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Bank Al-Maghrib réussira-t-elle à  relancer le crédit en faveur des entreprises ?

De 30% en 2007, la croissance du crédit retombe à  4,4% aujourd’hui. Avec l’essoufflement de l’immobilier et l’effritement des réserves de change, la croissance monétaire ralentit fortement.
La banque centrale a décidé de conditionner son soutien au système bancaire par l’octroi de crédits au secteur productif.

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Bank Al Maghrib 2014 06 10

Bank Al-Maghrib (BAM) mène depuis le 26 mai une sorte de road-show à travers une dizaine de villes du pays pour présenter et expliquer les mesures qu’elle a prises récemment en faveur du financement des toutes petites et moyennes entreprises (TPME). Il était temps. Car ce segment d’entreprises, qui représente pourtant l’essentiel du tissu entrepreneurial du Maroc et contribue pour 50% environ à l’emploi total, souffre des difficultés d’accès au crédit. Des difficultés qu’il ne faudrait peut-être pas s’empresser d’imputer aux banques, seules, car celles-ci sont soumises à des ratios prudentiels qu’elles doivent impérativement respecter.

En s’impliquant dans le financement des TPME à travers, entre autres, des avances de liquidités conditionnées au secteur bancaire, BAM donne aux banques pour ainsi dire le feu vert pour une prise de risque, sans doute calculée, sur ce profil d’entreprises. Mais il fallait de toutes les façons y venir, car aujourd’hui la croissance des crédits bancaires est en général sur une tendance baissière. D’un peu plus de 30% en mars 2007, le taux de croissance des crédits ressort à 5,3% en mars 2014, en glissement annuel. En considérant les chiffres du mois d’avril, que BAM vient de publier, la croissance du crédit est de 4,4%, toujours en glissement annuel.

Pour faire face au problème de sous-liquidité du système bancaire, BAM multiplie ses interventions (67 milliards de DH au mois d’avril), en particulier les avances à 7 jours (46 milliards de DH) et, depuis 2008, a abaissé la réserve monétaire à 7 reprises, la ramenant de 15% à 2% actuellement.

On peut ici se poser la question de savoir si le ralentissement du crédit est la conséquence du problème de sous-liquidité, d’une baisse de la demande ou encore de la «non-solvabilité» d’une partie au moins de cette demande. Qu’est-ce qui s’est passé entre 2007/2008 et aujourd’hui pour que la croissance du crédit passe en gros de 30% à 5%? Les considérations liées à l’inflation, qui auraient pu expliquer ce retournement, sont totalement absentes, puisque l’évolution des prix, de façon globale, est restée à un niveau maîtrisé (1,7% en moyenne par an depuis 2000). D’ailleurs, soit dit en passant, ceci soulève une autre question, celle de l’absence de tensions inflationnistes lorsque la masse monétaire, par suite de la hausse des crédits et de la contrepartie externe, croissait à un rythme élevé, atteignant même 18% en 2006.

Le taux de croissance de la masse monétaire proche de celui du PIB réel

C’est vrai que durant les trois années (2006, 2007 et 2008) où la croissance de la masse monétaire fut particulièrement élevée (18,1%, 17,5% et 13,4% respectivement), l’inflation avait quelque peu grimpé (3,3%, 2,5% et 3,7%, respectivement). Mais globalement, entre les deux variables, l’écart est resté considérable : 12,8% de croissance annuelle moyenne de la masse monétaire entre 2000 et 2008, et 2% d’inflation en moyenne sur la même période. Ce qui semble…invalider (?), à tout le moins relativiser la théorie quantitative de la monnaie, mais ce n’est pas le lieu de revenir sur la controverse qui oppose, depuis longtemps, les économistes sur ce sujet.

Le fait est que, aujourd’hui, le taux de croissance de la masse monétaire est à peu près proche de celui du PIB réel, lequel a progressé de 4,4% en 2013, selon les comptes nationaux que le HCP vient tout juste de rendre publics. Ce qui semble indiquer l’absence de menace inflationniste. En 2013, le niveau général des prix (à la consommation et à la production), selon la même source, ressortait à 1,1%. Sur les quatre premiers mois de l’année en cours, et malgré la suppression de la subvention pour certains produits pétroliers et sa diminution pour d’autres, l’indice des prix à la consommation n’a augmenté que de 0,4% en glissement annuel.

L’indice des prix à la production industrielle, énergétique et minière, a, lui, carrément baissé (-0,1% en variation mensuelle). Là encore, on peut se poser la question de savoir si, à la lumière des craintes qui se font jour en Europe, en particulier, à propos de la menace déflationniste qui guetterait les économies du Vieux Continent, le Maroc ne serait pas, lui aussi, toutes proportions gardées, plus ou moins concerné par le phénomène. Par rapport à cette interrogation, l’intervention de BAM pour apporter de l’oxygène aux TPME et donc relancer le crédit à destination de la production est évidemment pertinente. Et c’est d’ailleurs ce que la Banque centrale européenne (BCE) s’apprêterait à faire pour contrer cette déflation que certains tiennent pour imminente.

BAM aurait pu, à la place du dispositif mis en place (fonds de garantie et avances de liquidités conditionnées), ou, concurremment, baisser son taux directeur. Et si elle ne l’a pas fait, c’est sans doute qu’elle n’entendait pas relancer le crédit tous azimuts, mais diriger les financements vers les secteurs productifs. Jusqu’en 2008, la croissance élevée du crédit était tirée pour l’essentiel par l’immobilier. La crise des «subprimes» intervenue à cette même date a agi comme une alerte que les banquiers centraux ont tous prise au sérieux. La bulle pouvait éclater à tout moment, et le wali de Bank Al-Maghrib ne s’était pas fait prier, à l’époque, pour en souligner le danger. Comme les autres secteurs ne pouvaient pas prendre la relève de l’immobilier, la croissance du crédit commençait du coup à décliner, dans un contexte marqué, de surcroît, par une baisse des réserves de change.

Aujourd’hui, on semble juger que «la machine à sous» doit se remettre à fonctionner non plus pour la promotion, voire la spéculation immobilière, mais pour aider des entreprises, lieu de création de valeur et d’emplois. Y parvient-on ?