Affaires
6 000 t de poivre, 4 250 de cumin, 3 650 de gingembre consommées au Maroc !
Le poivre est la première épice consommée. 75% de la consommation provient
de la contrebande
La spéculation fait que les prix au détail représentent 3
à 4 fois les prix de gros.
En deux années, les prix des épices ont augmenté de 20 % en moyenne à l’international
Le Maroc a exporté en 2007 mille tonnes de coriandre vers le Japon et l’Afrique
du Sud à raison de 12 000 DH la tonne.

Poivre, cumin, cannelle, piment doux, gingembre, curcuma, clou de girofle, noix de muscade. Ce sont, entre autres, ces épices, aromates et condiments qui, savamment dosés, font de la cuisine marocaine l’une des plus raffinées et des plus recherchées au monde. A produits recherchés grand marché. C’est le cas du commerce de ces épices dans notre pays. Un commerce prospère qui se base aussi bien sur l’importation que l’export de produits localement cultivés. Ce dernier concerne trois épices uniquement. Il s’agit du safran, cultivé dans le sud, du piment doux, dont l’essentiel de la consommation nationale provient de la région de Béni Mellal et la coriandre en grains produite dans diverses régions. Les autres épices proviennent à grande échelle des marchés asiatique et arabe. A commencer par le cumin en grains dont toute la quantité consommée a été importée, en 2006, de deux pays arabes, la Syrie (à 90 %) et l’Egypte (10 %). Les Marocains ont ainsi mis dans leurs tajines et autres mets 4 250 tonnes de cumin (en grains ou moulu).
Parmi les fournisseurs du Maroc en épices, on trouve également des pays africains. Pour la racine de gingembre, par exemple, qui n’est pas produite localement et dont les Marocains ont consommé près de 3 650 tonnes en 2006, 70% des quantités importées proviennent du Nigeria contre 20% de Chine et 10% d’Inde. De l’Inde également on importe 100 % de la consommation en curcuma (1 880 tonnes importées en 2006). Autre épice très demandée, la cannelle, dont 1 370 tonnes ont été écoulées l’année précédente et dont 75 % proviennent de Chine et 25 % d’Indonésie.
Fès, plaque tournante du trafic de poivre vietnamien provenant de Sebta et Mellilia
En dépit de cette diversité, une épice demeure, de loin, la plus consommée par nos concitoyens : le poivre noir. En 2006, près de 6 000 tonnes ont été consommées. Or, et c’est là une autre
surprise, seulement 1 490 tonnes de poivre ont été importées légalement par les grossistes et importateurs nationaux, essentiellement en provenance de Madagascar (95% des tonnages importés légalement), le reste provenant du Vietnam (3%) et du Brésil (2%). Une raison derrière ce déséquilibre : la contrebande. En effet, le poivre provenant d’Espagne et introduit illégalement sur le territoire national constitue 75 % de la consommation. «Vous pouvez imaginer que cette situation handicape beaucoup le commerce de cette épice», explique Omar Raji, directeur général de Raji Frères Sarl, entreprise spécialisée depuis 1956 dans l’importation et la vente en gros d’épices, légumineuses, fruits secs et thé vert. «Il s’agit d’un commerce des plus organisés», indique cet autre professionnel qui explique les méthodes utilisées par les commerçants peu soucieux du respect des règles. Ainsi, le trafic se fait à partir des deux enclaves de Sebta et Mellilia. Chaque année, entre 3 000 et 4 000 tonnes de poivre sont directement exportées à partir du Vietnam vers ces deux villes, alors que ce même pays d’Asie n’exporte que 800 ou 900 tonnes vers le reste de l’Espagne, fait remarquer un des plus gros importateurs de la place. La marchandise est acheminée par la suite par camions vers la ville de Fès qui est le centre névralgique de ce commerce du poivre de contrebande, avant d’être dispatchée sur les différentes régions du pays. «Quotidiennement, ce sont entre 10 et 15 tonnes de poivre de contrebande qui arrivent sur le marché», estime pour sa part M. Raji. Et d’ajouter : «Le phénomène est beaucoup plus visible dans les autres villes du Royaume qu’à Casablanca. A Derb Omar, les quantités de poivre de contrebande sont minimes vu que les commerçants sont très vigilants quant à l’origine de leur marchandise» , souligne cet autre grossiste casablancais.
12 DH le kilo en gros, 40 DH au détail !
A l’origine de ce phénomène, les professionnels citent les droits de douane jugés trop élevés. Pour la plupart des épices produites, les droits de douane cumulés sont de l’ordre de 50 %. «Pour les épices en provenance des pays arabes, les importateurs bénéficient d’une franchise douanière après le dépôt d’une demande auprès du ministère chargé du commerce extérieur», précise Mohamed Astaà¯b, DG et responsable import de la Société des cafés Sahara. Si l’activité principale de cette dernière est l’importation, la torréfaction et la commercialisation de café, notamment sous la marque «Asta», elle est également active en matière d’importation, de production et de commercialisation des épices sous les marques «Adwak» et «Zerda». Mohamed Astaà¯b explique que, en revanche, pour les épices importées des pays d’Asie et d’Amérique latine, il n’y a aucune franchise douanière. «En ce qui concerne les pays africains, les épices sont exonérées des droits de douane sauf celles en provenance du Kenya et de la Côte d’Ivoire», précise-t-il.
Mais ce n’est pas tout. En plus de cette intense activité de contrebande, le business des épices connaà®t d’autres problèmes, liés notamment au nombre d’intermédiaires et intervenants dans la chaà®ne de commercialisation. En effet, si, au sommet de cette pyramide de commercialisation, se trouve une poignée d’importateurs, notamment Les Cafés Sahara, Ratra, les frères Raji, Sactal Négoce, les grossistes qui prennent le relais par la suite sont de plus en plus nombreux. L’épice peut changer de propriétaire quatre voire cinq fois avant de parvenir aux détaillants, notamment les herboristes et épiciers. Un circuit de commercialisation des plus compliqués qui influe à la hausse sur les prix de ces denrées alimentaires. Jugez-en. Au gré des intermédiaires, le prix d’un kilogramme d’une épice, dans le commerce de détail, est le double, voire le triple ou le quadruple du prix de détail : il passe de 36 DH à 55 DH pour le cumin et de 32 à 70 DH pour le poivre noir. Pour le curcuma et le gingembre, le prix du kilo passe de près de 12 DH en gros à 35 DH chez le détaillant. Pour ce qui est de la cannelle, le kilo passe de 14 DH en gros à près de 40 DH au final.
A cela, il faut ajouter une flambée des prix à l’import qui ont augmenté de 20% en l’espace de deux ans. A l’origine de cette flambée, il y a d’abord les récoltes moyennes de ces dernières années dans les pays producteurs d’épices en raison des intempéries ou de la sécheresse. Il y a aussi la hausse des tarifs de fret et de transport à cause de la flambée des prix du pétrole.
A 17 000 DH le kilo, le safran marocain est l’un des plus chers au monde
Cela dit, si le Maroc reste gros importateur d’épices il possède un trésor : le safran. Cette fleur aux pétales mauves et aux stigmates tant recherchés par les fins gourmets du monde entier se cultive à grande échelle à Talliouine, village amazigh qui se niche au creux de l’Anti-Atlas, entre Taroudant et Ouarzazate, sur 600 ha. Cette superficie est divisée en 5 500 parcelles cultivées par près de 1 300 agriculteurs. La récolte se fait essentiellement en octobre. Pour cette année, les conditions météorologiques, marquées par de faibles précipitations, ont négativement influé sur la récolte. Ainsi, la production de cette année n’a pas dépassé les 1 800 kg alors que la production d’une année normale tourne autour de 2 200 kg et qu’une bonne récolte peut avoisiner les 3 000 kg. Près de 80 % de cette production est destinée à l’export, vers des pays européens essentiellement. «L’intermédiation entre les producteurs locaux et ces marchés se fait en grande partie par des coopératives», explique Driss Sameh, directeur commercial de Souktana, coopérative qui compte 356 adhérents. Sur les marchés internationaux, o๠le safran marocain est bien coté, le kilogramme, acheté aux agriculteurs à 12 500 DH, se vend à … 17 000 DH !
La raison en est que la préparation de l’épice est entièrement faite à la main et prend beaucoup de temps. La preuve : pour obtenir un gramme (!) de cette épice, il faut compter 3 à 4 heures de travail entre récolte et préparation. «Un hectare cultivé de fleurs de safran produit entre quatre et sept kilogrammes de safran sec», souligne ce professionnel. Des rendements qu’il faudra forcément améliorer si le Maroc veut rivaliser avec le leader mondial absolu du safran, l’Iran. Ce dernier fournit en effet 80 % de la production mondiale, soit 200 tonnes en 2006 et le commercialise à moins de 1 000 dollars le kilogramme (près de 8 000 DH) sachant que la variété de safran la plus recherchée au monde provient de Sardaigne et son prix atteint les 4 000 dollars (près de 32 000 DH) le kilogramme.
Depuis quelques années, une autre épice consommée au Maroc, souvent en tant qu’herbe aromatique, a réussi le pari de conquérir des marchés internationaux sous la forme de graines. Il s’agit de la coriandre (qasbour), cultivée à grande échelle dans diverses régions du Maroc. Une société, Agrin Maroc en l’occurrence, connue pour la production de semences, achète la production des agriculteurs entre 5 et 6 DH le kilo, la conditionne et l’exporte. Cette épice, dont la production a été, en 2007, de 1 000 tonnes, est ainsi exportée sous forme de graines entières, concassées ou moulues. «Les marchés de prédilection de ces produits sont le Japon, le Sri-Lanka et l’Afrique du Sud. Nous comptons également des clients dans différents pays européens», explique-t-on auprès d’Agrin Maroc, dont le siège se trouve à Fès. «2007 a été une année très moyenne vu le manque de précipitations», explique la même source. En 2006, par exemple, la récolte de coriandre a été de 1 500 tonnes. Il est à signaler que les prix de la tonne sur le marché international se situe entre 1 300 et 1 500 dollars (10 000 DH et 12 000 DH). Du bon business, en somme !
