Affaires
Affaire UPS : les plaignants se justifient
L’ancien DG, Hicham Kettani, entendu par le juge d’instruction. En tant qu’actionnaire dans FAES, UPS se retrouve en position d’accusé et de plaignant.

C’est une affaire qui soulève beaucoup de questionnements, tant ses contours sont encore assez flous. Cette affaire n’est autre que le conflit opposant UPS, le géant américain de la messagerie, à son ancien partenaire marocain, Fath Al Khouloud Express Service (FAES). Pour en comprendre les enjeux, il faut remonter à 1997. UPS Worldwide, qui a parachevé son installation dans les capitales européennes, cherche un point de chute en Afrique du Nord. Le choix du Maroc s’étant imposé par la force des choses, c’est FAES, une jeune entreprise marocaine, qui décroche le gros lot en signant un contrat de partenariat avec la firme américaine. Contrat selon lequel la partie marocaine se chargera de la gestion des colis au Maroc. Un an plus tard, la convention entrait en vigueur, et ce fut le début d’une collaboration qui aura duré plus de 18 ans, résiliée unilatéralement par UPS en avril 2015. FAES dépose alors plainte contre son illustre ex-partenaire pour «faux» et «escroquerie», avec constitution de partie civile. Les dommages et intérêts réclamés s’élèvent à 300 MDH.
Une affaire de gros sous
Avant avril 2015, plusieurs événements étaient venus envenimer la relation commerciale entre UPS et son partenaire, selon Boubker Belghazi, actuel DG de FAES. «Le premier d’entre eux arriva en 2012 lorsque les représentants d’UPS nous ont contraints à signer un avenant au titre duquel nous étions tenus de réduire nos marges», explique-t-il. L’avenant, signé par le président de la société et négocié avec l’ancien directeur général, comprenait également une clause de résiliation plus souple pour la partie américaine. En 2014, UPS Worldwide décide que son partenaire marocain devait faire l’objet d’un audit, toujours selon les dires de M. Belghazi. «Jamais les résultats n’ont été publiés. UPS s’est contenté de nous envoyer un résumé au titre duquel nous devions lui rembourser les débours facturés aux clients». En effet, dans les écritures comptables du transporteur marocain, les frais de douane étaient payés d’avance par FAES avant d’être récupérés une fois le colis déposé chez le client. Le résumé de l’audit remet en cause la validité du processus et UPS demande à la partie marocaine le remboursement de plus de 7 millions de dollars, avec une astreinte de 8 jours. Entre-temps, le groupe américain annonce avoir noué un nouveau partenariat au Maroc avec une société nommée Landex, dont elle détenait une partie du capital. Selon le DG de FAES, Landex «a bénéficié d’un agrément d’exercice au niveau du Maroc sur la base de faux documents, elle avait mentionné dans la demande faite aux autorités de tutelle marocaines et à Barid Al-Maghrib qu’elle appartenait à un réseau français de messagerie du même nom. Après vérification, il apparaît que ce réseau n’existe pas».
C’est la version du DG de FAES dans la mesure où nous n’avons pas pu joindre ni les dirigeants de Landex, ni ceux d’UPS pour recouper. Toujours est-il que ce groupe américain a repris, en juin 2015, le contrôle de la nouvelle société pour en faire une filiale à part entière.
L’affaire n’est pas soumise au civil
La réaction de Fath Al Khouloud ne s’est pas faite attendre. Le transporteur marocain a tout bonnement introduit une plainte pénale pour «faux» et «escroquerie» à l’encontre de Philippe Bienfait, représentant d’UPS en tant qu’auteur principal. La plainte a été jugée recevable par le parquet qui a demandé au juge d’instruction d’ouvrir une enquête.
Pour l’instant, plusieurs témoins ont été entendus, dont l’ancien directeur général de FAES, Hicham Kettani, négociateur de l’avenant. Le transporteur a également introduit une plainte au niveau de la Cour d’arbitrage de Londres pour «défendre ses droits et bénéficier de dommages et intérêts suite à la suspension unilatérale et de manière abusive de la part d’UPS du contrat de partenariat», selon Boubker Belghazi. Manœuvre assez délicate il faut dire, puisque l’avocat de FAES a choisi de ne pas soumettre l’affaire au civil pour être sûr que le juge marocain ne se déclare incompétent. En effet, le fait que l’infraction présumée ait été en partie instiguée au Maroc où se sont produits certains de ses effets, impose au juge pénal de statuer, principe de territorialité oblige.
Sauf qu’un élément peut chambouler le déroulement de la procédure : UPS est actionnaire de FAES. Même si la participation au capital ne dépasse pas 1%, les effets sont juridiquement les mêmes. En effet, la jurisprudence marocaine considère que les actions en justice entre les actionnaires devant les juridictions répressives prouvent la perte de l’affectio societatis et justifient la dissolution anticipée de la société. D’ailleurs, comme l’a démontré la jurisprudence, la participation au capital de FAES pourrait être réinterprétée par le juge répressif en un abus de biens sociaux, si jamais les éléments présentés par l’accusation devaient être retenus. Mais au-delà de toute considération juridique, la tradition est que le juge privilégie toujours l’enjeu social. Car il faut rappeler que FAES emploie plus de 100 personnes et c’est son contrat avec UPS qui lui assurait son chiffre d’affaires.
