Affaires
Banques : la notation de la clientèle des professionnels bientôt disponible
Plusieurs banques mettent en place ou améliorent leurs systèmes de notation interne dédiés aux professionnels. Elles veulent maîtriser les risques sur ce segment de plus en plus prépondérant dans leurs activités. Les premiers rapports de notation, consultables à la demande, attendus d’ici la fin de l’année.

Les banques vont évaluer plus minutieusement leurs clients professionnels. Selon des sources bien placées dans le secteur, plusieurs établissements, y compris les plus grands, sont en train de mettre en place ou de perfectionner leurs modèles de scoring spécifiques à cette cible. «L’objectif est de mieux mesurer les risques de défaut que présente cette population à profil spécial», explique un banquier. Il relève que les professionnels (mot qui englobe également les professions libérales et une bonne partie de TPME personnes physiques) prennent de plus en plus d’importance dans le business model de toutes les banques mais, en face, ils sont jugés plus risqués parce que plus difficiles à jauger que le reste de la clientèle. «La difficulté résulte de l’absence de bilans, de la confusion de patrimoines personnel et professionnel, du manque de gouvernance, de l’absence de règles financières… Ce qui rend impossible toute analyse factuelle ou prévision du comportement de ce segment», explique un cadre du Crédit du Maroc.
Il faut dire que devant la léthargie du crédit bancaire et les incidents récents de quelques grands groupes, les banques n’ont plus le choix et se voient obligées d’élargir leur portefeuille clientèle, surtout qu’elle est une cible solvable, dynamique et porteuse d’affaires (elle compte beaucoup de prescripteurs). D’après les estimations recoupées de quelques banquiers, les comptes des professionnels dépassent les 500000 en moyenne chez les trois premières banques, génèrent entre 20 et 30% de leur PNB et sont appelés à croître d’une manière significative grâce au statut de l’auto-entrepreneur qui compte plus de 35 000 inscrits depuis son démarrage.
Les banques sont libres de choisir leurs modèles de scoring
Cependant, face à la montée en flèche des créances en souffrance (61 milliards de DH, soit 7,5% de l’encours des crédits à fin décembre), «cette ambition commerciale de ratisser large pour développer le fonds de commerce doit être très surveillée et encadrée par des outils scientifiques», estime le directeur d’un cabinet de recouvrement, qui note au passage que les litiges impliquant des professionnels personnes physiques sont plus nombreux qu’il y a quelques années.
En fait, plusieurs zones d’ombre entourent l’activité de ces clients. De surcroît, une majorité des personnes physiques n’ont pas de relève assurée, ce qui n’est pas sans préoccuper les banques sur leurs engagements en cas de décès.
Amine Diouri, responsable des études PME chez Inforsik et qui travaille actuellement sur l’amélioration du système de scoring réservé aux professionnels chez une grande banque de la place, note en substance que quelques établissements ont déjà des grilles de notation pour les professionnels, qui ont été développés par les équipes et avec les moyens en interne, sachant que les normes de Bâle II et Bâle III obligent les banques à avoir une grille de notation, mais leur laissent le libre choix quant à la construction des modèles. «Les banques ont pris conscience que la notation des professionnels n’est pas un travail d’amateur ; c’est un process industrialisé appliqué à la masse. Ces grilles doivent être perfectionnées avec l’aide d’experts pour aider à prendre les décisions justes», souligne M. Diouri. Il n’y a pas que cela ! Les banques se sont aussi engagées auprès de Bank Al-Maghrib et de la CGEM lors de la réunion de janvier 2016 à être plus transparentes sur les notes accordées à leurs clients corporate et professionnels et à les communiquer à la demande des intéressés.
Les relations entre banquiers et clients vont être dépersonnalisées
Force est de constater que la notation des professionnels va dépersonnaliser les relations entre banquiers et clients. Jusqu’ici les rapports tiennent surtout au relationnel et se basent rarement sur des éléments financiers tangibles. «Souvent, lorsque le banquier est affecté ailleurs, son successeur a souvent du mal à évaluer la contrepartie et valider un engagement. En jetant dorénavant un coup d’œil sur le rapport de notation, le chargé de compte peut prendre la décision qui s’impose en toute connaissance de cause et engager la banque de la manière la plus juste», commente un analyste risque.
Concrètement, les professionnels seront notés d’une manière spéciale en fonction de leur profil. En effet, devant l’absence de données financières, les banques vont procéder par «similitude» pour noter cette population qui compte également une grande partie de TPME, faut-il le rappeler. Les grilles de notation seront ainsi basées sur des ratios par activité/secteur. Par exemple, un boulanger personne morale, souvent structuré de la même façon qu’un boulanger personne physique, est censé avoir les mêmes indicateurs. De plus, les banques vont davantage adosser leurs grilles à des éléments qualitatifs tels que la relation de la banque avec son client, la qualité du dirigeant/entrepreneur, son comportement bancaire (via le rapport Credit Bureau)…
«Pour les entreprises, le chantier de la notation a été lancé au deuxième trimestre de 2016 et devra être opérationnel dans les prochains mois. Concernant les professionnels, la dynamique est en marche. D’ici la fin de l’année, nous devrons avoir les premiers rapports de rating des professionnels qui pourront être consultés à leur demande», avance une source du secteur. Un autre banquier estime que les architectures informatiques peuvent être prêtes bien avant, étant donné que les banques s’activent particulièrement sur ce registre. Elles veulent se doter des outils adéquats pour ne pas laisser échapper cette clientèle qui, certes, représente un grand intérêt commercial mais fait peser de grands risques sur leurs comptes.
