Affaires
5,3 milliards de DH d’avantages fiscaux accordés par an au secteur du BTP, pour quel retour ?
Le secteur est le premier générateur de TVA pour l’Etat et le deuxième employeur après l’agriculture. Sa croissance s’est accélérée depuis 2003 pour ralentir à partir de 2008 avec la crise. Il pèse en moyenne 6% dans la richesse nationale, soit la moitié du poids de l’industrie.

L ’économie marocaine repose en grande partie sur les services et, c’est encore vrai quoi qu’on en dise, sur l’agriculture. Cependant, le secteur du bâtiment et travaux publics (BTP) a fortement émergé ces dix dernières années. Il a bénéficié d’une attention particulière de la part des pouvoirs publics qui ambitionnaient, à travers le développement de ce secteur, à la fois de résorber l’énorme déficit en logements, notamment social, et de construire un réseau d’infrastructures nécessaire à l’essor de l’économie. Dans le même temps, ce secteur est perçu comme une formidable source de création d’emplois, ce qui est vrai, nonobstant le caractère fortement précaire de ces emplois.
C’est ainsi que, régulièrement, des avantages fiscaux ont été accordés, tout particulièrement à la branche bâtiment pour encourager les promoteurs à produire des logements sociaux à la portée des faibles revenus. Dans son rapport sur les dépenses fiscales accompagnant la Loi de finances 2012, le ministère des finances a recensé 41 mesures en faveur des activités immobilières, à fin 2011. Il en a évalué 33. Coût : 5,4 milliards de DH, soit 16,9% de l’ensemble des dépenses fiscales, évaluées à 32,1 milliards de DH pour 271 mesures sur 399 recensées. C’est, de loin, la première dépense fiscale ; l’agriculture et la pêche, venant en deuxième position, bénéficient de 4,3 milliards de DH, soit 13,4% des dépenses fiscales totales évaluées.
Sur ce volet, celui de l’habitat, bien que des progrès ont été réalisés, le déficit en logements est encore énorme : 840 000 unités que l’actuel gouvernement veut réduire de moitié. C’est tout le contraire pour la partie travaux publics : les entreprises du secteur, selon le patron de la Fédération du BTP, Bouchaib Benhamida, sont actuellement en mal de visibilité, puisque, dit-il, il ne reste pas grand-chose des grands projets à réaliser.
Au-delà des difficultés conjoncturelles qui affectent l’immobilier et du «tarissement» des projets dans les travaux publics, quel est, si l’on peut dire, le retour sur investissement pour la collectivité au regard des avantages accordés au secteur, notamment au bâtiment ?
Les données collectées dans les travaux du HCP montrent que le BTP emploie, bon an mal an, 10% de la population active occupée, soit environ 1,1 million de personnes. Il n’y a que l’agriculture qui fait mieux (environ 40% de l’emploi total, dont une bonne partie n’est pas rémunérée). Certes, les emplois dans le BTP durent ce que durent les fleurs au printemps. Mais cette «précarité» est liée à la nature même de cette activité. Avec la multiplication des projets que l’on a observé ces dernières années, les «destructions» d’emplois après achèvement des travaux sont toutefois rapidement compensées par l’ouverture de nouveaux chantiers. Grosso modo, le secteur crée en effet environ
70 000 emplois par an.
Activité à forte intensité en main-d’œuvre
C’est grâce, entre autres, à ces activités, à forte intensité en main-d’œuvre il est vrai, que le niveau de chômage a pu être ramené en dessous de la barre des 10% depuis quelque temps déjà.
L’autre retour sur investissement, si l’on peut dire, ce sont les recettes de TVA qui proviennent de ce secteur. Il faut s’empresser de le préciser, le BTP n’est pas payeur mais collecteur de TVA. Il n’empêche, il est le premier générateur de cette taxe, comme cela apparaît très clairement dans la comptabilité nationale. En 2009, 2010 et 2011, par exemple, les recettes de TVA issues de ce secteur se sont élevées respectivement à 16,43 milliards, 18,1 milliards et 19,4 milliards de DH, soit, dans l’ordre, 29,6%, 27,7% et 27,3% de la recette totale de cette taxe. Plus généralement, depuis une dizaine d’années, les recettes de TVA générées par les produits du BTP représentent en moyenne 25% du total. Pour le
résor, c’est une manne importante, malgré les sous-déclarations, plus communément appelées «le noir», qui sont bien connues de tous, notamment dans l’immobilier.
En fait, ce niveau élevé des recettes de TVA est surtout lié à l’importance des sommes en jeu dans ce secteur, à travers les grands chantiers d’infrastructures (routes, autoroutes, ouvrages d’art…) et de construction de bâtiments, que ce soit à usage d’habitation ou de commerce, lancés depuis une décennie. Cela explique d’ailleurs le rythme élevé de la croissance de la valeur ajoutée du secteur, notamment entre 2003 et 2007. Il reste que son poids dans le PIB, tout en étant respectable (environ 6% en moyenne depuis une dizaine d’années), représente moins de la moitié de l’industrie, toutes branches confondues (alimentaire et tabac, textile et cuir, chimie et parachimie, etc.). Or, un pays pour se développer a certes besoin d’un secteur du BTP dynamique, mais il a encore plus besoin d’une industrie performante. Aucune économie avancée n’a pu faire l’économie de l’industrie, cela est bien connu…
