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Artisanat : pourquoi l’export ne décolle pas

Les exportations ont totalisé 507 MDH en 2016. Le secteur souffre de l’absence d’un produit adapté, du manque d’entreprises structurées et de problèmes de qualité. Les opérateurs boudent les salons professionnels en raison de la faiblesse de la rentabilité commerciale.

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Sur le papier, l’artisanat marocain se porte bien. Les chiffres communiqués par le ministère du tourisme, du transport aérien, de l’artisanat et de l’économie solidaire le disent. En 2015, dernière année de la «Vision 2015» (stratégie de développement du secteur), l’artisanat à fort contenu culturel a réalisé un chiffre d’affaires de 22,46 milliards de DH, soit une progression de l’ordre de 4,5% par rapport à 2014. Revers de la médaille, les résultats de l’export sont en deçà du potentiel. En 2016, le chiffre d’affaires à l’export n’est que de 507 MDH. Beaucoup plus, si l’on en croit le Secrétariat d’Etat chargé de l’artisanat et de l’économie solidaire qui indique que le marché extérieur représente 20% (exportations effectives et achats de touristes et MRE inclus) contre 80 pour le le marché intérieur.

Absence de produits adaptés, manque d’entreprises structurées capables de produire en quantités pour répondre à la demande de chaînes de magasins européens et américains, problèmes de qualité, de normes et de capacité de production… Ce sont là les principales raisons de la faiblesse des exportations évoquées par les professionnels. Pour le ministère de tutelle, le nombre de PME d’artisanat structurées a atteint 910 unités à fin 2015 (848 en 2014). Leur volume d’activité ne représente que 16% du chiffre d’affaires global du secteur, alors que leur productivité est trois fois plus importante que celle des monos artisans. Malgré l’attrait du produit artisanal marocain à l’international, ces PME structurées n’exportent donc pas assez.

Le tapis marocain s’enfonce dans les difficultés

Le manque de ressources humaines n’est pas étranger à l’atonie. «Dans les années 1984 à 1996, le Maroc exportait 2 millions de m2 de tapis par an. Malgré la forte demande au niveau international notamment à la bourse mondiale du tapis en Allemagne, ce volume est tombé à 100 000 m2. Beaucoup d’ateliers ont fermé à cause notamment de la baisse vertigineuse de la main-d’œuvre disponible et qualifiée», déplore Hassan El Abbassi, directeur général de Abbassi Tapis. Aujourd’hui, des pays comme le Pakistan et le Népal concurrencent le Maroc sur le tapis. Mais ils ont été rattrapés par l’indisponibilité de main-d’œuvre. Le travail difficile, très prenant et peu rémunérateur des travailleuses de tapis, ne les encourage pas à poursuivre ce métier. D’après Ahmed Ben Mustapha, l’engouement des jeunes pour le métier d’artisanat en général faiblit. Les centres de formation sont quasiment vides. «La capacité actuelle des centres de formation sous la tutelle du ministère de l’artisanat est de 3600 places et le taux d’occupation avoisine 25% pour le moment», déclare M. Ben Mustapha.

Le ministère de tutelle présente pour sa part des résultats encourageants. A fin 2016, 5541 jeunes lauréats ont été formés en mode résidentiel dont 38% sont des filles. Entre 2008, (année de lancement du Plan d’urgence de la formation  par apprentissage) et 2016, 33291 jeunes ont été formés à travers ce mode de formation, ce qui représente un taux de réalisation de 67% par rapport à l’objectif fixé (50000 lauréats). Malheureusement, arrivées au marché du travail, plusieurs jeunes filles formées se détournent du métier, de moins en moins attractif. Des investisseurs turcs ont quand même réussi à juguler ce manque d’intérêt en créant une nouvelle génération d’ateliers au Maroc. M. El Abbassi donne comme exemple un atelier de confection de tapis (faits main) équipé d’une crèche et d’une cuisine créée par ces investisseurs à Ouezzane. Mieux encore, le salaire avoisine 3 000 DH par mois, la couverture sociale et médicale garantie et le transport à disposition.

Le coût du transport jugé élevé

Le boulot des artisanes est de tisser des tapis fait main selon le design turc pour les touristes étrangers. «Le coût de ce tapis est de 1300 DH/m2. Sans couverture sociale des salariés, le mètre carré revient à 1000 DH/m2. En tant que producteur marocain, nous ne pouvons pas prendre en charge la couverture médicale sans l’aide de l’Etat et continuer à vendre les tapis aux prix actuels», explique le DG de Abbassi Tapis.

En attendant que l’appel soit entendu, le tapis traditionnel marocain vit des jours sombres, malgré une puissante demande domestique exprimée par les mosquées, les villas et l’hôtellerie, en plus d’un plan pour l’équipement de 70% des mosquées d’Afrique en tapis marocain. Toutes les entreprises structurées ne sont pas embourbées dans des problèmes. Grâce à une stratégie bien ficelée, des efforts de prospection et une rigueur de traitement des commandes, Aït Manos, PME spécialisée dans le zellige, arrive à exporter plus de 90% de sa production.

«Notre stratégie à l’export est axée sur la multiplication des efforts de prospection en s’appuyant sur les outils d’aides tels que Maroc Export et l’accès au financement bancaire. De la réception des commandes à l’expédition en passant par l’emballage, parfois même à l’installation, nous faisons preuve d’une extrême rigueur, quel que soit le pays de destination de nos produits. Au niveau de la maîtrise de la chaîne logistique, notre département transit est intégré. La production, elle, ne fait appel à aucun sous-traitant», explique Ghalia Sebti, directrice générale et gérante d’Aït Manos.

L’entreprise est cependant confrontée à un écueil, le transport. D’après cette ancienne présidente de la fédération des entreprises d’artisanat, le prix d’un conteneur allant du Maroc vers la Chine est dix fois plus élevé que celui d’un conteneur faisant le sens inverse.

Par ailleurs, la stratégie de promotion ne répond pas aux attentes des opérateurs. Prise en charge par la Maison de l’artisan, elle est axée sur tous les marchés dotés de pouvoir d’achat conséquent, y compris l’Europe (marché traditionnel). Néanmoins, l’organisme ne dispose pour l’instant que d’un seul showroom aux Etats-Unis; un deuxième est en projet aux Emirats Arabes Unis. «Actuellement, on étudie de nouvelles stratégies pour l’ouverture de showrooms à l’étranger», déclare une source de la Maison de l’artisan. «Les artisans ne vendent pas dans les foires d’exposition où ils sont conviés. Nous exposons une marchandise d’une valeur de 200 000 DH, parfois des pièces uniques, sans compter le transport et les frais de participation de 30 000 DH, pour un résultat maigre. Nous arrivons à écouler 2 à 3 tapis à des particuliers dans des salons où on est censé rencontrer des professionnels», déplore M. El Abbassi.

Même son de cloche chez Ahmed Ben Mustapha, ancien vice-président de la Fédération des entreprises d’artisanat. «Le budget de promotion de l’artisanat coûte des millions de dirhams à l’Etat chaque année pour des ventes qui se chiffrent en centaines de milliers. Cela manque d’efficience», confie-t-il. Exemple, la Maison de l’artisan et la Fédération des entreprises d’artisanat organisent, du 6 au 10 décembre 2017, le salon professionnel de l’artisanat Minyadina à Rabat. Des acteurs du secteur sondés par la Vie éco disent ne pas vouloir y aller faute de rendement commercial. Aussitôt après, du 22 décembre au 31 décembre, se tiendra la semaine nationale de l’artisanat avec 12 foires régionales organisées en simultané avec les Chambres de commerce dans les régions du Maroc. C’est une concentration d’évènements en un temps limité qui joue en défaveur des producteurs, regrette-t-on.

Mais les autorités semblent avoir pris la mesure des difficultés du secteur. Le ministère prépare en effet une nouvelle stratégie qui englobera «l’Artisanat d’Art et de Production» et «l’Artisanat de service». Dans le même temps, les dysfonctionnements en matière de promotion et de communication ne manqueront certainement pas d’être corrigés.