Affaires
Accords de libre-échange : un déficit consolidé de 60 milliards de DH en 2011
Le solde est déficitaire sur les trois accords multilatéraux. Sur les 25.5 milliards de DH qu’a exportés le secteur textile en 2011 vers l’UE, seuls 3 milliards ont concerné l’accord de libre-échange. Peu compétitif, le Maroc présente en plus une offre peu diversifiée.
A leur signature, on leur prêtait mille vertus. Pourtant, ils n’ont pas encore donné les résultats escomptés. Il s’agit des accords de libre-échange conclus avec la majorité des partenaires commerciaux, qui se sont au contraire révélés pénalisants pour le Maroc. Et la tendance ne semble pas prête à s’arrêter.
Prenons le plus gros partenaire, l’Union Européenne. Ses exportations dans le cadre de l’accord sont passées de 49 milliards de DH en 2006 à 80 milliards de DH en 2009, puis à 105 milliards à fin 2011, soit une nette progression de 114% en l’espace de cinq ans. Plus éloquent encore, leur part dans les exportations globales vers le Maroc, tous régimes confondus, s’est significativement renforcée, passant de 39% en 2007, à 47% en 2009 puis à 45% à fin 2011. A contrario, les exportations marocaines vers l’UE se sont timidement établies à 9,5 milliards de DH en 2006, à 15 milliards de DH en 2009, puis à 29 milliards en 2011, engendrant ainsi un déficit qui n’a cessé de se creuser depuis 2006 (30 milliards de DH), jusqu’en 2010 (44 milliards de DH), pour s’établir à 45 milliards à fin 2011 malgré la bonne tenue du taux de couverture qui traduit davantage une baisse des importations en provenance du marché traditionnel de l’Europe qu’une vraie amélioration des expéditions à destination de ces pays.
Par nature de produits, le Maroc importe sous ce régime davantage de voitures de tourisme et de voitures industrielles dont les importations ont bondi respectivement de 40% et 31%, des médicaments, des matières et ouvrages plastiques, et du papier, bois et carton dans une moindre mesure. Alors que les exportations dans le cadre de l’accord de libre-échange concernent surtout le phosphate, les engrais, les crustacés et mollusques ainsi que les articles de textile.
Cette configuration des produits importés et ceux exportés participe, à son tour, au creusement du déficit, vu que l’offre Maroc se trouve largement dépassée par celle de l’UE en termes de degré d’industrialisation et donc de valeur incorporée. Les produits exportés frappent par leur état brut. D’autant plus que le textile, un des principaux secteurs exportateurs, ne bénéficie pas intégralement des droits préférentiels vu que les opérateurs importent une grande partie de ses intrants et se voient confrontés par conséquent aux règles d’origine qui stipulent qu’un produit donné doit contenir au moins 40% de valeur ajoutée locale pour pouvoir bénéficier des dispositions du libre-échange. A titre d’exemple, sur les 25,5 milliards de DH de vêtements confectionnés et d’articles de bonneterie qu’a exportés le secteur en 2011, seuls 3 milliards de DH ont fait l’objet de traitements préférentiels. Pire encore, alors que les exportations globales des vêtements confectionnés ont légèrement progressé entre 2010 et 2011, celles exécutées dans le cadre du libre-échange ont régressé de 2,8%.
La Dacia Logan est le principal produit exporté dans le cadre de l’accord d’Agadir
Les Américains ont aussi profité pleinement de l’accord de libre-échange entré en vigueur en 2006. Le périmètre d’application de l’accord exclut les produits agricoles susceptibles d’être exportés par le Maroc comme les légumes et les fruits. Motif invoqué, le mode de transport et les normes sanitaires et de qualité n’habilitent pas ces produits à bénéficier du régime préférentiel. Le textile n’est pas mieux loti puisqu’il rencontre le même problème que celui de l’accord avec l’UE, notamment des règles d’origine assez contraignantes.
Sur ce fond, les exportations des Etats-Unis à destination du Royaume sont passées de 3,8 milliards de DH en 2006, à 8,2 milliards en 2008 puis à 12,6 milliards de DH à fin 2011, soit une progression notable de 230% en l’espace de 5 ans. Tandis que les exportations marocaines n’ont commencé effectivement qu’en 2008 avec un volume de 2,7 milliards, passant à 5 milliards en 2011, engendrant ainsi un déficit commercial de 7,5 milliards de DH au titre de cet exercice, contre 3,7 seulement lors de la première année d’adoption de l’accord de libre-échange.
Par produits, le maïs, les houilles et cokes, et l’huile de soja arrivent en tête des produits importés par le Maroc alors que les phosphates et les engrais représentent 77% des exportations vers les Etats-Unis. Sur ce marché, toute chose étant égale par ailleurs, «la problématique de l’industrialisation ne se pose pas trop du moment que les deux pays s’échangent des biens à degré de sophistication équivalent. Le déficit accusé est à rechercher plutôt au niveau d’autres facteurs», nuance un consultant en commerce international.
Si l’on argue des causes liées à la taille et à la performance des industries de l’Europe et des Etats-Unis, aux écarts culturels, et à des faiblesses logistiques pour justifier les soldes commerciaux déficitaires avec ces deux partenaires, l’on se trouvera désemparé pour expliquer le déficit à l’égard des pays signataires de l’Accord d’Agadir, entré en vigueur en mars 2007. A cet égard, le Maroc n’exporte quasiment rien, sauf les 450 millions de DH découlant en grande partie des ventes de la Dacia Logan. Alors que ses importations en provenance de Tunisie, d’Egypte et de Jordanie ont totalisé 2,7 milliards de DH en 2009, 2,9 milliards en 2010 et 3,5 milliards au titre de 2011. Résultat, un accord déficitaire de plus, malgré les similitudes des modèles économiques de ses signataires.
Barrières non tarifaires et marchés parfois trop grands brident les exportations
Les opérateurs s’accordent sur deux raisons pour expliquer ces déconvenues : le déficit de compétitivité et la faible diversification de l’offre et des débouchés. Aussi, le fait que les entreprises marocaines ont du mal à se défaire des commandes de leurs partenaires traditionnels de l’Europe, et leur réticence à faire la conquête d’autres marchés, occasionne de sérieux manques à gagner. A cela s’ajoutent les différences de taille des marchés. Certains, à l’instar des Etats-Unis, sont trop importants en volume pour que leurs ordres soient exécutés par l’industrie marocaine. Les difficultés à promouvoir le label Maroc, le coût du transport et de logistique et la non-maîtrise des usages des nouveaux marchés constituent d’autres goulots d’étranglement.
Cependant, ces facteurs ne doivent en aucun cas occulter ceux qui sont liés à l’esprit des accords lui-même. «Certains pays continuent de profiter des failles des textes, en usant à tort et à travers des barrières non tarifaires comme normes (NDLR : traçabilité, normes sanitaires, sociales et environnementales)», explique le consultant.
Par ailleurs, l’existence de plusieurs régimes préférentiels pour le même pays complique davantage la visibilité aux opérateurs et la tâche aux douaniers.
Le risque d’incohérence entre les textes et des télescopages des clauses est très probable. Par conséquent, il devient très difficile de décider lequel des accords appliquer, notamment lorsqu’il y a à la fois accord bilatéral, régional et unilatéral.
Quoi qu’il en soit, en faisant le choix d’être partie prenante dans ces accords, le Maroc ne fait que s’insérer davantage dans une mondialisation à marche forcée, en faisant le pari d’améliorer l’offre exportable, de rehausser la compétitivité des entreprises et de conquérir de nouveaux marchés.
Sauf qu’il lui reste, pour entrer dans un cercle vertueux, de trouver le modus operandi pour optimiser les retombées de ces accords.