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Affaires

Berkane, capitale de la clémentine, menacée par la raréfaction de l’eau

La récolte et le conditionnement des agrumes génèrent 8 000 à 9 000 emplois pour un total de plus de 2 millions de journées de travail

La région, qui assure 50% des exportations de clémentines, souffre à la fois d’une insuffisance des ressources hydriques et d’un problème de salinité de la nappe phréatique.

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Si la renommée de Berkane est portée, aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays, par ses fameuses oranges et notamment sa clémentine sans pépins, ce n’est pas pour autant que l’on a facilité l’accès par la route à la région, pourtant largement fréquentée par les camions qui transportent les agrumes vers les port pour y être exportés. Pour aller à Berkane, il faut, en effet, sortir de l’axe routier principal Taza-Oujda, qui fraye son chemin à travers la plaine de l’Oriental, et aller vers les montagnes de Beni Znassen, qui abritent cette partie envoûtante du pays. Soustraite au regard indiscret du voyageur pressé ou non averti, il faut avoir délibérément choisi de la découvrir pour prendre la direction de Tafourghalt avant d’emprunter, sur une bonne vingtaine de kilomètres, une route sinueuse, étroite et laborieuse qui ménage une entrée vers la plaine que cache jalousement la montagne. Et c’est cette montagne qui lui assure une protection contre les gros aléas climatiques, lui offrant, dans la cuvette où elle se love, un climat favorable où la température se situe entre 17 et 20 degrés durant toute l’année. Les habitants de Berkane s’enorgueillissent d’ailleurs de ne voir descendre le thermomètre jusqu’à -1 ou -2 degrés qu’une ou deux fois par décennie.

Un site protégé et un micro-climat favorable
De ce fait, la région de Berkane, appelée l’oasis de l’Oriental, et qui compte quelque 150 000 âmes, fait penser au Moyen-Atlas, par les voies escarpées et tortueuses qui y conduisent, et, dans le même temps, on a l’impression d’être en plein Haouz, de par son site étalé au pied de la montagne, et protégé par ses contreforts.
Voilà donc un havre de paix dont le sol, limono-argileux, est servi par un écosystème protégé par les reliefs, qui n’est qu’à quelques encablures de la mer et de deux frontières, celle de Melilia occupée, et celle du voisin algérien. Entre la manne de l’agriculture et les opportunités des produits de la contrebande – le carburant algérien est vendu moitié prix par rapport à la station-service, quasiment en plein boulevard, tout comme sont présents les produits électroménagers – les Berkanis sont d’humeur plutôt cachottière et réellement peu prolixes avec les visiteurs. Pourtant, c’est une région travailleuse où se concentre une main-d’œuvre de 8 000 à 9 000 personnes qui s’activent durant la période à cheval entre deux années (de novembre à janvier) autour de la récolte et du conditionnement des oranges et des clémentines (2 millions de journées de travail y sont créées, chaque année). Les agrumes y concernent, en effet, 13 000 hectares (sur les 36 000 ha de superficie irriguée), avec un rendement de 18 à 22 tonnes à l’hectare.

Une production moyenne de 120 000 t d’agrumes, dont 80 % vont à l’export
Le succès de cette culture, explique Haj Brahim, exploitant agricole et chef d’antenne de l’Aspam (Association des producteurs d’agrumes marocains), remonte à la période coloniale et ne s’est pas démenti par la suite puisque la production d’agrumes est, en moyenne, de 120 000 tonnes, dont 80 000 exportées. Quelque 18 stations de conditionnement et 11 unités frigorifiques y sont installées. Elles exportent 70 % de la production de la région par le port de Nador. Parmi les plus importantes, Socober. Elle emploie 550 ouvriers durant la haute saison, réalise 18 % des exportations et dégage un chiffre d’affaires de 70 MDH.
A côté de l’arboriculture, constituée à hauteur de 60 % par les agrumes, et marquée par un net retour de la vigne, d’autres cultures comme les céréales, le maraîchage et les cultures sous abri sont bien représentées dans la région. Il y a également la betterave, qui occupe une moyenne annuelle de 4 300 ha et fournit l’unité sucrière de Zaïo, qui produit 30 000 à 35 000 tonnes de sucre par an. En plus, les agriculteurs font tous de l’élevage une activité d’appoint.
Malgré cela, les agriculteurs sont mécontents de leur sort. S’ils peuvent tirer, en bonne année, 40 000 DH par hectare d’agrumes (à raison de 3 DH le kg d’orange vendu), entre 5 000 et 9 000 DH pour l’hectare de betterave cultivé et à peu près la même rentabilité pour l’olivier, ce qui leur pose problème, aujourd’hui, c’est le déficit en eau de leur région. En effet, les besoins annuels sont estimés à 650 millions de m3, alors que le barrage Mohammed V, mis en service en 1956, et aujourd’hui envasé à 50 % de sa capacité, n’en fournit que 330 millions, explique Ouhda Moha, chef du service de l’équipement agricole à l’Office régional de mise en valeur agricole de Moulouya-Berkane.
«Un hectare de culture agrumicole a besoin de 14 000 à 15 000 m3, mais le disponible actuel est d’à peine 10 000 m3», explique Haj Brahim Taïbi.
A cette raréfaction de la ressource, il faut ajouter le taux de salinité important que la région doit à la proximité de la mer et à la nature du sol. En outre, la pluviométrie, contrairement à ce que l’on peut penser, n’est pas très généreuse puisqu’elle est de 300 à 350 mm par an. «Certes, se défend Haj Brahim Taïbi, cette année a connu un excédent de pluie sur tout le pays pratiquement et notre région a eu droit à 600 mm. Mais c’est une exception».
Si le problème de l’eau appelle le département de tutelle à la réflexion, la région se prête parfaitement à l’investissement dans plusieurs domaines. On peut citer naturellement le domaine de la transformation des agrumes (surtout après la disparition de Frumat, qui fournissait le marché national à 90 % de ses besoins), le secteur des aliments du bétail ou encore des produits de traitement agricole et, bien entendu, le tourisme.

Les besoins annuels en eau sont estimés à 650 millions de m3, alors que le barrage Mohammed V, mis en service en 1956, et aujourd’hui envasé à 50 % de sa capacité, n’en fournit que
330 millions.