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«Le Maroc dispose de l’ensemble des ingrédients pour devenir une puissance industrielle mondiale»
• Nous avons des atouts majeurs à offrir dans notre périmètre géographique, la stabilité en premier lieu, puis la disponibilité de ressources humaines jeunes et qualifiées.

Dans la deuxième partie de ce grand entretien, Ali Seddiki revient sur les leçons de la crise et le potentiel des industriels marocains à s’adapter. Le DG de l’industrie relève aussi les points clés qui ont pu sauvegarder l’attractivité de la plate-forme Maroc même en temps de crise. Il esquisse les grands contours du plan de relance 2021-2023 mis en place par le ministère pour riposter aux effets de la pandémie. Pour lui, la banque de projets présentée à la CGEM représente le premier axe de ce plan de relance, et a pour objectif d’encourager la fabrication locale de produits substituables. La compétitivité de l’industrie est également au cœur de la réflexion. Le travail en cours avec les grands partenaires de la tutelle montre qu’il est possible, dans des secteurs à forte valeur ajoutée industrielle, de rivaliser avec de grands pays émergents en termes de compétitivité. Deux leviers principaux ont été identifiés : l’intégration locale en profondeur et la compétitivité énergétique.
• La crise a démontré les capacités des industriels marocains. Quelles leçons stratégiques avez-vous tiré de ce contexte ?
L’appel à la mobilisation des forces vives marocaines par Sa Majesté le Roi a fédéré les énergies. L’industrie nationale a démontré son agilité, son efficacité et l’innovation dont elle pouvait faire preuve dès lors qu’on lui faisait confiance. Cette crise a aussi souligné la qualité du partenariat public-privé. La sécurité de l’approvisionnement alimentaire, la fabrication de masques, du gel hydroalcoolique et des dispositifs médicaux sont autant d’exemples qui montrent la qualité de cette collaboration dans l’industrie.
La crise a également permis de lever le doute sur les capacités de nos ressources humaines et de nos opérateurs. Nous devons capitaliser sur ces enseignements, soutenir l’innovation et oser davantage.
Les instructions du ministre de l’industrie étaient claires : nous vivons un moment de bascule historique, les opérateurs marocains ont prouvé qu’ils pouvaient concevoir, industrialiser et produire des produits complexes de bout en bout ; nous devons profiter de cet élan national pour stratégiquement renforcer la fabrication locale de produits substituables.
• En pleine crise pandémique, plusieurs grands noms de l’industrie à l’échelle mondiale continuent d’annoncer leur volonté de s’implanter au Maroc ou d’y étendre leur présence. Quels messages cela véhicule quant à l’attractivité de la plate-forme Maroc ?
La santé des Marocains a été la priorité, et l’industrie a pu continuer de produire dans un cadre sanitaire repensé. L’industrie nationale a fait preuve de résilience. Dans l’automobile par exemple, nous avons enregistré 10 milliards de dirhams d’export en septembre 2020: nous aurions dépassé notre objectif de 100 milliards de dirhams sans la période creuse de mars-avril.
Il y a ensuite le fait que la crise n’a pas supprimé les atouts de notre Royaume, notre stabilité politique, notre capital humain, nos infrastructures et notre compétitivité. Il y a enfin un mouvement de redéfinition des périmètres de production à l’échelle du globe. Les grands groupes industriels et les pays émetteurs d’IDE se sont rendu compte du degré de dépendance de leur industrie à la Chine. Il y a une volonté de mitiger les risques et d’identifier plusieurs alternatives, futurs pays-locomotives de la production industrielle. Le Maroc est un candidat idoine pour accueillir les industriels qui sont dans cette logique.
• Vous venez de lancer une nouvelle stratégie industrielle 2021-2023. Quelles en sont les grandes lignes ?
Nous parlons de plan de relance industriel plutôt que de nouvelle stratégie industrielle. La banque de projets présentée par Monsieur le ministre à la CGEM représente le premier axe de ce plan de relance, et a pour objectif d’encourager la fabrication locale de produits substituables.
La compétitivité de l’industrie est également au cœur de la réflexion. Le travail en cours avec nos grands partenaires montre que nous sommes en mesure, dans des secteurs à forte valeur ajoutée industrielle, de rivaliser avec de grands pays émergents en termes de compétitivité. Deux leviers principaux ont été identifiés : poursuivre l’intégration locale en profondeur et améliorer la compétitivité énergétique.
Ce dernier point est un axe à part entière. La décarbonation et le recours aux énergies renouvelables pour alimenter l’industrie sont à la fois une nécessité et un gage de compétitivité accrue, notamment pour nos industries énergivores.
• Quelle place le capital national occupe-t-il dans la phase post-Covid pour permettre à l’industrie marocaine de franchir de nouveaux paliers de croissance ?
Avant la crise, dans le cadre des écosystèmes, le capital national a investi le champ de l’industrie.
A titre d’exemple, entre 2014 et 2019, les secteurs du textile et de l’agroalimentaire ont respectivement engagé 5 milliards et 6,5 milliards de dirhams d’investissement, une large majorité à l’actif d’investisseurs marocains. Des joint-ventures ont été créées dans l’automobile ; et l’aéronautique a vu naître le premier équipementier de rang 1 à capitaux marocains qui fournit actuellement Boeing pour son Dreamliner 787.
Maroc PME a de son côté accompagné plus de 2.200 projets de TPME qui représentent un investissement de plus de 10 milliards de dirhams, dans le cadre du PAI.
Pour franchir de nouveaux paliers de croissance, cette dynamique doit s’accélérer. L’encouragement de la fabrication nationale de produits substituables, et le renforcement de l’intégration locale en profondeur offrent de belles perspectives au capital national.
• Une véritable tectonique des plaques a actuellement lieu. Les chaînes de valeurs à l’international sont en pleine reconfiguration. Comment le Maroc doit-il se positionner pour espérer tirer profit de la situation ?
Le Maroc doit continuer de valoriser ses actifs actuels et mettre en œuvre la Vision Royale du développement du capital humain.
Nous avons des atouts majeurs à offrir dans notre périmètre géographique, la stabilité en premier lieu, puis la disponibilité de ressources humaines jeunes et qualifiées. Les pays d’Europe de l’Est ont perdu en attractivité principalement du fait de leur démographie. Peu de pays dans le pourtour européen sont en mesure d’offrir un niveau de qualification similaire. Le Maroc est l’un de ces pays, et a justement l’avantage de sa jeunesse. La formation et le travail avec nos locomotives sectorielles nous permettront de continuer de créer de nouveaux écosystèmes à forte valeur ajoutée, et ainsi de pleinement tirer profit du contexte géostratégique actuel.
• Quelle est la place du Made in Morocco pour l’avenir de l’industrie ?
Une place centrale. Dans le B-2-B la reconnaissance du Made in Morocco est une réalité : dans des secteurs où la qualité prime sur le coût, comme l’aéronautique, nos fournisseurs ont reçu les plus hautes certifications qualité des donneurs d’ordres internationaux. Il y a des efforts à faire dans le B-2-C, à deux niveaux. Nos concitoyens doivent davantage faire part de leurs exigences pour que les opérateurs puissent en tenir compte ; et nous devons lutter contre une certaine culture du dénigrement du produit national au profit de l’import. L’industrie marocaine a une production qui atteint les meilleurs standards mondiaux, un effort de communication est à faire pour que cela soit mieux appréhendé par nos concitoyens. J’en profite pour saluer le travail qui est en cours chez nos collègues du département du commerce qui ont bien appréhendé la question.
• Dans le même sens, quel est le potentiel de la substitution aux importations de plus en plus évoqué ces derniers temps ?
Un potentiel de 34 milliards de dirhams a été identifié, 100 premiers projets ont été partagés, une deuxième liste est actuellement en cours d’élaboration, et nous ciblons un total de 500 projets à terme.
Une war room a été mise en place au ministère. Nous travaillons de concert avec nos partenaires, CGEM, fédérations professionnelles, CRI, IMANOR ; pour identifier et assurer le suivi des porteurs de projets. Nous avons pu constater l’engouement qu’a suscité le sujet : 17 conventions d’investissement d’un montant de 857 millions de dirhams ont déjà été signées pour des projets dans l’agroalimentaire, le textile, la plasturgie et les matériaux de construction. En un mois, 413 opérateurs ont pris attache avec nos équipes, 143 projets ont été retenus qui représentent un potentiel de plus de 10 milliards de dirhams, près d’un tiers de l’objectif que nous nous sommes fixés.
• Pourquoi le concept de décarbonation est-il crucial dans la nouvelle stratégie de votre département ?
La prise de conscience environnementale en Europe occidentale et les impacts de la crise ont accéléré la volonté de Bruxelles de mettre en place une taxe carbone aux frontières.
Le Maroc n’est pas directement ciblé par cette taxe mais risque d’en être un dommage collatéral. Plus de 60% de nos exportations sont dirigées vers l’Europe. Sans décarbonation, toute notre industrie exportatrice est menacée.
• Le PAI ambitionne d’atteindre une part du PIB industriel/PIB de 23%. Peut-on espérer que le Maroc accède au club des pays industrialisés sur un horizon de moyen terme ?
Absolument. Sans revenir sur nos atouts, il y a déjà un état de fait : nous sommes l’un des leaders industriels en Afrique, continent d’avenir pour l’industrie mondiale. Nous sommes le premier pays d’Afrique dans le secteur automobile et dans le secteur aéronautique, sans pétrole ni gaz.
Par ailleurs, en connectant à l’industrie nos énergies renouvelables, qui sont parmi les plus compétitives au monde, nous pourrons aller plus loin et intégrer les activités fortement consommatrices d’énergie. L’augmentation des taux d’intégration ne butera plus sur la facture énergétique. Sur un horizon de moyen terme le Maroc dispose de l’ensemble des ingrédients pour devenir une puissance industrielle mondiale, tout étant respectueuse de l’environnement.
