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Affaires

Agriculture : les détails de la réforme de la dernière chance

Pour agrandir
la taille des exploitations, des crédits «gratuits» aux agriculteurs pour racheter
les terres.
La micro-irrigation subventionnée à 100% et le financement des engins agricoles assoupli.
Une convention entre l’Etat et le Crédit agricole pour la création de sociétés de financement régionales (SFR).

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C’est connu, la campagne agricole2006-2007 est catastrophique et les dernières précipitations ne changeront pas grand-chose à la donne. Le constat est unanime aussi bien auprès des professionnels que chez l’administration qui le reconnaît, toutefois, à demi-mot. Cependant, l’inquiétude en rapport avec la sécheresse récurrente s’accompagne d’un souci beaucoup plus prégnant : une réforme maintes fois promise, maintes fois programmée, mais qui n’arrive toujours pas. Les handicaps de l’agriculture nationale sont connus : 50% des superficies arables consacrées à une céréaliculture à faible rendement, un sous-équipement en structure d’irrigation et des pertes conséquentes, des exploitations trop petites ne permettant pas d’économie d’échelle ni de modernisation… Tout cela et bien d’autres causes qui concourent à rendre à la fois l’économie agricole fragile et dépendante des aléas climatiques.

C’est en ce sens que les professionnels, qui se sont organisés au sein de la Comader, sont montés au créneau. Fin janvier dernier, ils ont rencontré le Premier ministre en présence de Mohand Laenser, ministre de l’agriculture. L’entrevue qui devait initialement durer 45 minutes en raison des engagements pris par Driss Jettou, notamment un déplacement à Dakar, s’est prolongée au-delà de deux heures. Le Premier ministre, qui a pris finalement le temps d’écouter les opérateurs, s’est rendu compte de la gravité de la situation. Décision prise séance tenante : le ministre de l’agriculture devra présenter une feuille de route pour la restructuration du secteur avant le 31 mars. Depuis, c’est le branle-bas de combat au ministère. Les réunions se succèdent pour tenir ce délai d’autant plus que ces mesures devront faire l’objet d’annonces officielles à l’occasion du prochain Salon international de l’agriculture de Meknès (Siagrim) prévu pour la mi-avril.

Le Crédit agricole promet l’assouplissement des conditions de financement
Qu’est-ce qui changera ? Les pistes de mise à niveau ont été évoquées plusieurs fois mais sans jamais êtres inscrites dans un contrat-programme qui leur permettra de prendre forme indépendamment des ministres qui se succèdent. Cette fois-ci semble être la bonne, même si Mohand Laenser évite l’appellation de contrat-programme. «Il faut plutôt parler d’un travail fouillé ; des choses sont en cours de préparation», se contente-t-il de déclarer. En exclusivité, La Vie éco livre les principaux axes de cette feuille de route à laquelle les responsables de l’agriculture portent actuellement les dernières retouches. Il sont au nombre de cinq.

En premier lieu, le remembrement des terres est érigé en priorité. Aujourd’hui, la superficie moyenne des exploitations est de 5 ha, avec des parcelles souvent inférieures à un hectare ( des superficies de 9 000 m2). Le gouvernement ne s’est pas fixé d’objectif chiffré, mais vise globalement l’extension des superficies moyennes. Comment ? En mettant en place des moyens de financement permettant aux agriculteurs désireux d’acquérir des terres voisines de le faire à moindre coût financier.

Cet axe conditionne le reste de la stratégie, particulièrement dans son deuxième volet qu’est la reconversion des céréalicultures qui, au terme de l’année 2006, constitue un véritable échec. Rappelons que M. Laenser avait présenté en 2005, dans le cadre d’un conseil de gouvernement, un plan pour la reconversion annuelle de 32 000 ha en arboriculture et 20 000 autres en arbustes fourragers. A fin 2006, l’on est loin du compte. Les responsables reconnaissent que le système de financement de cette reconversion est lourd. «Nous avons besoin d’un effort massif du gouvernement pour le financement, un meilleur encadrement sur le terrain et une augmentation des dons et subventions destinés à cette rubrique», confie un responsable au ministère de l’agriculture.

La mécanisation constitue la troisième composante de la nouvelle stratégie. Comparé à des pays similaires, le Maroc enregistre encore un taux de mécanisation très faible. Le système en vigueur pèche par la lourdeur de ces procédures. Au Crédit agricole, on assure qu’un travail de fond est mené pour assouplir les conditions d’accès au financement.

Le quatrième axe de la réforme porte sur l’économie de l’eau. Il consistera, entre autres, à encourager des cultures moins consommatrices d’eau. Ce volet comprend d’ailleurs l’encouragement de la micro-irrigation. Driss Jettou l’avait annoncé lors de sa rencontre avec la Comader : le gouvernement peut prendre en charge jusqu’à 100 % du coût d’équipement des exploitations en micro-irrigation. «La question que nous devons nous poser est de savoir si la micro-irrigation ne doit pas devenir un service public en raison des économies et des rendements qu’elle permet», s’interroge, à ce propos, Tarik Sijilmassi, président du Crédit agricole du Maroc (CAM), joint au téléphone par La Vie éco.

L’Etat entend devenir plus dirigiste concernant le secteur
Le cinquième axe, enfin, est l’encouragement de l’élevage intensif. «Ce segment n’a pas encore la place qui lui sied. Nous allons mettre en place des formules adaptées pour l’élevage intensif qui constitue par ailleurs une excellente formule de reconversion dans les cultures fourragères», est-il expliqué au sein du département de l’agriculture.

Si tout cela peut paraître séduisant, il restera la question du financement. Le Maroc a-t-il les moyens de ses ambitions ? Un responsable au ministère balaie d’un revers de la main cette question. «Ce n’est pas une question de fonds, les budgets sont disponibles. Il s’agit plus de penser la manière de les injecter dans les circuits». Une position bien partagée au CAM. Son président est lucide au niveau de son analyse. «Un dirham investi dans le monde rural, c’est 10 économisés demain dans le traitement des problèmes de la ville», théorise-t-il. Mais il y a un hic : l’hétérogénéité des exploitations (voir encadré).

Pour dépasser l’ensemble de ces contraintes, le ministère et le CAM comptent bien raffermir leur partenariat. Et c’est là le nœud même de la nouvelle feuille de route. «Un contrat-programme entre le ministère et la banque verte sera signé incessamment», confie une source au département de l’agriculture. Ce contrat-programme devra permettre de mobiliser les fonds nécessaires pour atteindre les objectifs fixés dans le plan de Laenser.

Trois grandes mesures sont à l’ordre du jour. La première, qui introduira une innovation dans le système de financement de l’agriculture, prévoit la création de sociétés de financement régionales (SFR). Ces SFR constitueront un cadre de financement spécifique pour l’accompagnement de la mise à niveau des 800 000 exploitations aujourd’hui non-éligibles aux financements bancaires. Les services du ministère seront, dans ce cadre, appelés à assurer une meilleure présence sur le terrain. «Le dirigisme de l’Etat sera à l’ordre du jour notamment en ce qui concerne le remembrement», explique une source proche du dossier qui ajoute qu’un fonds de remembrement sera mis en place. Objectif affiché : prendre en charge les frais financiers relatifs aux opérations de rachat entre agriculteurs de sorte à ce que les financements bancaires deviennent une sorte de « crédit gratuit ». Mais il n’est pas question de jeter de l’argent par la fenêtre.

Autre défi à relever : le faible encadrement technique des fellahs. Le financement de la réforme devra donc s’accompagner d’un renforcement de l’expertise des agriculteurs d’où l’idée de créer un Fonds de modernisation agricole (FMA).

L’alimentation de ce fonds se fera essentiellement grâce à la coopération internationale et des lignes comme celles du Millenium Challenge Account (MCA) seront mises à contribution. Le montage financier prévoit aussi une combinaison des interventions à travers le concours des SFR. Les sociétés régionales pourront même, selon une source proche du dossier, intégrer les «Dar El Fellah», un dispositif initialement prévu pour l’encadrement technique des agriculteurs. Du coup, ces établissements offriront un package complet comprenant un soutien financier, une expertise technique et un accompagnement pour la commercialisation.

Ces nouveaux dispositifs permettront de relancer un secteur qui occupe encore près de la moitié de la population marocaine.

Pour la phase de lancement, «cinq sociétés de financements régionales seront créées au niveau de cinq régions agricoles», confie une source au département de l’Agriculture. Le modèle prévoit aussi l’implication des régions qui devront mettre la main à la poche. Quand on connaît le nombre de réformes agricoles avortées, il reste à espérer que celle-ci sera la bonne car, de toutes les manières, elle sera la dernière.

Financement
Le casse-tête des exploitations de taille intermédiaire

Force est de constater que l’hétérogénéité des exploitations ne facilite nullement la mission des responsables du secteur. En effet, l’analyse des exploitations agricoles montre que sur les 1,5 million d’exploitations que compte le Maroc, seulement 100 000 répondent aux normes d’un financement bancaire traditionnel. Une deuxième catégorie comprenant 700 000 exploitations, dont les superficies sont inférieures à un hectare en irrigué et 3 en zones bour, relèvent de la microagriculture.

Cette catégorie est financée grâce au concours des opérateurs de micro-crédit dont la fondation Ardi du Crédit Agricole du Maroc. Entre ces deux extrémités, des exploitations intermédiaires qui se chiffrent à près de 800 000 ne disposent d’aucune offre adéquate. «Autrefois, c’était le CAM qui répondait aux besoins de cette population en difficulté structurelle. Or, les nouvelles normes bancaires et la restructuration de la banque ne lui permettent plus d’intervenir directement au niveau de ce segment qui se retrouve du coup exclu du financement», explique un responsable du Crédit agricole.

Com’ese

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