Affaires
Avec le printemps arabe, le revenu moyen net par chambre des hôteliers a chuté de 11% en 2011
Le taux d’occupation moyen des chambres a régressé de 2.2 points, à 53.8% et le prix moyen de la nuitée de 7.3%, à 159 dollars. Marrakech a beaucoup souffert avec un recul de 20% du revenu net moyen par chambre. La Turquie est le seul pays de la sous-région à avoir profité de cette crise politique.
En matière de tourisme, il y a les chiffres officiels et ceux des cabinets spécialisés qui font de la veille stratégique pour permettre aux opérateurs de réagir en fonction de la conjoncture. Au Maroc, les statistiques disponibles, publiées plus ou moins régulièrement, concernent les arrivées aux frontières, les nuitées dans les hôtels classés et les taux d’occupation. Des données qui peuvent être lues de plusieurs manières, selon que l’on veuille les interpréter positivement ou négativement. Et dans les deux cas, ces grandeurs restent insuffisantes pour une appréciation objective de la situation à un moment précis.
La Vie éco a obtenu le rapport de l’année 2011 du cabinet international MKG Hospitality dont la partie qui analyse la situation dans la zone «Afrique Moyen-Orient» interpelle à plus d’un titre, d’autant plus que les statistiques sont étudiées mois par mois. Il n’est pas question dans ce rapport des arrivées aux frontières, ni même de taux d’occupation isolés qui, selon l’avis d’un spécialiste, ne veulent rien dire dans l’absolu, et n’ont de sens que s’ils sont rapportés au prix moyen de la nuitée. On obtient ainsi, par cette combinaison, ce que l’on nomme dans les écoles hôtelières le RevPar, une grandeur qui désigne concrètement ce que l’hôtelier gagne en moyenne par chambre sur une période donnée.
Pour une meilleure compréhension, prenons l’exemple du mois de février 2011. Alors que le printemps arabe battait son plein en Egypte et en Tunisie, et que les touristes avaient délaissé ces deux destinations et d’autres à proximité, le Maroc apparaissait encore comme une destination de rechange. Le taux d’occupation moyen durant ce mois est estimé à 62,4% (+11,7 points par rapport à février 2010) et le prix moyen par chambre à 166,8 dollars ou environ 1 400 DH (+10,5%), ce qui donne un RevPar de 104,4 dollars, en progression de 36%. Celui de l’Egypte a dégringolé à 15,2 dollars en février (-73,6%) et celui de la Tunisie à 22.3 dollars (-46,9%), ce ratio étant toujours calculé hors taxes.
Tous les pays arabes ont accusé le coup
D’une manière générale, en dehors du Maroc, la plupart des pays de la région Mena sont affectés par le printemps arabe début 2011, à l’exception de la Turquie et de certains Emirats du Golfe. En effet, la Turquie, avec un taux d’occupation de 59% et un prix moyen de la chambre de 140,2 dollars, avait un RevPar de 82,7 dollars, en progression de 17,3%. Et si le Maroc est considéré à ce moment précis par les experts du cabinet MKG comme représentant une alternative aux destinations touchées par le printemps arabe, la Turquie est classée comme la destination dont l’industrie touristique est dynamique et pas du tout affectée par ces événements. Elle est aussi jugée prometteuse pour les mois suivants.
Mais, dès le mois de mars 2011, la situation a changé brutalement pour le Maroc au vu de cet indicateur, puisque le RevPar du pays accuse une chute spectaculaire de 15%, s’établissant à 81,6 dollars, sachant que le taux d’occupation est revenu à 55,6% et le prix moyen par chambre à 146,7 dollars, soit successivement des baisses de 4,8% et 7,2%. Donc, contrairement à l’idée avancée, ici et là, le Maroc accusait déjà au mois de mars 2011 le coup du printemps arabe et des manifestations du mouvement du 20 Février qui en était juste à ses débuts. Du reste, aucun pays arabe n’est épargné par la baisse, comme en témoigne toujours ce ratio RevPar : Algérie (-19,6%), Tunisie (-32,4%), Egypte (-69,4%), Jordanie (-24,7%), Liban (-22,7%), Bahrein (-83%), etc.
Dans la région, la Turquie fait figure de destination privilégiée en réussissant à améliorer son RevPar de 35,1%. Elle se présente désormais comme la seule destination de rechange de la région, avec un taux d’occupation de 65,4% (+7,1 points) et un prix moyen de la nuitée à 169,2 dollars (+20,4%).
Au mois d’avril, le Maroc accuse une baisse de son RevPar de l’ordre de 7,8%, et au mois de mai, suite à l’attentat du café Argana, le recul est de 24%. La baisse est ensuite de 16,9 % en juin, de 14,8% en juillet et au mois d’août, qui reste invisible dans les statistiques nationales depuis trois ans, la chute est de 31,2%. La tendance se poursuit jusqu’en décembre où la baisse a été de 6%, 87,4 dollars. En parallèle, la Turquie a connu une croissance à deux chiffres de ce ratio, à l’exception du mois d’août où la hausse n’est que de 3,2%, seulement en raison de la saturation de la destination qui a fait le plein.
Ainsi, l’année 2011 s’est soldée par une baisse globale du RevPar du Maroc de 11,1%, soit en nominal de 85,8 dollars avec un taux d’occupation moyen de 53,8%, soit 2,2 points en moins par rapport à 2010, et un prix moyen de la nuitée s’établissant à 159,4 dollars en baisse de 7,3%.
Le coût du transport, un avantage compétitif pour la Turquie
Signalons toutefois que si ce repli est moins important par rapport aux autres pays arabes concurrents, il est ressenti de manière plus dure au Maroc parce qu’il touche plus sévèrement sa destination phare, Marrakech. En effet, la ville ocre termine l’année 2011 avec une baisse de son RevPar de 19,9%, à 853 DH, avec un taux d’occupation moyen de 49,2% (-5,6%) et un prix moyen de la chambre de 1 734,60 DH (-10,8%). Une baisse d’une telle ampleur explique évidemment la crainte manifestée ces derniers temps par les professionnels de la ville, car avec une chute de 20% du revenu moyen net par chambre, il devient difficile pour de nombreux hôteliers de faire face à leurs échéances.
En revanche, une ville comme Casablanca a été moins touchée en enregistrant une baisse de son ratio de seulement 5,2% par rapport à 2010, maintenant son taux d’occupation à 70% et un revenu moyen net par chambre de 853 DH. Cette résistance s’explique par la nature du tourisme casablancais, celui des hommes d’affaires qui séjournent pour une courte durée.
Quelles leçons tirer de cette situation ? S’il est incontestable que l’instabilité politique dans la région Mena a constitué le principal facteur du report de la demande des marchés émetteurs vers d’autres pays (voir encadré), il n’en reste pas moins, estiment les observateurs, que le Maroc souffre de quelques insuffisances qui handicapent son tourisme. Ces observateurs remarquent unanimement que le Maroc n’est pas assez bien desservi par l’aérien, et particulièrement vers les aéroports des villes comme Marrakech, Agadir, Tanger, Oujda, etc. Le touriste d’aujourd’hui ne veut pas galérer en transitant par Casablanca avant de rejoindre telle ou telle destination nationale. Actuellement, le billet le moins cher entre Paris et Casablanca coûte autour de 220 euros, contre 120 euros vers la Turquie ou la Croatie.
Une semaine à Istanbul dans un hôtel 4* en demi-pension avec billet d’avion revient en moyenne à 450 euros, alors que la même prestation à Marrakech est facturée autour de 750 euros, fait remarquer un hôtelier. La raison de cet écart est simple : la Turquie subventionne les vols pour augmenter sa capacité aérienne et générer ainsi de la valeur ajoutée.
En effet, on estime qu’un touriste dépense sur place l’équivalent de la moitié du coût de son voyage. Il n’y a pas de mystère, conclut ce spécialiste : le Maroc qui a une hôtellerie au niveau doit travailler sur l’aérien et sur le rétablissement de la confiance dans la destination, et c’est l’affaire de tous.