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Affaires

A. Benbrik, patron de l’IGF : le Maroc a besoin d’une loi sur la sécurité financière

L’IGF programme le contrôle en fonction du potentiel de risque présenté par les entreprises publiques.
Tous les rapports sont soumis à la procédure contradictoire et transmis aux audités pour vérification avant de devenir définitifs.

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Depuis trois à quatre ans, l’Inspection générale des Finances (IGF), bien malgré elle, occupe régulièrement le devant de la scène médiatique. Et pour cause : longtemps en veilleuse ou presque, cette structure du ministère des Finances a produit ces derniers temps de nombreux rapports d’audit mettant souvent en cause la gestion des deniers publics au sein de sociétés étatiques. A l’occasion de la sortie du dernier rapport d’audit sur l’OFPPT, dont des extraits ont été diffusés par la presse, La Vie éco a voulu savoir comment fonctionne l’IGF, dans quel cadre elle opère et quels sont les objectifs qui sous-tendent son action. Rencontre avec Abdelali Benbrik, son directeur.

La Vie éco : L’opinion publique a pris connaissance, ces dernières années, de nombreux dossiers mettant en cause la mauvaise gestion et même le détournement de deniers publics. Comment expliquez-vous la recrudescence de ces affaires ?
Abdelali Ben
brik : C’est vrai, l’ampleur des contrôles n’est apparue que ces dernières années. Cela veut dire que la culture de la transparence et de la responsabilité tend à s’installer progressivement. Moyennant quoi, ce qui pouvait paraître “courant” dans certaines gestions, il y a quelques années, peut ne plus être toléré aujourd’hui.

Qu’est-ce que l’IGF contrôle en fait ?
Notre référence législative demeure le dahir du 14 avril 1960, qui nous habilite à contrôler les deniers publics à travers les comptables, les ordonnateurs et les organismes publics. Notre contrôle se fait à posteriori, sur la base d’un programme annuel établi par l’IGF et qui reçoit l’approbation du ministre des Finances. Nous intégrons dans ce programme les demandes d’audit formulées par les autres ministères.

Justement, à partir de quels critères sélectionnez-vous les entités à contrôler ?
Nous faisons notre programmation selon la méthode d’approche par les risques. Cela veut dire que nous examinons un certain nombre d’indicateurs significatifs de services et organismes publics, et à partir des résultats de cet examen, nous programmons pour le contrôle les entités où il y a un potentiel de riques liés aux conditions d’exercice de l’activité.
L’autre aspect important qui conditionne notre programme, c’est l’impact que représente telle ou telle entité sur le budget de l’Etat. Le constat que l’on peut faire aujourd’hui est que les transferts Etat/organismes publics dégagent globalement une balance déséquilibrée : alors que les produits de monopole et de dividende versés à l’Etat représentent quelque 5 milliards de DH, les transferts de l’Etat vers ces entités publiques s’élèvent à environ 11 milliards de DH. Donc, notre objectif, à travers les contrôles que nous menons, et qui s’inscrivent dans le cadre de notre programme d’action stratégique (PAS), c’est de contribuer à une gestion rationalisée qui réduirait les déperditions et les transferts improductifs et, in fine, les dépenses publiques inappropriées.
Au moment où les produits de privatisation se tarissent progressivement et les recettes douanières reculent de plus en plus, il est possible, par cette action, de réduire les pressions exercées sur le budget.

Est-ce que vous avez les moyens de votre politique ?
Personne, ici ou ailleurs, n’est vraiment satisfait des moyens dont il dispose, mais cela ne doit pas constituer un motif pour ne rien faire. S’il faut attendre que toutes les conditions soient réunies pour agir, personne ne fera jamais quoi que ce soit. D’autre part, notre rôle n’est pas de tout contrôler, systématiquement. N’oublions pas qu’il existe d’autres instances de contrôle : le Contrôle général des engagements de dépenses de l’Etat (CED, qui effectue des contrôle à priori), la Trésorerie générale (qui réalise un contrôle avant paiement) et la direction des Entreprises publiques et de la Privatisation (qui opère un contrôle à priori et d’accompagnement).
Il faut dire aussi que les organismes publics eux-mêmes doivent avoir des systèmes de contrôle robustes et fiables. Et d’ailleurs, lorsque nous effectuons une mission de contrôle, nous examinons et évaluons d’abord le système de contrôle interne de l’entité en question, ce qui donne une idée sur l’importance des risques qui peuvent exister quant à la fiabilité et la qualité de l’information comptable et financière.

Comment évaluez-vous les systèmes de contrôle interne, du moins ceux que vous avez eu à auditer ?
Ce que je peux vous dire, c’est que, globalement, il y a des insuffisances. Normalement, le système organisationnel, les procédures, les mécanismes internes dans n’importe quelle entité devraient offrir le maximum de sûreté et de garantie dans le traitement des différentes opérations au sein de l’organisme. Bien sûr, ne soyons pas naïfs, il y aura toujours des cas de montage plus ou moins ingénieux pour tenter de passer à travers les mailles du filet, aussi étroites que soient ces mailles. Mais l’essentiel est que le système mis en place soit le plus performant possible afin de compliquer la tâche aux fraudeurs et, ce faisant, de les détecter rapidement.

Dans la mesure où les modes d’organisation, les circuits de décision et parfois même les modes d’archivage sont souvent défectueux, du moins dans les entités que l’IGF a déjà auditées, est-ce que les rapports que vous produisez ne sont pas susceptibles, par ricochet en quelque sorte, de comporter des erreurs ?
Nos rapports sont soumis à la procédure contradictoire ; autrement dit, nous en adressons copies au département de tutelle et à l’organisme audité, et ce dernier est tenu de produire ses réponses sur l’ensemble des observations de notre rapport. C’est après l’examen de ces réponses que le rapport devient définitif.

Outre la nécessité de mettre en place des systèmes internes de contrôle efficaces, que faudrait-il en plus, à votre avis, pour enrayer le phénomène de pratiques frauduleuses ?
Pour garantir la maîtrise de la gestion du secteur public, assurer la protection des actifs publics, donc la pérennité des entités publiques, et je dirais, de manière plus générale, de toutes les entreprises, que l’actionnaire soit public ou privé, le pays a besoin d’une véritable réforme qui s’inspirerait des évolutions que connaissent les législations de sécurité financière dans les pays développés. Ce fut le cas aux Etats-Unis au lendemain du scandale financier d’Enron, et, depuis août 2003, en France avec l’adoption de la nouvelle loi de sécurité financière

Com’ese

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