous ?
Le plus grand défi fut la régionalisation de l’AFEM. Ce ne fut pas chose facile, car il ne suffisait pas de créer des délégations de l’AFEM, mais de les rendre opérationnelles et pérennes. C’est fait aujourd’hui et nous disposons des délégations de Rabat, Tanger, Fès et Marrakech. Agadir sera créée le mois prochain, et pour la région de l’Oriental nous avons lancé dans ce sens une étude sur le potentiel de l’entreprenariat féminin. On peut noter au passage que durant ce mandat, le recrutement des nouveaux membres de l’AFEM s’est fait en majorité dans les régions (à plus de 80%). Cela a confirmé notre vision : démontrer combien le Maroc dans son ensemble est riche en potentialités entrepreneuriales et pas seulement l’axe Casa-Rabat. On peut aussi souligner que grâce à la certification Iso 9001-2000, que l’AFEM est fière d’avoir décroché, toutes ces délégations fonctionnent désormais selon les mêmes process et dans une parfaite transparence. Cette certification était indispensable à la pérennisation de l’esprit de l’association notamment dans l’optique de la délégation opérationnelle aux bureaux régionaux. Quant à la création d’entreprise au féminin, l’incubateur Casa Pionnière est désormais opérationnel depuis plus d’un an et 20 jeunes femmes ayant créé leurs entreprises y sont domiciliées. Elles profitent de formations et de l’accompagnement nécessaire à l’amélioration de leurs performances, notamment durant les deux premières années critiques de la vie de leur entreprise.
On peut noter dans ce contexte que l’un de nos bailleurs de fonds, en l’occurrence la Coopération Espagnole, a renouvelé à deux reprises son soutien financier et méthodologique après l’évaluation du travail réalisé par l’AFEM à ce propos. L’incubateur de Rabat sera inauguré dès le mois prochain. Celui de Fès a déjà son bailleur de fonds.
Enfin, dans le cadre du développement de l’entreprenariat féminin, le projet Reprofilage a permis, dans sa première phase, à 38 jeunes femmes diplômées chômeuses sur 42 d’être embauchées après une formation spécifique et des stages délivrés dans des entreprises en majorité membres de l’AFEM. Nous avons réussi à lancer une seconde phase de ce projet grâce à la coopération canadienne pour 60 autres jeunes femmes diplômées chômeuses.
Avec tout cela, combien d’entreprises affiliées ?
A aujourd’hui, l’AFEM compte 410 membres.
Que demande l’AFEM a une entreprise pour s’affilier ?
Une femme chef d’entreprise peut devenir membre de l’AFEM si son entreprise (créée depuis plus de 6 mois) est sous forme de société et si elle en est réellement dirigeante. De plus, elle doit être marrainée par une autre membre de l’association.
A contrario, si une entreprise ne respecte pas ses engagements, sériez-vous prête à la radier ? Y a-t-il eu des cas d’espèce et pour quelles raisons ?
Lors du premier conseil d’administration de mon mandat, j’ai pris la décision de nettoyer la liste des membres en supprimant celles qui ne remplissaient plus les conditions de membership ou qui ne s’étaient pas acquitté de leurs cotisations. Il y a eu ainsi une première liste de 20 entreprises radiées dès juillet 2006. L’AFEM à l’époque comptait 293 membres inscrits sur ses listes mais, comme nous voulions démarrer sur des bases réelles, nous avons pris cette décision et considérions une base de 273 membres. Maintenant, cette règle est systématiquement appliquée. Les membres d’une association ont des droits, mais leur première obligation est de s’acquitter de leurs cotisations !
Parlons argent. Quelles sont les ressources de l’AFEM, d’où viennent-elles, qu’est-ce qu’il en est fait ?
Argent ! Argent ! Durant ce mandat de 3 années, mon équipe et moi-même avons levé auprès des bailleurs de fonds près de 10 millions de DH en direct et plus de 5 millions de DH supplémentaires ont été gérés par les bailleurs eux-mêmes au profit des projets de l’AFEM ! Pour comparaison l’AFEM avait levé durant les 6 années précédentes moins de 2 millions de DH …
Si demain une entreprise gérée par un homme voulait rejoindre vos rangs, quelle serait votre position ?
Personnellement, j’ai toujours avancé l’idée qu’il faudra un jour revoir les statuts pour donner cette possibilité à des hommes chefs d’entreprise. Dans la mixité, les débats ne peuvent que s’enrichir.
Poussons le raisonnement, plus loin. Imaginez que vous atteignez, par exemple, un tiers de membres masculins, la dénomination AFEM garderait-elle toute sa pertinence ?
L’un n’exclut pas l’autre. Ce seront des femmes et des hommes qui œuvreront ensemble au profit du développement de l’entreprenariat féminin. Car, de par le monde, l’entreprenariat féminin a du mal à se développer. Il faudra encore des décennies avant que le nombre d’entreprise créées par les femmes égale celui des entreprises créées par des hommes. L’association a pour vocation de défendre une minorité qui, dans le cas présent, est le développement de l’entreprenariat au féminin.
In fine, pensez-vous qu’une association patronale féminine ait sa place dans un monde des affaires de moins en moins sexiste ?
Le Maroc est un pays moderne où effectivement le monde des affaires est de moins en moins sexiste, mais souvent ce n’est qu’en apparence ! C’est un pays à deux vitesses de par son héritage culturel et les mentalités.
Le reflexe, pour une femme, de créer une entreprise est encore nouveau. Culturellement, on encouragerait plus sa fille à décrocher un «bon» poste dans une administration plutôt que de lui suggérer de créer une entreprise ! De fait, les femmes chefs d’entreprise, n’étant pas nombreuses, se trouvent isolées et coupées des réseaux d’affaires si elles n’adhèrent pas à des associations telle que l’AFEM. Si l’entreprise gérée par une femme est encore petite, elle sera isolée et menacée.
Revenons à votre non candidature. Estimez-vous qu’au sein de l’association il y a des profils valables pour prendre la relève ?
Bien entendu. Les membres de l’AFEM sont des chefs d’entreprise. Elles ont toutes du leadership, elle savent gérer, elles savent prendre des risques. Je vous ai dit précédemment que le succès dans l’associatif c’est la motivation et l’enthousiasme. Durant mon mandat, j’ai appris à reconnaître ces qualités chez un grand nombre de membres de l’AFEM. Je suis franchement confiante quant aux capacités de la nouvelle équipe dirigeante qui sera élue. J’ajoute à cela qu’elle prendra la relève d’un travail organisé avec soin et une association structurée.
Prendrez-vous parti pour l’une ou l’autre des candidates, si c’est pour le bien de l’AFEM ?
Non, le bien de l’AFEM c’est de veiller à préserver le processus démocratique. Chaque candidate devra mener sa campagne électorale et convaincre par un programme sur lequel elle s’engagera. Mon rôle en tant que présidente est de veiller au bon déroulement de ces élections dans le respect des règles d’éthique et de transparence.
Et s’il n’y avait pas de candidate, ou si l’on insistait pour que vous rempiliez ?
Penser qu’il n’y aurait pas de candidates serait sous-estimer les capacités des femmes chefs d’entreprise.
