Affaires
Bank Al-Maghrib serrera-t-il la vis aux banques ?
Des discussions en cours avec le GPBM pour réduire le ratio de division des risques de 20% à 15%. Une telle mesure réduirait la capacité d’emprunt du secteur bancaire de près de 19 milliards de DH. Un impact certain sur le financement des grands projets d’infrastructure mais également la propension à accompagner les grands groupes.
Les banques marocaines sont-elles trop exposées aux grands groupes économiques ? A peine ont-elles eu le temps de savourer la récente décision des autorités monétaires de ramener le taux directeur de 3,25% à 3%, ce qui réduit leur coût de refinancement à court terme sur le marché, que leur capacité d’emprunt pourrait se voir réduite dans le but de sauvegarder la solidité du système financier. Il faut dire qu’avec la dégradation des créances en souffrance et les contentieux aux montants parfois colossaux qui affectent le secteur bancaire, la décision de réduire l’exposition maximale n’aurait rien de surprenant.
On rappellera, à cet effet, la déconfiture du groupe Legler qui a plombé, à lui seul, les comptes d’une des banques à hauteur de 800 MDH ou encore, plus récemment, les déboires des sociétés maritimes locales auxquelles trois banques sont lourdement exposées avec un encours qui frôle les 3 milliards de DH.
Un dispositif resté inchangé depuis 2001
C’est sans doute pour cela que le régulateur a placé dans son collimateur le ratio de division de risques qui constitue, avec le ratio de solvabilité et le ratio de liquidité, la pierre angulaire du dispositif prudentiel auquel les banques sont soumises et qui n’a pas connu de modifications majeures depuis la circulaire de Bank Al-Maghrib n° 3/G/2001 datant du 15 janvier 2001 (voir encadré) soit du temps du précédent gouverneur Mohamed Sekkat. Aussi, les établissements de crédit qui ont eu le temps de réagir lors de réunions bilatérales au ballon d’essai lancé par l’organe de supervision depuis quelques semaines attendent avec appréhension une telle prise de décision, qui, selon des sources bien informées, reste en ballotage, les discussions se poursuivant à l’heure où nous mettions sous presse.
Il faut dire que l’enjeu est de taille non seulement pour les seuls établissements de crédit directement concernés mais pour l’ensemble du circuit de financement de l’économie. Car en ramenant le coefficient maximum de division des risques de 20% à 15%, Bank Al-Maghrib obère de façon significative la capacité maximale de distribution de crédits des banques et sociétés de crédit-bail marocaines (les sociétés de crédit à la consommation ne seront presque pas touchées car, au regard de la nature même de leur activité, elles sont de tout temps restées très en deçà du plafond imposé par ce ratio) et rend, de facto, près de 19 milliards de DH d’encours de crédits actuels en porte-à-faux avec la réglementation (voir tableau ci-joint). Il s’agit notamment des crédits dits corporates octroyés aux grandes entreprises et plus généralement aux ensembles d’entreprises faisant partie des mêmes groupes. Les principales banques touchées seront donc celles qui sont très actives sur ce segment et, a fortiori, celles qui ont un marché «captif», en l’occurrence celui des groupes diversifiés auxquels elles appartiennent elles-mêmes. Sans surprise, Attijariwafa bank et BMCE Bank seront les plus durement touchées. La première pour être très impliquée dans le financement des différentes filiales de sa maison mère et la deuxième pour des raisons similaires avec Financecom. L’autre banque du trio de tête, la BCP, ainsi que les établissements de taille intermédiaire telles les filiales des banques françaises, assez dynamiques dans le métier de financement de projets, ne seront pas non plus épargnées.
Des banques qui ont déjà eu recours à leurs actionnaires et au marché plusieurs fois
Quant aux opérateurs de leasing dont la taille des fonds propres est considérablement moins importante que les banques – le leader du secteur, Maroc Leasing en l’occurrence, n’en revendique «que» 767 MDH -, une telle mesure ébranle sérieusement la compétitivité du crédit-bail auprès des grandes entreprises, notamment le produit du leasing immobilier qui concentre des encours moyens plus importants.
Tout ce monde serait alors acculé soit à augmenter ses fonds propres, ce qui n’est pas évident, sachant que la majorité d’entre elles ont déjà tendu la sébile à leurs actionnaires au cours des dernières années pour se conformer au relèvement du ratio de solvabilité de 8% à 10% en fin 2008 ou pour financer un développement soutenu (4 milliards de DH ont été levés au cours du seul deuxième semestre 2011 par BCP et CIH), soit à réduire la voilure avec leurs premières contreparties. Dans ce dernier cas de figure, le plus plausible, cela requiert le remboursement par anticipation des tranches d’encours devenus «de trop». Ce qui reviendrait à refinancer ces dettes auprès d’autres organismes et donc pousserait les Corporates à diversifier au maximum la source de leur endettement ou encore à se tourner vers le marché des capitaux pour lever de la dette privée, notamment les obligations. Une aubaine pour un compartiment qui commence à peine à sortir de sa torpeur au cours des dernières années avec un nombre d’émetteurs privés qui est passé de 6 en 2007 à 18 en 2010 puis à 34 en 2011. Les banques d’affaires seraient donc bien avisées de commencer d’ores et déjà à courtiser les grands émetteurs potentiels qui ont boudé le marché des capitaux depuis plusieurs années tant la détente des taux d’intérêt des prêts bancaires et la bonne santé des grandes banques les avaient plutôt intimés à se servir dans le circuit «intermédié». Une perspective bienvenue dans un contexte de morosité boursière et qui leur permettra de reprendre du terrain face aux banques classiques…grâce à la banque de tutelle.
Mais tout cela devra attendre une décision que le régulateur soupèse… au gramme près. Car, au delà de réduire le risque d’exposition du secteur, la diminution du ratio de division des risques de 5 points aura un impact sur les financements des gros projets d’investissement menés par les groupes étrangers au Maroc de même qu’elle pèsera sur la capacité du secteur bancaire qui a accompagné les gros projets d’infrastructures du pays, et notamment ceux menés par les établissements publics. Il faut rappeler à cet effet que l’encours de la dette bancaire des établissements publics a crû de 53,6%, passant de 16,8 à 25,8 milliards de DH. A titre de comparaison, le ratio maximum de division des risques est plus généreux en France qu’au Maroc puisqu’il est établi depuis quelques années à 25%. Seulement, comparaison n’est pas raison : dans l’Hexagone, la taille du secteur bancaire français, rapportée aux besoins de financement de l’économie affiche un ratio nettement plus élevé que ce qui se passe au Maroc. Autrement dit, chaque pays a ses spécificités. Reste à savoir maintenant ce que va décider le régulateur.