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Arnaques immobilières : tous responsables…

La profession de promoteur reste ouverte à toute personne puisqu’il n’existe pas de statut. La cause de presque tous les scandales est la non-applicabilité de la VEFA. L’Etat est le premier responsable, à côté du notaire et aussi du client.

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Arnaques immobilières

L’affaire Bab Darna, jugée comme la plus grande arnaque immobilière de toute l’histoire du Maroc n’est que la goutte de trop. Plusieurs scandales immobiliers l’ont précédée, dans plusieurs villes (Bouznika, Benslimane, Mansouria, Casablanca, Marrakech, Agadir…). Les victimes sont exclusivement les clients qui, attirés par «lhamza» (opportunité en or) et aussi par excès de confiance, mettent toute leur épargne, et leur rêve en passant, pour posséder ce bien immobilier dont l’offre est plus qu’alléchante.

Sauf que les choses ne suivent pas leur cours normal. A qui incombe la responsabilité dans le cas de ces arnaques ? A tous les acteurs de l’écosystème : professionnels, l’Etat avec toutes ses structures et client compris, s’accordent à affirmer les professionnels contactés.

En fait, un vide juridique pesant existe dans le secteur immobilier. «Tant qu’un statut promoteur immobilier n’existe pas, la profession restera ouverte à toute personne souhaitant profiter des lacunes du système. Les promoteurs ou supposés l’être ne sont pas les seuls pointés du doigt. Même les amicales d’habitation regorgent de problèmes, du moment qu’elles sont érigées en associations et non en coopératives», se désole Taoufik Kamil, président de la Fédération des promoteurs immobiliers (FNPI). Selon Me Abdelmajid Bargach, notaire, «l’Etat est le premier responsable de l’ensemble des problèmes liés au secteur. Il met en place des lois dont l’application est difficile. Allusion faite à la VEFA (Vente en l’état futur d’achèvement) qui, même dans sa nouvelle mouture, ne répond pas parfaitement aux contraintes liées aux transactions. D’autant que les décrets d’application se font toujours attendre». Conséquence: «Aucun professionnel ne respecte la loi ou ne commercialise ses biens stricto sensu. Ce qui laisse la porte ouverte à plusieurs méthodes de vente aléatoires», souligne Ouadi Madih, président de l’Association de protection du consommateur, dont le contrat de réservation.

Ce dernier est réalisé entre le promoteur et l’acquéreur, sous seing privé (et non en présence du notaire). Il doit donner lieu, six mois plus tard, à un contrat préliminaire qui, lui, doit être effectué en présence d’un notaire. Et c’est là que le bât blesse. «Dans la pratique, il est rarement réalisé. Les promoteurs véreux tirent profit de l’ignorance des clients pour empocher des avances qui excèdent parfois les 5% réglementaires», explique Me Bargach.

Par ailleurs, Ouadi Madih insiste sur les clauses que doit comporter un contrat préliminaire, entre autres l’identité des parties, la description du bien, la superficie approximative, le prix de vente définitif au mètre carré, le délai de livraison, le numéro du permis de construire ainsi que les garanties de remboursement. Il est à noter que même le contrat de réservation doit inclure ces dispositions, mis à part celle relatives aux garanties de remboursement. «Aucune de ces clauses n’est respectée et cela, au vu et au su des administrations. Pire encore, la loi 107-12 relative à la VEFA ne prévoit aucune sanction contre les personnes qui n’appliquent pas la réglementation en vigueur. Il est à peine prévu l’annulation du contrat et le remboursement des sommes avancées», s’étonne M.Madih.

De son côté, Me Bargach ajoute : «Nous n’arrivons pas à jouer notre rôle en temps opportun, puisque nous n’entrons en contact avec le client qu’à la phase finale qui est la rédaction du contrat de vente définitif. Mais, en cours de route, plusieurs différends apparaissent entre les deux parties».

Quid de la responsabilité du notaire. Parmi ses attributions, ce professionnel n’a pas que l’obligation de rédiger des actes immobiliers, mais aussi d’information et de conseil. Classique ! Les notaires ont un autre rôle à jouer, tout aussi important, sinon plus, qu’ils ne remplissent pas forcément, par paresse, par ignorance ou par confiance vis-à-vis du promoteur. Il s’agit du devoir d’investigation. Le notaire a l’obligation d’exiger tout document nécessaire, pour la conclusion d’une transaction ou d’un contrat de bail, pour s’assurer de la fiabilité du promoteur/bailleur, et pour préserver les droits du client. «Il doit même vérifier auprès de la conservation foncière si la personne en question détient effectivement le bien, s’il est frappé par une quelconque interdiction…», note un notaire praticien à Casablanca.

Le cas de Bab Darna est particulièrement intriguant, puisque des palissades et des bureaux de vente ont été installés sur un terrain, dont la propriété ne revient pas au promoteur. La responsabilité de la commune est particulièrement pointée du doigt, puisqu’elle est la seule administration habilitée à fournir une autorisation pour exploiter un terrain. Cela, sans parler du notaire qui s’est chargé de la rédaction des actes de vente ou encore de la banque qui a octroyé des crédits à nombre de personnes.

L’histoire de ce promoteur a commencé par des publicités mensongères, engageant des acteurs connus et passant sur les télés marocaines en boucle, sur les radios, sans oublier les journaux et sites d’information électroniques. Des offres pour le moins séduisantes qui proposent, entre autres, un appartement gratuit à l’achat de deux autres. A quel point la responsabilité des médias est engagée et partant de la HACA (Haute autorité de la communication audiovisuelle) ? «La presse est responsable également. Tout organe d’information doit contrôler la crédibilité et la véracité des informations fournies par les annonceurs», estime Me Bargach. D’ailleurs, M.Kamil déclare avoir prévenu à maintes reprises le ministère de la communication, afin de mener son enquête sur cette affaire. En fait, aucun texte réglementaire ou règlement interne n’exige que les médias ou encore l’autorité de régulation vérifient ou contrôlent les publicités reçues. Même la loi sur la protection du consommateur ne le prévoit pas. «En cas de soupçons, l’autorité de régulation doit en informer le procureur général qui, lui, diligente des enquêteurs afin de vérifier les informations fournies», explique M.Madih. La HACA, en tant qu’autorité de régulation, n’a pas à effectuer des contrôles a priori; autrement, ces contrôles verseraient vers la censure. En outre, ni la loi 77-03 relative à la communication audiovisuelle, ni la loi 11-15 portant réorganisation de la Haute autorité de la communication audiovisuelle ne prévoit un contrôle préalable à la diffusion d’une quelconque publicité. M.Madih ajoute : «La vérification de la fiabilité des publicités ne rentre certainement pas dans les prérogatives de la HACA. Cela engagerait plusieurs moyens financiers, techniques et humains et interfèrerait avec les attributions d’autres compétences». D’ailleurs, un vide juridique existe en la matière, que le Parti de l’Istiqlal tente de combler. Une proposition de loi a été déposée récemment au Parlement, visant à contrer ces pratiques commerciales trompeuses et à protéger les consommateurs. Le parti n’en est pas à sa première tentative, puisqu’en 2008 un texte de loi a déjà été soumis au Parlement. Reste au circuit parlementaire de s’activer afin d’assurer la protection du citoyen.

Maintenant que la responsabilité est partagée entre tous les acteurs, qu’en est-il du client ? Il est victime certes, mais reste autant responsable que les autres, de sa confiance excessive et de son ignorance. M.Madih souligne : «Le consommateur doit jouer son rôle de recherche de l’information, encore faut-il qu’il y ait accès». Avant de signer tout contrat, il est impératif de collecter les informations de part et d’autre sur l’identité du promoteur, son historique, son expérience, mais aussi sur l’inscription à son nom du terrain objet du projet immobilier. S’il s’agit d’une vente sous forme de VEFA, le client a le droit d’exiger un contrat conforme à cette loi, incluant tous les termes prévus.

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[tab title= »Les amicales d’habitation : une niche à problèmes » id= » »]Les problèmes du secteur immobilier ne se limitent pas à l’univers des promoteurs. Ils concernent aussi les amicales d’habitation dont la réglementation appliquée est celle relative à la création et au fonctionnement des associations. «Le soi-disant contrat signé par les adhérents et le président de l’amicale est nul aux yeux de la loi. Il n’offre aucune protection aux adhérents. C’est pour cette raison d’ailleurs qu’on entend, ici et là, des personnes s’enfuir avec des millions de dirhams empochés», explique un promoteur.
«La fédération ne réfute pas les amicales. Nous sommes pour le développement de l’habitat solidaire, mais plaidons pour un changement de statut, d’amicale à coopérative d’habitat», détaille le président de la FNPI. En effet, contrairement à l’amicale, la coopérative est régie par un texte de loi, propre à elle, et s’en trouve donc mieux organisée. Ainsi, la FNPI mène toujours des actions auprès de l’autorité de tutelle pour un renforcement de la loi sur les coopératives et pour proposer un délai de transformation des amicales en coopératives.[/tab]
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