SUIVEZ-NOUS

Affaires

«Notre industrie est condamnée à  se transformer, et nous allons y mettre les moyens»

Des locaux clés en main seront proposés à  la location. Les banques exigeront moins de garanties et accorderont des taux préférentiels. Tous les industriels sont concernés, grands comme petits, ceux opérant dans les nouveaux métiers mondiaux comme ceux des filières traditionnelles.

Publié le


Mis à jour le

moulay hfid alami 2014 04 04

Il y a dix ans, on découvrait Emergence. En 2009, quand vous étiez vous-même à la CGEM, c’était le Pacte national pour l’Emergence industrielle (PNEI). Aujourd’hui, une nouvelle stratégie. Est-ce un changement de cap, une rectification de tir, un rattrapage d’erreurs du passé ou quoi au juste ?

C’est un plan pour la transformation de notre industrie et son accélération.  
 
En quoi est-ce vraiment nouveau par rapport à toutes les stratégies qu’on a vues dans les années passées ?

Elle est différente tout en capitalisant sur les acquis. En ce sens qu’elle constitue une inflexion qui vise à mettre en place un rythme beaucoup plus soutenu. Le premier signal fort est la mise en place d’un fonds de développement industriel doté de 20 milliards de DH. C’est la première fois que l’industrie dispose d’un fonds qui est doté d’une enveloppe effective d’une telle ampleur.
 
Il y avait tout de même le Fonds Hassan II qui servait aussi à subventionner l’industrie…

Ce n’est pas la même chose. Il faut savoir que le Fonds Hassan II a financé les investissements industriels pour l’équivalent de 3 milliards de DH depuis qu’il a vu le jour. Pour le nouveau fonds dont je vous parle, nous sommes dans une autre dimension. Ce sont 20 milliards de DH qui vont être injectés sur une période de 7 ans à raison de 3 milliards de DH environ chaque année.
 
A quoi serviront concrètement ces 20 milliards de DH ?

Ils serviront à accompagner le secteur industriel pour sa transformation. Pour faire cette transformation, nous devons agir sur plusieurs volets essentiels. Le premier concerne la création d’un certain nombre de dynamiques autour des nouveaux métiers mondiaux du Maroc qui, malgré leur développement, sont encore à l’état d’échantillonnage. Je parle notamment des industries aéronautiques, de l’automobile, de l’offshoring… Le potentiel est énorme dans ces secteurs. L’idée aujourd’hui est de faire en sorte que de véritables écosystèmes se créent autour de ces activités de manière à les démultiplier. Le deuxième volet concernera la promotion de l’offre Maroc. Pour cela, il a été décidé de regrouper tous les organismes qui font de la promotion comme l’AMDI, Maroc Export, Maroc Taswiq ou encore l’OFEC en une seule instance. Cela fait 20 ans que l’idée était là, que le projet est dans les tiroirs. Maintenant, c’est chose faite. Une des conventions signées devant SMMohammed VI porte sur ce point d’ailleurs.
Le troisième volet -c’est aussi une révolution- concerne le foncier qui a toujours constitué un des freins majeurs à l’investissement industriel parce que trop cher. Je vous annonce qu’il a été décidé de mobiliser une réserve foncière de 1 000 hectares à usage locatif pour les industriels.
 
Où comptez-vous les trouver ces 1 000 hectares ?

Ils sont déjà disponibles et presque entièrement assainis. Ce sont des terrains qui appartiennent aux Habous et au domaine de l’Etat. Cela fait l’objet aussi d’une convention signée avec les deux départements concernés.
 
Où seront situés ces terrains?

Partout au Maroc. Nous avons établi, avec l’aide de la Direction des domaines, une cartographie nationale précise de la réserve foncière qu’on peut facilement mobiliser et je peux vous dire qu’on peut mobiliser bien plus que les 1 000 hectares sans aucune difficulté. Mais nous avons préféré commencer par 1000 hectares, ce qui dépasse largement nos besoins pour l’instant.
La première opération sera lancée immédiatement à Casablanca pour 150 hectares qui appartiennent aux Habous.
 
Ce foncier locatif sera-t-il réservé aux industriels étrangers ou marocains ?

Les deux. Nous devons prendre soin de la même manière des investisseurs marocains et étrangers.
 
Concrètement, qu’est-ce que vous proposerez aux industriels ?

Des locaux construits clés en main à la location.
 
Qui seront construits par qui?

Le ministère prend en location des terrains domaniaux ou des Habous. Un fonds d’investissement privé doté d’un milliard de DH sera chargé de construire à la demande et à livrer à des industriels des locaux clés en main contre un loyer. Tout le monde y sera gagnant.
 
Mais connaissez-vous le besoin précis des industriels en termes de superficies, de prix de loyer ?
Oui, nous connaissons les besoins avec une extrême précision, pour la simple raison que des études sont faites depuis longtemps sur le sujet. D’ailleurs, les Plateformes industrielles intégrées (P2I) du Pacte national de l’émergence industrielle ont été conçues sur la base de ces diagnostics. Le seul problème c’est que les locaux dans ces P2I ne se vendent pas.

Pourtant, ces P2I ont souvent été présentées comme une réussite, des zones dédiées de nouvelle génération…
C’est faux. Le Maroc a investi environ 9 milliards de DH dans ces zones. Le taux de remplissage de ces zones est actuellement de 1,9%. On prévoyait une superficie construite totale de presque 19 millions de mètres carrés. Aujourd’hui, à peine 578000 mètres carrés ont été construits et seulement 356000 m2 commercialisés. Entre Casanearshore, Rabat Technopolis, Atlantic Free zone de Kénitra, Tétouan Shore et Fès Shore, on dénombre à peine 124 entreprises installées.
 
Donc vous affirmez aujourd’hui que les P2I sont un échec…
Oui, absolument. Et les chiffres se passent de tout commentaire.
 
Par quoi expliquez-vous cet échec ?
Le business model est mal fait. Les locaux sont trop chers dans ces zones et ne répondent pas au vrai besoin des industriels. Je reçois quotidiennement des investisseurs intéressés pour s’implanter dans ces zones. Mais ils sont quasi unanimes : les terrains sont chers. Les investisseurs viennent avec des offres d’autres pays qui sont de loin plus intéressantes. L’offre Maroc ne passe pas avec des prix pareils.
 
Pourquoi cela n’a-t-il jamais été relevé durant toutes ces années ?
(Silence). Nous ne devons pas perdre notre temps à contempler le passé. Le plus important c’est ce qui vient…
 
Oui, mais il faut bien rectifier le tir pour ne pas perdre les milliards qui y ont été investis…
Ceci est un autre sujet sur lequel nous communiquerons au moment opportun. Nous avons déjà des pistes sérieuses qui seront dévoilées plus tard.
 
Les locaux disponibles dans ces P2I peuvent servir la nouvelle stratégie. Pourquoi ne pas les donner en location par exemple ?
C’est envisageable, mais il faudra accepter de passer plusieurs milliards de DH par pertes et profits. Mais aujourd’hui le message le plus important qu’il faut retenir de tout cela c’est que le Souverain a décidé que notre industrie doit se transformer et tous les moyens seront mobilisés pour que ça se fasse. Les 20 milliards de DH et le foncier locatif sont disponibles.
 
Vous solutionnez le problème du foncier certes. Mais que faites-vous d’un autre frein majeur, celui des crédits bancaires ?
Nous y avons pensé. Une convention a été signée avec trois grandes banques de la place. Elles s’engagent à financer l’industrie en priorité et à assouplir les modalités. A titre d’exemple, à un industriel qui sollicite un crédit pour financer son investissement on ne demandera plus des garanties comme la caution personnelle.
 
Mais les banques sont tenues par des règles prudentielles imposées par Bank Al-Maghrib…
D’un côté, Bank Al-Maghrib ne leur impose pas de demander des cautions personnelles aux industriels. D’un autre, et c’est important, les banques signataires s’engagent à accorder aux industriels des taux inférieurs à ce qui se fait sur la place.
 
Et le GPBM dans tout cela ?
Le groupement des banques est d’accord. Il est d’ailleurs signataire de la convention relative au financement de l’industrie.
 
Dans beaucoup de cas, on a vu des conventions signées mais qui n’ont pas été suivies d’application. Comment allez-vous faire, cette fois-ci, pour vous assurer sur le terrain que ces engagements seront tenus?
Le ministère de l’industrie et Bank Al-Maghrib seront autorisés à contrôler si les banques ont bien accordé ou non la décote conventionnelle. Nous pourrons auditer des dossiers pour vérifier l’application ou non de ces mesures ou, du moins, avoir des explications fondées de la part de la banque pour le refus d’un crédit à un industriel ou la non-application du taux préférentiel.
 
De combien sera cette décote sur les taux ?
Concrètement, un industriel qui avait des crédits à un taux de 8% aura droit, s’il est dans la catégorie éligible, à 6%, donc 2 points de moins.
 
Et que faites-vous du risque que cela peut représenter pour les banques ?
Nous y avons pensé. La Caisse centrale de garantie (CCG) qui était en retrait par rapport au financement de l’industrie devra pleinement jouer son rôle. Elle va cautionner désormais les crédits aux industriels pour permettre aux banques d’opérer à l’aise.
 
Quels types d’industries ciblez-vous par toutes ces mesures ?
Tous les types d’industries. Je dis bien tous les types et pas seulement les métiers mondiaux du Maroc. C’est d’ailleurs là l’une des plus grosses erreurs commises dans le passé que d’avoir tourné le dos à ces industries dites classiques qui créent réellement de l’emploi. Je ne comprends pas pourquoi nous avons fait de ces petites industries des pestiférés du système.
 
Ne pensez-vous pas que les PME elles-mêmes y sont pour quelque chose ? Familiales, introverties, sous-capitalisées, sous-encadrées, non conformes socialement, parfois même à cheval entre le structuré et l’informel…N’est-il pas normal qu’une banque refuse de financer une telle structure?

C’est vrai. Vous avez parfaitement raison. Mais l’administration et les banques ont également une grande part de responsabilité. Je connais et j’ai vu des textiliens, par exemple, se faire refuser des dossiers de crédits sans raisons valables, juste parce qu’ils opèrent dans le textile qui n’intéresse plus la banque. En revanche, la banque s’engage facilement dès qu’un opérateur se présente avec un projet dans l’aéronautique, l’automobile ou un autre de ces secteurs nouveaux même si c’est pour créer 10 emplois. Le textilien, lui, qui veut employer 1 000 personnes, va aller chercher ailleurs. Ce n’est pas normal. n Et à quoi servent cette multitude de contrats programmes signés avec les secteurs ?
Le textile, pour ne parler que de ce secteur, n’a pas de contrat programme. Les industriels ont financé par leurs propres moyens une étude qui est prête depuis longtemps. Mais l’Etat ne veut toujours pas signer quoi que ce soit.
 
La chimie-parachimie et l’industrie pharmaceutique ont leur contrat programme…
Ce sont des secteurs nouveaux, pas des industries classiques.
 
Mais on ne peut pas non plus généraliser…
Si, malheureusement. Je suis persuadé, et j’assume ce que je dis, que c’est le comportement général des banques, des administrations, des ministères… Il faut en finir avec cette situation anormale. Il faut remettre en valeur nos industries et leur redonner un positionnement sérieux. C’est la seule manière de sauver notre économie. Je vous donne quelques chiffres. Sur les dix dernières années, l’industrie marocaine a créé 75 000 emplois. Dans les dix années qui viennent, le Maroc aura besoin de créer en net 1,3 million d’emplois. Qui va les créer à votre avis ? L’agriculture est au top de ses performances et elle a déjà absorbé une bonne partie de l’emploi sur les dix dernières années. On ne peut pas indéfiniment mettre tout le poids sur le dos du secteur agricole. L’immobilier, un autre moteur principal, est en déclin comme vous le constatez…
 
Les nouveaux métiers peuvent parfaitement prendre la relève. D’autres usines comme Renault, Bombardier peuvent créer des emplois…
Ce ne sera jamais suffisant. La stratégie que nous lançons a pour objectif de créer sur les sept prochaines années 500000 emplois, soit la moitié du besoin global. Et pour cela, il n’y a pas de secrets. Notre industrie devra inéluctablement se transformer et créer des emplois. L’enjeu est de taille mais nous n’avons pas le choix.

Pour créer les écosystèmes, vous avez choisi de gros opérateurs dans l’amont du textile. Il y a eu des tentatives similaires qui se sont mal terminées. Rappelez-vous du cas Legler, par exemple…
Nous ne sommes pas dans la même configuration et, je vous rassure, nous n’allons pas commettre les mêmes erreurs. Legler que vous citez n’était pas vouée à créer autour d’elle un écosystème. Elle se contentait d’être une grande entreprise sans plus. De plus, notre démarche consiste à aller chercher des professionnels et champions mondiaux dans leurs catégories et les faire associer à des capitaux marocains. De l’autre côté, deux conventions sont signées avec des investisseurs dans l’aéronautique. C’est un message important qu’il faut retenir : nous n’abandonnons pas les nouveaux métiers mondiaux mais nous ne laissons pas en marge non plus les industries classiques.
 
Pensez-vous qu’on peut encore rattraper le temps perdu ?

Oui. Le travail qui a été fait dans l’agriculture ces dernières années est fabuleux. Les résultats sont là, sauf pour ceux qui ne veulent pas les voir. Nous allons faire la même chose dans l’industrie.