Affaires
Autocars : les dessous d’un système qu’il faut réformer d’urgence
Le ministère a décidé de retirer l’autorisation à tout détenteur dont l’autocar est à l’origine d’un accident corporel ou en surcharge. Le passage du système de zoning à l’ouverture de lignes de longue distance s’est fait sans aucune réflexion.
Le dernier accident d’autocar survenu mardi 4 septembre sur la route qui relie Marrakech à Zagora, et qui s’est soldé par 43 morts et 22 blessés graves, remet à l’ordre du jour l’urgence de réformer en profondeur le transport public de voyageurs. Déjà le 9 juillet dernier, deux accidents survenus le même jour, l’un à proximité de Nador et l’autre près d’Essaouira, avaient fait 27 morts et plusieurs blessés graves. A chaque fois, l’état du véhicule, le comportement du conducteur, l’excès de vitesse, la surcharge, l’état de la route ou le manque de contrôle sont pointés du doigt et les choses continuent comme avant jusqu’au prochain accident.
Cette fois-ci, une semaine après le drame, le ministère du transport et de l’équipement, qui a formé une cellule de crise pour déterminer les causes exactes de cette catastrophe, a rendu public un communiqué énonçant les décisions prises visant particulièrement le transport de voyageurs par autocars, et notamment le renforcement du contrôle des autocar de voyageurs à l’intérieur et à l’extérieur des gares routières. Quant à la société responsable de cet accident, elle se voit retirer définitivement (une première !) son autorisation de transport qui était directement exploitée par ses titulaires, c’est-à-dire qui n’est pas l’objet d’une location.
Décision aussi a été prise de sanctionner à l’avenir tout titulaire d’un agrément de transport dont l’autocar qui lui est affecté est impliqué dans un accident corporel de la circulation ou ayant à son bord plus de passagers que prévu par l’autorisation de transport, soit entre 48 et 54 places selon la catégorie de l’autocar, sachant que l’autocar à l’origine du dernier avait 67 personnes à bord. Les sanctions prévues iront du simple avertissement, à la suspension temporaire de l’autorisation et jusqu’à son retrait définitif.
C’est là une décision très importante, car pour la première fois, on responsabilise le titulaire de l’autorisation qui se contente dans la majorité des cas d’encaisser sa redevance mensuelle par le biais du système de location qui a cours dans cette activité. Un système de rente, aberrant, qui a ouvert l’accès à la profession de transporteur de voyageurs au premier venu du moment qu’il est en mesure de louer un agrément et d’acheter un autocar au mépris de tout critère objectif pour exercer cette profession.
Enfin, il a été décidé de mettre à la disposition de la justice les résultats de l’enquête administrative et technique en cours pour déterminer les responsabilités, et de suspendre les fonctionnaires responsables du contrôle des véhicules au sein des gares routières situées sur l’itinéraire de cet autocar jusqu’à la fin de l’enquête. Un coup d’épée dans l’eau car les voyageurs transportés en surcharge sont souvent embarqués en dehors des gares routières.
Le zoning permettait de limiter le temps de conduite
Tout en saluant ces mesures prises dans l’urgence, il faut cependant souligner qu’elles restent insuffisantes, car elles ne s’attaquent pas aux vraies causes du mal. Dès le départ en effet, c’est-à-dire depuis l’indépendance, et même avant, le transport public de voyageurs était fondé sur l’octroi des autorisations (agréments) par l’Etat à des particuliers ou à des sociétés pour assurer le déplacement interurbain entre les différentes villes et régions du Maroc. Ce système a fonctionné tant bien que mal, car il était réglementé et encadré par les pouvoirs publics, avec des contrôles sévères au niveau des itinéraires des véhicules, des horaires de passage dans les gares routières (voir encadré), et, surtout, les autorisations de transports étaient accordées au compte-gouttes, en fonction des besoins en transport entre les villes et dans les régions, avec des prix fixés et encadrés par le département de tutelle. Le transport public de voyageurs était ainsi assuré par des sociétés publiques et privées exploitant des autocars de 1ère et 2e catégorie et des autocars «soukiers» qui assuraient les déplacements des personnes entre les petites localités et les souks hebdomadaires avoisinants d’une même région. On a vu ainsi l’émergence de grandes entreprises publiques et privées organisées dont certaines existent toujours, mais aussi des petites coopératives où étaient regroupés des petits transporteurs possédant un ou deux autocars. Le système était certes imparfait et son fonctionnement miné par la corruption, mais il prenait en considération l’offre et la demande en transport ainsi que le niveau des tarifs en fonction du pouvoir d’achat de la population. Certes, il y avait de temps à autre de graves accidents d’autocars, mais d’une manière générale, le secteur était dominé par des professionnels qui veillaient au bon fonctionnement de l’activité, et ces accidents étaient moins fréquents et moins graves qu’aujourd’hui pour une raison simple que les pouvoirs publics devraient se remémorer pour réformer l’activité. Le transport était organisé en zones géographiques vers les autres régions du pays à partir de Casablanca et de Rabat. En d’autres termes, il n’y avait pas d’autocars qui reliaient Oujda à Agadir ou Tanger à Béni-Mellal, ou encore Dakhla à Sidi Kacem, etc. Le voyageur qui voulait rejoindre, par exemple, Agadir au départ d’Oujda ou de Guercif, était obligé d’emprunter un premier autocar jusqu’à Casablanca et un autre entre cette dernière ville et Agadir. Une telle restriction limitait de fait le temps de conduite des chauffeurs d’autocars qui est aujourd’hui au centre de toutes les polémiques et donc le risque d’accident dû à la fatigue, au manque de sommeil, etc.
Jusqu’à présent, toutes les réformes se sont heurtées aux lobbies des transporteurs
Mais, hélas, à partir du milieu des années 1980, ce système a été complètement travesti. En effet, comme si on voulait libéraliser l’activité de manière anarchique, on a assisté à une inflation d’agréments nouveaux donnés aux uns et aux autres et affectés à des lignes interurbaines déjà saturées. A titre d’exemple, à cette époque, et il n’y a qu’à consulter les archives du ministère de tutelle pour le vérifier, les entreprises qui assuraient la liaison entre Casablanca et le nord du Maroc, ou entre Casablanca et Marrakech ou Agadir, pouvaient être comptées sur les doigts d’une main. Mais, en un temps record, l’offre de transport sur ces lignes est devenue pléthorique, et du jour au lendemain les chauffeurs d’autocars ont commencé à se livrer à des courses pour ramasser le maximum de clients. Pour l’anecdote, les autocars étaient nommés par le nom du titulaire de l’agrément, c’est-à-dire des noms de chanteurs, de footballeurs, de comiques, etc.
En parallèle, on a ouvert des lignes à très longue distance du fait que les nouveaux titulaires des agréments ne se contentaient plus des lignes à distances moyennes, c’est à dire qui n’excèdent pas les 500 kilomètres.
Pour faire face à cette situation, le nouveau code de la route a bien tenté, un peu tard, d’imposer plusieurs chauffeurs sur les longues distances et réglementer le temps de conduite et de repos, mais on est encore loin de l’application stricte de ces dispositions. Le ministère du transport avait auparavant essayé, au début des années 2000, d’initier une réforme de ce système, en revenant au zoning, et en récupérant les agréments pour les redistribuer sur la base des cahiers des charges. Mais devant le tollé général soulevé par les lobbies des transporteurs, le projet fut vite enterré.
Depuis, on entend bien parler d’une réforme du transport de voyageurs, mais il semble bien qu’il faut beaucoup de courage politique pour la mener.
Car, il faut se rendre à l’évidence que le contrôle, même sévère et continu, ne mettra pas fin aux accidents si l’environnement du secteur n’est pas assaini.