Affaires
Abdellatif Zaghnoun : les redressements en douane ont rapporté 1,1 milliard de DH en 2008
Le DG de la douane est catégorique : le système Badr fonctionne bien. 85% des déclarations déposées depuis le 5 janvier ont été apurées.
Le démantèlement progressif des droits de douane induira un manque à gagner de 2,5 milliards de DH sur les quatre prochaines années.
Les entreprises catégorisées vont bientôt bénéficier de la dématérialisation complète de la procédure de dédouanement.
Voilà un peu plus d’un mois que des modules importants du système d’information Badr sont mis en service. Finalement ?
Tout système d’information a besoin au début de son lancement d’ajustements. C’est inévitable. Badr est un système ouvert sur Internet contrairement à son prédécesseur, le Sadoc. Les principaux problèmes que nous avons eus au début sont essentiellement des problèmes d’accès du côté de certains opérateurs. Certains n’avaient malheureusement pas pris toutes les mesures qu’il fallait et que la douane avait recommandées pour pouvoir accéder de manière optimale au système.
Et aujourd’hui ?
Les indicateurs de performance le démontrent. Le taux d’apurement des dossiers est élevé. Sur le nombre total des opérations soumises à dédouanement depuis le 5 janvier, date de mise en service de l’application, près de 85% ont été totalement apurés, les opérateurs ont payé, ils ont eu leur mainlevée et peuvent enlever leurs marchandises.
Reste à savoir dans quel délai…
Détail très important : ce que beaucoup appellent aujourd’hui délai de dédouanement englobe des choses qui n’ont strictement rien à voir avec la douane. Les opérateurs appellent délai de dédouanement le temps qui s’écoule entre le moment où le navire accoste au port et le moment où l’opérateur sort sa marchandise du port. Or, dans ce processus, il y a des délais qui incombent à des procédures relevant de la douane mais d’autres concernent une multitude d’intervenants comme les manutentionnaires, les transporteurs…
Et si l’on prenait rien que l’opération de dédouanement, au sens strict du terme ?
Quand un opérateur s’adresse à la douane avec des documents en règle et soumet sa déclaration et quand il n’y a pas de documents spécifiques comme des certificats de conformité exigés pour certaines marchandises, je peux vous assurer que la procédure peut prendre deux heures tout au plus.
Difficile à croire. Aujourd’hui les opérateurs parlent de plusieurs jours…
Oui parce que, comme je vous l’ai dit, les opérateurs intègrent des éléments qui ne concernent pas la douane. Savez-vous, par exemple, que le délai entre le moment où le navire arrive et le moment où l’opérateur soumet sa déclaration au service de douane est de six jours en moyenne ? Nous ne pouvons pas imputer ce retard à la douane.
Dans son récent rapport sur la performance logistique pour l’année 2007, le Maroc a été classé 94e et sur le critère de l’efficacité des procédures de dédouanement en particulier il a été classé 101e. Par quoi pouvez-vous l’expliquer ?
Ce classement est plus basé sur des perceptions d’opérateurs. L’approche de la Banque mondiale est intéressante, certes, mais il faut aller au-delà des perceptions. Nous avons d’ailleurs entamé un travail avec la Banque mondiale sur la base de ce classement pour analyser de manière plus fine la situation notamment au port de Casablanca.
Vous n’êtes pas d’accord avec le classement et la méthodologie utilisée par les experts de la Banque mondiale…
Ce que je veux dire c’est que l’indicateur qu’ils utilisent ne permet pas d’identifier les vrais problèmes le long de toute la chaîne et donc de savoir si c’est effectivement les services de la douane ou d’autres qui posent problème.
Pour en revenir à Badr, vous êtes catégorique, il marche…
Oui. Il marche. C’est un outil complexe mais performant. Pour vous donner une idée, Badr permet à 850 utilisateurs d’être connectés et d’effectuer leurs opérations simultanément. Le système prend en charge une moyenne de 2 500 déclarations par jour.
Combien vous a-t-il coûté ?
Environ 100 millions de DH.
Un des objectifs était de réduire au maximum l’intervention humaine et par ricochet de rendre transparent le processus. La douane a toujours été étiquetée, à tort ou à raison, comme une administration où la corruption est très présente…
Une série de réformes légales et institutionnelles est intervenue. Il y a eu la simplification, l’informatisation et la dématérialisation des process qui, in fine, doivent réduire l’intervention humaine. Aujourd’hui, nous ne pouvons pas tout contrôler systématiquement et donc nous procédons par sélectivité. C’est le système qui, sur la base d’un ensemble de paramètres, désigne les cargaisons à contrôler et même les agents chargés du contrôle.
Nous avons une direction de l’inspection, direction rattachée à la direction générale, qui procède à des enquêtes à chaque fois qu’il y a des soupçons. Et je peux vous assurer que quand des faits de pratiques indélicates sont avérés, l’agent, quel que soit son rang, est sévèrement sanctionné. Cela peut aller de la mutation à la révocation, voire des poursuites judiciaires.
Vous avez mis en place, il y a plus d’un an, le principe de la catégorisation. Il s’agit d’entreprises qui, sur la base d’un score, bénéficient d’un traitement spécial…
Aujourd’hui, il y a quelque 128 entreprises qui bénéficient de ce statut sur la base d’un référentiel élaboré en concertation avec les professionnels, notamment l’Amith et la CGEM, et d’audits réalisés par des cabinets de conseil indépendants. Le système fonctionne bien et nous avons 12 nouvelles entreprises qui vont incessamment avoir leur label et 320 autres qui demandent à en bénéficier.
Ces entreprises ne sont donc jamais contrôlées !
Absolument, sauf quand il s’agit de contrôles aléatoires décidés par le système. Ces entreprises bénéficient également de certains avantages comme le dédouanement à domicile, ce qui leur permet de gagner du temps et donc en compétitivité. Très important aussi, une entreprise catégorisée n’a plus besoin de présenter de cautions bancaires, sa simple caution morale suffit. C’est un dispositif basé sur la confiance avant tout. Dans les semaines qui viennent nous allons supprimer carrément le contrôle documentaire, pourtant systématique, pour ces entreprises. Elles pourront dédouaner leurs marchandises entièrement par voie dématérialisée.
Il y a eu dans la Loi de finances 2009 des mesures pour baisser les droits de douane sur les trois prochaines années. Cela ne risque-t-il pas d’impacter négativement les recettes douanières ?
Le Maroc a conclu des accords de libre-échange avec un certain nombre de pays qui impliquent des schémas de démantèlement tarifaires sur un ensemble de produits. Nous devons impérativement atteindre un taux de 0% en 2012. Si cette réforme n’est pas faite, nous arriverons en 2012 à des taux 0 pour certains pays et de 50% en moyenne pour d’autres. Ce différentiel de taxation est un handicap à la diversification des partenaires commerciaux et, par conséquent, une source de perte de recettes douanières. De même, un tel différentiel de taxation aura pour effet de polariser les approvisionnements du pays sur un nombre restreint de partenaires.
Et le manque à gagner sera de combien ?
Il sera d’environ 2,5 milliards de DH sur les quatre prochaines années dont 800 millions de DH rien que pour l’année 2009. Mais il faut rappeler que les droits d’importation ne constituent qu’une partie des recettes douanières, environ 20 à 25%. Le reste est drainé par la TVA à l’importation, la taxe interne de consommation (TIC) et les redevances du gazoduc. Mais il ne faut pas s’alarmer outre mesure. Sur les quatre dernières années, et malgré le démantèlement tarifaire qui découle des accords de libre-échange, nous avons constaté une progression des recettes douanières de 11% en moyenne par an.
Comment peut-on compenser tout cela ?
Nous avons mis en place des dispositifs rigoureux pour lutter contre la fraude, notamment en ce qui concerne la valeur déclarée en douane. Les redressements concernant la valeur des marchandises déclarée ont généré des recettes de 820 millions DH en 2007 et 1,1 milliard DH en 2008.
Vous parlez de la sous-facturation…
Oui, mais pas seulement. Avec le démantèlement progressif dans le cadre des accords de libre-échange, nous remarquons la montée d’un phénomène nouveau, à savoir le détournement des règles d’origine.
En résumé, certains opérateurs déclarent de faux pays d’origine pour leurs marchandises pour bénéficier de taux réduits. Ce sont des techniques de fraude de plus en plus utilisées.
Est-ce que la douane, notamment son directeur général, peut accorder des dérogations à certaines entreprises en termes de droits d’importation ?
Non ! Personne aujourd’hui, y compris le directeur général de la douane, ne peut décider de baisser des droits d’importation pour quiconque.