Affaires
Aid Al Adha : 80% des peaux échappent à l’industrie du cuir
Selon les industriels, 40% des peaux finissent dans les décharges publiques. Le manque à gagner pour la filière du cuir est de 300 MDH. Pour limiter le gà¢chis, la Fédération des industries du cuir suggère l’ouverture des abattoirs le jour de l’Aid.

Un gâchis ! Sur les 5 millions de bêtes qui sont sacrifiées à l’occasion de Aïd Al Adha, seulement un million de peaux partent pour le circuit de tannage industriel et artisanal. Selon les professionnels, 2 millions de peaux, soit 40% du total atterrissent dans les décharges publiques, étant entendu que les deux autres millions sont transformées en tapis traditionnel par les ménages (les fameuses haïdouras) une pratique encore courante dans le pays. Si l’on sait qu’une seule peau permet de fabriquer en moyenne quatre paires de chaussures, c’est l’équivalent de 16 millions de paires qui ne sont pas fabriquées. Au grand dam des professionnels du cuir qui se plaignent d’une pénurie de cette matière première. Pour s’approvisionner, ils doivent actuellement débourser 50 à 60 DH l’unité contre 20 DH il y a deux ans. Le manque à gagner pour la filière du cuir est estimé par la Fédération marocaine des industries du cuir (Fédic) à 300 MDH.
Aux pertes causées à l’occasion de l’aïd s’ajoute un autre phénomène qui aggrave la pénurie. Les exportations de stain (peaux brutes ayant subi une première opération de tannage) sont en hausse constante. Ces ventes à l’étranger, principalement vers l’Italie, la Turquie, la Chine et le Portugal, sont passées de 919 tonnes en 2009 à plus de 13 000 tonnes en 2010. Pour expliquer cette rapide progression, les industriels évoquent des exportations wet blue, peau légèrement transformée, pourtant interdites depuis 2000. Pour contourner le contrôle, les fraudeurs déguisent cette variété en stain par le biais d’un traitement chimique. Un problème qui prévaut depuis plusieurs années et sur lequel se penche toujours le comité interministériel composé des ministères du commerce extérieur, de l’intérieur et de l’artisanat ainsi que de la Douane, de l’Office des changes et de la Fedic qui a encore attiré l’attention des pouvoirs publics, il y a quelques mois, sur la recrudescence de la fraude. Lors de sa réunion tenue le 24 octobre dernier, ce comité a fait le point sur les mesures prises, notamment le renforcement du contrôle de la qualité déclarée des produits destinés à l’exportation. Et de l’avis des industriels, «on commence à sentir un recul des ventes à l’étranger grâce au dispositif».
La qualité est largement supérieure à celle des peaux collectées durant le reste de l’année
En aval, les professionnels du cuir ont déjà entamé la réflexion sur les moyens de récupérer le maximum de peaux à l’occasion de Aïd Al Adha. Ils soulignent que celles qui sont produites durant cet évènement sont d’une excellente qualité. Une qualité largement supérieure à celle des peaux fournies par le marché durant le reste de l’année parce que «les moutons de l’aïd sont bien engraissés», explique Jamal Bahhar, directeur de la Fedic. C’est pourquoi à l’approche de la fête, une campagne de sensibilisation avait été menée par cette organisation professionnelle, en coordination avec le ministère du commerce et de l’industrie et l’Office national de sécurité sanitaire des produits alimentaires (ONSSA), pour inciter les citoyens à ne pas gaspiller ces peaux et à mieux les préserver afin qu’elles puissent être bien exploitées par les industriels et les artisans. La Fédic ne se contente pas de cette action ponctuelle. Elle va plus loin en proposant aux pouvoirs publics l’ouverture des abattoirs le jour de l’aïd. L’initiative a un double objectif. D’abord, elle «permettra d’effectuer un abattage professionnel qui garantira une bonne qualité des peaux et un approvisionnement en quantités importantes», explique M. Bahhar. Ensuite, l’opération se déroulera dans de meilleures conditions hygiéniques, notamment grâce à l’intervention de bouchers professionnels. La fédération envisage de programmer, dès l’année prochaine, une expérience pilote dans une petite ville et un quartier résidentiel d’une grande ville pour évaluer l’impact de cette initiative en vue de l’étendre à un plus grand nombre de localités. Pour le moment, aucune rencontre avec les pouvoirs publics n’est programmée. Mais la fédération entend bien appuyer sa requête. Compte tenu des gains potentiels pour le secteur et pour le pays en général, cette idée mérite amplement d’être soutenue.
