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Affaires

50% des médicaments fabriqués au Maroc ne sont pas achetés en pharmacie !

Les épiceries ne se contentent plus de vendre de l’aspirine et du paracétamol, elles ont étendu leurs activités à  plusieurs autres types.
Les associations et les cliniques court-circuitent les pharmacies en s’approvisionnant directement chez les laboratoires.
Les officinaux prêts à  réduire leurs marges mais exigent en contrepartie l’application stricte de la loi.

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Effarant ! Alors que la réglementation confie aux seules pharmacies la commercialisation des médicaments au détail, les proportions prises par les ventes parallèles sont telles qu’aujourd’hui la moitié des 260 millions d’unités (boîtes de comprimés, sirops, injectables, sachets…) produites au Maroc atterrirait chez les patients sans avoir transité par le circuit officiel. Illustration extrême de cette dérive, en février dernier, les services d’inspection du ministère de la santé ont constaté qu’une épicerie située dans la ville de Mohammédia vendait en toute simplicité 67 médicaments différents ! Certes, le détaillant, poursuivi pour exercice illégal de pharmacie, risque, conformément aux dispositions de l’article 135 du code de la pharmacie, le paiement d’une amende de 5 000 à 50 000 dirhams et une peine d’emprisonnement allant de 3 mois à 5 ans, mais combien d’entre eux sont contrôlés par rapport à ce qui passe entre les mailles du filet ?

Un manque à gagner de 130 MDH sur les seuls Aspro et Claradol ?

Toutefois, les épiceries ne sont pas les seules à être en infraction avec la loi. L’on comprend donc l’inquiétude des pharmaciens qui aujourd’hui tirent la sonnette d’alarme en déclarant que, depuis six ans, la situation de leur secteur va en s’aggravant. Selon la Fédération nationale des syndicats des pharmaciens, sur les 10 000 pharmacies aujourd’hui en activité, 3 121, soit quasiment le tiers, sont en passe de déposer le bilan pour cause d’activité insuffisante. C’est, l’on s’en doute, dans les petites villes, et en particulier sur l’axe Tiflet-Khémisset, que l’on compte le plus grand nombre d’officines en difficulté.
Par quels canaux de distribution transitent les médicaments vendus dans le circuit parallèle ? Et que prévoit la loi dans pareils cas ? Le code de la pharmacie interdit de manière très claire la vente et la distribution des médicaments hors circuits autorisés et stipule dans son article 29 que «la dispensation des médicaments et autres produits pharmaceutiques est réservée aux pharmaciens d’officine». Le circuit de distribution est composé des laboratoires qui fabriquent ou importent les médicaments et les vendent aux grossisteries qui à leur tour fournissent les pharmacies. Or, la réalité sur le terrain est tout autre dans la mesure où plusieurs produits échappent totalement à ce circuit étant donné qu’ils sont vendus aux patients directement par les associations, les cliniques, certains médecins spécialistes ou, comme évoqué ci-dessus, aux épiceries. Et c’est ce dernier cas qui est, selon les pharmaciens, le plus dangereux et qui menace le plus leur secteur. Depuis des années -et La Vie éco en avait fait plusieurs fois état-, des analgésiques et antipyrétiques à base d’Acide acétylsalicylique (Aspirine) ou de Paracétamol sont vendus dans le commerce sans que le problème ne soit pris à bras-le-corps. Chez les pharmaciens on cite fréquemment les marques Aspro et Claradol, mais il n’y a pas que cela. De fait, ce qui inquiète aujourd’hui c’est que les épiceries ne se limitent pas à ses traitements de type «symptomatique» mais ont étendu le champ de leur activité à des anti-inflammatoires et des antibiotiques.
Autre souci : si la commercialisation des médicaments par les épiceries donne parfois lieu à des saisies et des poursuites judiciaires contre les détaillants, la vente directe aux patients dans les cliniques, les associations et les cabinets de médecins semble tolérée par les pouvoirs publics, dénoncent les pharmaciens. «Les pharmaciens ont, en raison de la concurrence de ces créneaux, abandonné certains produits comme les vaccins ou encore les médicaments vétérinaires. Ce qui a induit une perte considérable de leur chiffre d’affaires», précise la Fédération nationale des syndicats des pharmaciens. Selon des statistiques communiquées par les professionnels, la vente des seuls Aspro et Claradol se traduit par une perte d’un chiffre d’affaires potentiel de 130 MDH par an pour les officines. Sans compter le manque à gagner dû à l’abandon des vaccins, des produits vétérinaires ainsi que les médicaments pour les affections de longue durée (cancer, hépatite, diabète…) qui sont commercialisés par des associations.
Du côté des associations, on justifie ce détournement de la loi par une question de prix. «La vente directe des médicaments revêt un caractère social car nous mettons à la disposition de nos patients les traitements dont ils ont besoin à un prix abordable dans la mesure où ils n’intègrent pas les marges des grossistes et des pharmaciens». Il faut à cet effet rappeler que le différentiel entre le prix public Maroc ( PPM) et le prix pratiqués par les associations atteint les 40 %, mais est-ce pour autant une raison de contourner la loi ?

Les pharmaciens également accusés de court-circuiter les grossistes

Les laboratoires, eux, reconnaissent volontiers le phénomène de la vente directe de médicaments aux cliniques, aux associations et aux médecins spécialistes (en particulier les pédiatres et les ophtalmologues), cependant, ils contestent l’estimation des ventes hors circuit légal faite par les  pharmaciens. «Sur les 8 milliards de DH de chiffre d’affaires que représente le marché privé du médicament, 90 % transitent par les grossistes et les pharmaciens. Nous pensons donc que les pharmaciens intègrent dans les 50 % de ventes illégales également les appels d’offres du ministère de la santé. Ce qui n’a pas lieu d’être…», indiquent-ils. A cet argument, on pourrait apporter une nuance car les ventes de médicaments par les épiceries proviennent soit des grossistes soit des pharmaciens.  Enfin, les laboratoires affirment que les pharmaciens eux-mêmes s’approvisionnent directement chez eux, sans passer par les grossistes. «Certains se sont même constitués en groupement afin d’effectuer des achats groupés de médicaments auprès des laboratoires», raconte le responsable d’un laboratoire de la place.
Dans tous les cas, il est clair que les pouvoirs publics sont appelés à faire un ménage dans le milieu. Les pharmaciens se disent prêts à reprendre, avec seulement 5% de marge, la vente de certains produits «sociaux» comme les anticancéreux, mais le maintien d’une pharmacie au sein de la Caisse nationale des organismes de prévoyance sociale (CNOPS) pose problème car cette dernière fait concurrence au secteur concernant les médicaments lourds.