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Abattoirs de Casablanca : le Conseil de la ville tente de sauver les meubles

La gestion est confiée à  Casa Veille et Contrôle, une société de développement locale en cours de création n Les professionnels accusent la Ville de négligence. Le conseil envisage de déposer une plainte contre la société turque Unluër qui a manqué à  ses obligations.

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abattoires casablanca 2014 09 18

Début de sortie de crise pour les abattoirs de Casablanca. Après le départ précipité de la société turque Unluër Maroc, la gestion est confiée à la société de développement locale «Casa Veille et Contrôle» qui prendra possession des lieux à partir du 1er octobre pour une durée d’une année avec le changement de la raison sociale qui ne doit pas comprendre le mot contrôle. Ahmed Brija, premier vice-président du Conseil de la ville, qualifie cette solution de décision politique courageuse qui consiste à assurer la sécurité alimentaire des Casablancais en matière de viandes rouges. «Le ministère de l’intérieur nous a débloqué une somme de 6 MDH pour payer les charges du personnel. En contrepartie, il nous a donné des consignes claires pour trouver une solution à ce dossier dans un délai de 2 mois à compter de la date de départ de la société de gestion déléguée turque», explique M. Brija.

Cependant, si les membres du bureau du Conseil de la ville sont convaincus que l’attribution du marché de la gestion des abattoirs à cette société de développement local, en cours de création, reste la solution ultime pour ce dossier, la décision ne fait pas l’unanimité auprès des conseillers des communes et les représentants des professionnels. Ces derniers revendiquent l’ouverture d’une enquête pour identifier les raisons du départ de la société turque, mais également pour comprendre la manière dont ces abattoirs ont été gérés de 2002 à aujourd’hui. «Nous devons savoir comment cette société turque a pu résilier son contrat d’une façon unilatérale et pourquoi la responsable du service de coordination n’a pas informé les membres du conseil des intentions de la société», déclare un conseiller communal.

En effet, il est important de savoir qu’Unluër Maroc a mis fin unilatéralement au contrat qui le liait à la ville le 4 août 2014 sans respecter le délai de préavis légal. La lettre de résiliation a été même déposée une fois que tous les salariés expatriés de l’entreprise ont quitté le territoire national. «Le choix de la période de résiliation prouve qu’il y a une certaine complicité de la part des membres du conseil, puisque c’est la période des vacances annuelles des hauts fonctionnaires», confirme Mohamed Dahbi, membre de l’Union générale entreprises et professions (UGEP). Ce dernier ajoute que cette décision n’a pas surpris les professionnels. «Nous avons envoyé plusieurs correspondances depuis janvier 2014 pour informer le Conseil de la ville d’un départ imminent des Turcs. Ces derniers avaient vendu leurs voitures personnelles, et rapatrié leurs familles…».
La société laisse à la Ville une situation financière plus que chaotique. Elle détenait toujours dans ses caisses 691 802,23 DH. Par contre, elle a signé une caution de 15 MDH pour la Banque populaire en plus des crédits en cours auprès d’autres banques, des factures non honorées totalisant 929 979 DH et des investissements non réalisés.

Une situation financière chaotique

Pour saisir la complexité du dossier, il faut revenir à l’année 2002. La gestion des abattoirs avait été confiée à une société espagnole GVGB. Quelques mois après le démarrage de son activité, les professionnels avaient dénoncé le manque de professionnalisme de la société ainsi que des anomalies dans la gestion. «Aucun responsable n’avait pris nos doléances au sérieux. Ils nous avaient même accusés d’être contre la modernisation», déplore Ahmed Dahbi. Cinq ans plus tard, les professionnels avaient préparé un rapport détaillé sur l’état des abattoirs depuis l’arrivée des Espagnols. Lequel rapport avait été envoyé aux administrations concernées. Suite à cela, la Cour régionale des comptes et le ministère de l’intérieur avaient dépêché des équipes pour constater les anomalies sur le terrain. Ces dysfonctionnements ont été repris et publiés dans le rapport de la Cour des comptes de l’année 2008. Pourtant, le Conseil de la ville n’a pas ouvert d’enquête. Il s’est contenté de résilier le contrat et d’attribuer le marché à Unluër Maroc, sachant qu’elle ne remplissait pas les conditions du cahier des charges, explique en substance le représentant de l’UGEP. «Cette société, dont Unluër Turquie n’est qu’un actionnaire minoritaire (30% du capital), n’a aucune expérience en matière de gestion des abattoirs. Unluër Turquie est une société spécialisée dans l’abattage et le découpage des viandes pour l’approvisionnement de sa chaîne de restauration», confie M. Dahbi. Et d’ajouter : «Cette société qui a été gérée par un médecin dentaire turc, Mahmoud Kanassi, qui est également l’actionnaire majoritaire (55%), a bénéficié de plusieurs avantages mais surtout de la protection du Conseil de la ville». Ces propos, M. Dahbi les appuie par un tableau de répartition du capital dont La Vie éco détient copie et par un rapport qu’avait réalisé l’UGEP sur ce sujet. Ce document révèle que le Conseil de la ville avait renoncé à une partie de ses revenus au profit de la société turque, et cela pour l’encourager à réaliser des investissements, notamment la construction d’une salle de vente des viandes rouges et la maintenance des machines. Ainsi, la société imposait un tarif de 1,69DH/kg contre 0,72DH/kg facturé par les Espagnols. Le rapport souligne que le montant des investissements prévu par Unluër Maroc sur une période de 10 ans ne justifie pas ce tarif. «Unluër avait prévu d’investir 15 MDH à fin 2018, alors qu’elle a réalisé, vers la fin de l’année 2011, un chiffre d’affaires total de 50 MDH», ajoute M. Dahbi.
Questionné sur ces accusations, Ahmed Brija explique: «A cette époque, je n’étaits pas encore nommé vice-président donc je ne pourrais répondre à ce sujet. Cela fait partie de l’histoire. Maintenant, nous envisageons de poursuivre la société en justice afin de pouvoir tourner la page».