Affaires
Accès au financement bancaire : les PME victimes de leurs dossiers
Déséquilibre de la structure financière, cumul de résultats déficitaires, concentration des créances et mouvements douteux sur des postes du bilan constituent les principales causes de rejet.
Erigée souvent en tant que facteur freinant l’essor de la PME, la problématique du financement ne cesse d’être dénoncée à tort et à travers, alors qu’elle devrait être mise dans son véritable cadre d’analyse. «A entendre les discours qui traitent des difficultés d’accès des PME au financement, l’on se croit en présence d’établissements de crédit qui opposent un refus systématique dès lors qu’il s’agit d’une PME qui prétend au concours bancaire. Or, cela est archi-faux», affirme un DG d’une grande banque de la place. En effet, la majorité des emplois des banques est concentrée sur un nombre réduit de grands groupes. La loi de Pareto se vérifie à cet égard, en faisant en sorte que 20% de la clientèle concentre 80% des crédits. «Cette configuration gagnerait à être nuancée du fait que les besoins des grandes entreprises sont d’un ordre de grandeur plus important en volume que celui des PME. En raisonnant par dossier/client, la configuration se trouve aussitôt inversée», précise-t-il. Les établissements de crédit, du fait de la nature même du tissu économique, traitent avec un nombre de PME largement supérieur à celui des grandes entreprises structurées. «Nous gérons au niveau de l’agence 200 dossiers de PME contre 5 dossiers de grandes entreprises», confie le responsable de clientèle d’un centre d’affaires de la BP à Casablanca.
Un fonds de roulement négatif donne lieu à un rejet systématique
C’est dire que la PME représente le plus gros de la clientèle «Entreprise» des établissements bancaires, qui ne laissent passer aucune occasion sans la concrétiser en dossier de crédit, dans un contexte de concurrence acharnée entre confrères.
«Nous donnons des instructions claires aux équipes pour ne pas perdre de vue qu’il n’y a pas de grands clients et de petits clients. Nous privilégions surtout les PME vu qu’elles présentent un fort potentiel en matière de placement des produits et des conventions, pour peu que leur dossier soit bancable», affirme un responsable de réseau à la BMCI.
Et c’est justement au niveau du dossier qu’une grande majorité de PME rate sa chance au financement, selon les banquiers. Ces derniers remontent, à ce titre, quatre types de facteurs qui déclenchent le rejet expéditif d’une demande de crédit émanant de la PME.
Il s’agit en premier lieu de facteurs inhérents à la structure financière que présente l’entreprise aspirant au financement. Structure qui, en plus d’être souvent en sous-capitalisation (capital à 10 000 DH), peut refléter un déséquilibre traduit par un fonds de roulement négatif issu de l’excès des emplois sur les ressources. «Beaucoup de PME, en l’absence de financiers avertis, financent par exemple des outils de production qui représentent un emploi de long terme, par la trésorerie qui, elle, constitue une ressource de court terme», explique un gérant de portefeuille d’une banque de la place. Et d’ajouter : «En présence d’un fonds de roulement négatif, Bank Al-Maghrib proscrit légalement l’octroi du financement».
Aussi, le cumul de résultats déficitaires est répertorié chez les banquiers en tant que facteur récurrent lors des refus. Selon eux, les entreprises dont les pertes atteignent les 3/4 du capital social, et elles sont relativement nombreuses, doivent produire un «PV de continuité» précisant les modalités de reconstitution des fonds propres si elles envisagent de poursuivre leur activité. Chose que plusieurs PME n’observent pas, systématiquement, au bon moment.
L’évolution des mouvements des postes du bilan est, elle aussi, pointée du doigt, notamment en matière des comptes courants d’associés qui reprennent en principe les dettes que détiennent les associés sur leur entreprise, mais qui ne reflètent pas généralement la réalité des ressources que les associés pompent parfois de l’entreprise sans comptabilisation. Sachant que la récupération de ces dettes doit se faire avec des justificatifs expliquant les sorties des fonds. «Cette anomalie revient souvent, vu que l’associé, surtout dans les PME de type familial, dispose de l’argent sans qu’il lui paraît important de faire le distinguo entre son patrimoine et celui de la société. Ainsi, il peut opérer des retraits importants et répétitifs sans que cela concerne l’activité de l’entreprise, et sans qu’il y ait de comptabilisation au débit de son compte d’associé», explique le gérant de portefeuille.
«Nous avons récemment rejeté le dossier d’une PME vu que le compte clients représente plus de 80% de son courant d’affaires, ce qui la rend totalement dépendante de ses débiteurs. D’autant plus qu’elle n’a pas pu fournir le détail de ses créances pour nous permettre de statuer sur leur qualité et les chances de leur recouvrement», note un analyste de risque d’une banque de la place pour illustrer cet autre facteur qui peut servir de motif de refus.
S’agissant d’entreprises nouvellement créées, le principal motif de rejet qui a trait aux finances concerne les projections du business plan remis aux banquiers.
Généralement, et pour mettre plus de chances de leurs côtés, les actionnaires confectionnent des comptes prévisionnels très optimistes, et pas du tout réalistes, vu qu’ils ne cadrent pas avec les hypothèses vérifiées au niveau du secteur dont fait partie la PME prétendant au financement.
La discontinuité dans les comptes, autre motif de refus
Par ailleurs, avec l’exigence par les banques du bilan fiscal depuis quelques années, plusieurs PME trouvent du mal à produire des bilans dont les postes affichent une continuité du fait qu’elles confectionnaient auparavant des bilans bancaires totalement différents de ceux déposés auprès du fisc.
«Ce cas d’espèce déclenche un refus systématique lorsqu’il est observé au niveau des exercices lointains des entreprises et qu’il touche des rubriques cruciales du bilan, notamment lors de l’octroi d’un crédit à moyen et long terme», confie un cadre d’une grande banque de la place.
Si les facteurs d’ordre financier sont récurrents, cela n’empêche pas que d’autres causes précipitent les rejets des dossiers, dans une moindre mesure, notamment ceux inhérents aux caractéristiques du crédit sollicité. Les banquiers s’accordent surtout sur les cas d’inadéquation entre la nature du crédit demandé et le cycle d’exploitation de l’entreprise en question.
«Une PME qui vend par exemple au comptant aura, bien évidemment, du mal à avoir une facilité de caisse, vu qu’elle n’a pas de délais au niveau de ses recettes», relève ce cadre. Parfois, selon ce banquier, il existe un bon nombre de demandes dont les montants et les lignes demandés se trouvent injustifiés vu l’activité de l’entreprise.
Ceci étant, les rejets pour insuffisance ou absence de garanties, et qui reviennent le plus souvent dans les discours, ne sont pas passés sous silence. Les banquiers font leur mea culpa en affirmant, pour leur majorité, qu’il y va de leur impératif de gestion de risque de demander des couvertures à hauteur des expositions au risque encouru. Garanties qui ne sont pas toujours à la portée des PME, surtout celles nouvellement créées.
«Il faut être persuadé que si les dossiers ne présentent pas de vice rédhibitoire en termes financiers (ndlr : bilans) et économiques (ndlr : objet du crédit, faisabilité, secteur), les garanties peuvent être apportées à la banque par des organismes créés à cette fin, de type CCG…», note l’analyste risque. D’autant plus que les banques se contentent parfois d’un simple acte de caution solidaire en plus d’un nantissement du fonds de commerce lorsque les crédits ne financent pas des lignes à haut risque.