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Analyse. Le déficit courant 2018 au plus haut depuis cinq ans

La tendance au repli du déficit courant apparue depuis 2013, s’inverse à partir de 2016 pour culminer à 5,4% du PIB en 2018, contre 3,6% en 2017 et 2,1%
en 2015. Principale cause, le creusement du déficit (structurel) de la balance commerciale. Et ceci, malgré une croissance des exportations de plus de 10% en 2018.

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déficit budgétaire

Le déficit du compte courant de la balance des paiements se creuse fortement en 2018. Il s’établit à quelque 60 milliards de DH au lieu de 38,6 milliards en 2017. En tenant compte du niveau de croissance déjà estimé par le HCP à 3,1% (en attendant l’arrêté des comptes nationaux en juin prochain), son poids dans le PIB ressortirait à 5,4% contre 3,6% une année auparavant. D’une certaine manière, le compteur de cette balance des opérations courantes se trouve ainsi remis à son niveau d’avant-2014. Il faut en effet remonter à 2013 pour trouver un niveau de déficit courant plus élevé : -71,4 milliards de DH, l’équivalent de 7,9% du PIB. Et encore, 2013, pour mémoire, est l’année où le déficit de ce compte extérieur a marqué une première inflexion dans sa tendance haussière entamée en 2007, après avoir atteint, en 2012, un pic de -80,65 milliards de DH ou 9,5% du PIB.

Le reflux se poursuit jusqu’en 2015. Cette année-là, le déficit avait enregistré son plus bas niveau depuis 2007 : -21,1 milliards de DH, soit 2,1% du PIB. Depuis, la tendance s’est inversée, mais cette fois dans un sens haussier.

Pourquoi un tel retournement de tendance ? La première raison tient au déficit structurel de la balance commerciale. Depuis 2016, celui-ci s’est remis à se creuser pour finalement dépasser en 2018 le niveau atteint en 2012, en valeur absolue : respectivement -204,5 milliards de DH et -202,1 milliards de DH. En termes relatifs, cependant, l’on est passé d’un déficit commercial représentant 23,8% du PIB en 2012 à 18,4% du PIB en 2018. Il y a là une amélioration de plus de 5 points. A ceci près que cela provient de l’augmentation du PIB davantage que du rétrécissement du déficit commercial.

Pourtant, en 2018, les exportations de biens, “boostées” par l’automobile, les phosphates et dérivés, l’agriculture et l’agro-alimentaire, ont augmenté de 10,2% à 274,2 milliards de DH. Il se trouve que, dans le sens opposé, les importations de biens ont, elles aussi, relativement fortement augmenté: +9,2% à 478,8 milliards de DH. Par rapport à 2017, le déficit commercial se creuse de 8% pour atteindre, comme déjà indiqué, 204,5 milliards de DH, soit 18,4% du PIB contre 17,8% en 2017.

L’examen de la structure des importations montre que les hausses les plus importantes concernent l’énergie (+18,4%), les biens d’équipement, les produits bruts et les produits finis de consommation. Autrement dit, et sauf peut-être pour les produits finis de consommation, il n’y a pas vraiment de grandes possibilités pour réduire substantiellement les importations. Car la demande intérieure, donc la croissance économique, en dépend dans une assez large mesure.

La balance des services, en revanche, continue de dégager, d’une année à l’autre, des excédents qui, s’ajoutant à ceux issus des revenus secondaires, viennent à chaque fois atténuer le déficit en ressource. Pour 2018, l’excédent de la balance des services, qui provient pour l’essentiel de la rubrique “voyages”, s’est amélioré de 4,7% à 74,2 milliards de DH. La balance des revenus, elle, évolue de façon divergente si l’on peut dire : alors que la rubrique “revenus secondaires” est structurellement excédentaire, puisque composée quasi exclusivement des envois des MRE, celle des revenus primaires dégage, elle, un solde déficitaire, là aussi de façon structurelle. Pour les envois des MRE, leur montant s’est établi en 2018 à 64,8 milliards de DH, en baisse de 1,7% par rapport à 2017. Quant aux revenus primaires, constitués principalement des revenus issus des investissements, leur déficit s’établirait à quelque 10 milliards de DH.

On le voit, sans les revenus secondaires, c’est-à-dire principalement les envois des MRE, d’un côté, et les recettes de tourisme, de l’autre côté, le besoin de financement de l’économie, que révèle le déficit des paiements courants, se situerait à des niveaux extrêmement élevés. Surtout que le PIB, qui sert de dénominateur, a faiblement progressé non plus seulement en 2018, mais globalement sur l’ensemble de la période qui va de 2012 à aujourd’hui.

Quand les indicateurs macroéconomiques se sont améliorés, la croissance s’est ramollie

Le paradoxe de la situation est que le ralentissement de la croissance que l’on observe de 2012 à aujourd’hui (une moyenne de 3,4% par an contre une moyenne de 4,7% sur la période 2000-2012) coïncide précisément avec l’amélioration des équilibres macroéconomiques, en particulier la réduction entre 2013 et 2015 du déficit commercial et, à sa suite, du déficit des transactions courantes. Ceci amène à se poser la question, probablement gênante, de savoir si l’action de réduction des déséquilibres macroéconomiques entamée en 2012 n’a pas été trop brutale. Sans doute nécessaire vu les déficits jumeaux atteints en 2012 (9,5% du PIB de déficit courant et 6,8% de déficit budgétaire), l’action de rééquilibrages des comptes extérieurs et des finances publiques ressemble néanmoins, à certains égards, à un remède de cheval. Songez qu’en l’espace de deux ans, le déficit de la balance courante a été divisé par plus de 4,5 pour s’établir à 2,1% du PIB en 2015 au lieu de 9,5% en 2012 ! Le déficit budgétaire, lui, a été divisé par plus de 2, passant de 7,2% du PIB hors privatisation à 3,5% en 2017.

C’est une banalité de dire que les déficits signalent qu’un pays (ou un ménage) vit au-dessus de ses moyens et que, ce faisant, il accumule des dettes qu’il faudra bien rembourser un jour. Mais c’est connu aussi qu’une réduction des déficits de cette amplitude ne manque presque jamais de générer des effets négatifs sur la consommation et l’investissement et, partant, sur la croissance économique. Surtout dans un contexte où les exportations – d’ailleurs très largement nourries par les importations – n’ont pas encore pris le relais de la demande intérieure comme facteur déterminant de la croissance. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Sur la période 2013-2018, la demande intérieure, selon le HCP, a ralenti à 3,1% par an en moyenne au lieu de 5% en moyenne annuelle au cours de la période 2000-2012. Et les composantes de la demande intérieure, précise encore le HCP, ont toutes deux fléchi de façon considérable : respectivement d’une moyenne de 6% à 1,2% par an pour l’investissement, et de 4,3% à 2,9% pour la consommation finale, c’est-à-dire principalement la consommation des ménages. Sous cette configuration, la valeur ajoutée de l’économie marocaine, donc l’essentiel du PIB, ne pouvait que mollir : sa croissance est en effet passée d’une moyenne de 4,6% par an à 2,6% par an entre les deux périodes considérées.

Clairement, la faiblesse de la croissance de cette décennie a quelque chose et même beaucoup à voir avec le repli de la demande intérieure. Peut-être, a-t-on d’ailleurs, un peu précipitamment, rendu celle-ci seule responsable des déséquilibres macroéconomiques, apparus à partir de 2007 ! Ahmed Lahlimi, Haut Commissaire au Plan, semble le penser, lui qui considère que «tous les modèles de développement sont portés par la demande intérieure, les nuances n’intervenant que par la part que la demande extérieure apporte à leur financement et à la soutenabilité des échanges extérieurs». Tout le problème est là. La demande extérieure, pour des raisons qui tiennent, entre autres, à la compétitivité des exportations, ne contribue pas toujours positivement à la croissance. En 2018, sa contribution a été de -1 point à la croissance, en 2017 de +0,4 point, en 2016 de -4,7 point, et pour 2019, prévoit le HCP, de -0,8 point. En d’autres termes, la contribution des échanges extérieurs est, pour le moment, instable, aléatoire. Malgré tout, le renforcement, l’amélioration des exportations est absolument indispensable. Car, si la demande intérieure demeure la pierre angulaire de la croissance au Maroc – comme ailleurs du reste –, le pays a quand même un taux de pénétration jugé «anormalement élevé» par Ahmed Lahlimi. Des calculs réalisés par le HCP montrent que sur un échantillon d’une dizaine de pays, le Maroc vient en première position avec un taux de pénétration, donc de dépendance, de 41% en moyenne sur la période 2008-2015, loin devant des pays comme le Brésil (13%), la Turquie (28%) ou encore l’Afrique du Sud (31%).

Il y a là une vraie problématique pour l’économie marocaine : Comment maitriser les déficits extérieurs, notamment le déficit courant qui persiste depuis douze ans, sans brider en même temps la croissance économique.