Affaires
5.5% du PIB pour financer le train de vie de l’Etat !
Les mesures annoncées pour limiter ces dépenses, telles que la réduction du parc auto, des frais de réceptions et de voyages…, n’ont eu quasiment aucun effet. A moins d’accélérer la réforme de la compensation ou de réduire davantage les investissements, il faudra tailler dans les dépenses ostentatoires. Le gouvernement s’endette pour combler son déficit mais pourra-t-il le faire indéfiniment ?

Avec le dernier emprunt que le Trésor vient de lever sur le marché international, d’un montant de 750 millions de dollars (environ 6,5 milliards de DH), l’encours de la dette de l’administration à fin avril 2013 culmine à 522 milliards de DH, en hausse de 6,4% par rapport à son niveau de fin 2012. Ce surcroît de dette, en particulier sa composante interne, est nécessaire pour combler le déficit (plus de 26 milliards de DH) résultant de l’insuffisance des recettes par rapport aux dépenses. En effet, alors que les recettes ordinaires n’ont augmenté que de 1,6% (les recettes fiscales ont baissé de 3,7%), les dépenses, elles, ont progressé de 15%. Et c’est ainsi que les rentrées n’ont pu couvrir que les dépenses de personnel, de compensation et les charges en intérêts de la dette. Autrement dit, pour financer les dépenses de biens et services entrant dans le fonctionnement de l’Etat et les dépenses d’investissement, le Trésor a dû recourir au marché des adjudications pour un montant net de 25 milliards de DH, comme indiqué plus haut. Et ça fonctionne ainsi depuis des années ! Le Maroc, bien entendu, ne fait pas exception dans ce domaine ; pratiquement tous les Etats s’endettent, certains plus que d’autres.
Mais si la dette est parfois incontournable, en particulier lorsqu’il s’agit de financer des investissements, il ne sert à rien de la présenter comme une performance, comme le font certains médias à propos de l’emprunt du ministère des finances (le dernier comme le précédent). Quoi qu’on dise, s’endetter est une démarche contraignante, même si l’endettement peut, dans certains cas, avoir un effet de levier. Il se trouve que dans la plupart des cas, il s’agit plutôt d’un effet… de massue. En témoigne la crise des dettes souveraines que connaît l’Europe. Un pays comme la France, par exemple, passe son temps à s’endetter pour payer ses charges de fonctionnement, notamment les rémunérations et les pensions des fonctionnaires. Cela lui coûte rien qu’en intérêts près de 50 milliards d’euros par an !
Le Maroc, lui aussi, s’endette pour financer les dépenses ordinaires de l’Etat, plus exactement les dépenses de fonctionnement. Dans la Loi de finances de 2013, les dépenses de fonctionnement représentent un peu plus de deux tiers (67%) des dépenses du Budget général et plus de 22% du PIB prévu. Le reste est consacré au service de la dette publique (13,3% du budget) et à l’investissement (19,8%).
30,2 milliards de dépenses de biens et services
Que comprennent les dépenses de fonctionnement ? Au Maroc, car cela diffère d’un pays à un autre, ces dépenses sont constituées d’abord des dépenses de personnel. Celles-ci ont augmenté de 4,8% en 2013, à 98 milliards de DH, soit 49,2% des dépenses de fonctionnement et 33% des dépenses totales du Budget général. Leur rapport au PIB prévu s’établit à 11%. Même si elles croissent année après année (6,7% par an en moyenne depuis 2007), leur poids dans le PIB demeure quasiment le même depuis le début de la décennie 2000 : 11,3% du PIB en 2001 et 11,7% en 2012. Il faut cependant noter qu’entre 2006 et 2010, l’opération des départs volontaires à la retraite, le non-remplacement des pos-tes libérés suite aux départs à la retraite de leur titulaire et la suppression des recrutements dans les échelles inférieures (de 1 à 4) ont permis de diminuer d’environ 1 point le poids de la masse salariale dans le PIB pour la ramener à 10,4%. Mais l’amélioration des rémunérations des fonctionnaires décidées dans l’accord du dialogue social intervenu le 26 avril 2011 (hausse de 600 DH nets pour chaque fonctionnaire) ainsi que les promotions exceptionnelles qui ont été consenties à cette occasion, avaient généré des charges additionnelles de 4,6 milliards de DH. Et c’est ainsi que depuis, la masse salariale a retrouvé son niveau de 2005, en proportion du PIB. A ces éléments, il faut bien sûr ajouter le rythme de croissance économique, autrement dit l’évolution du dénominateur lui-même.
Les questions qui reviennent toujours, mais qui n’ont pas de réponse satisfaisante : cette masse salariale est-elle trop lourde ? Y a-t-il pléthore de fonctionnaires ? Ou bien, ceux-ci sont-ils trop bien payés ? Une chose est en tout cas certaine : depuis 2005, le salaire moyen du personnel de l’Etat (ceci en sachant que la moyenne est trompeuse puisqu’elle met tout le monde sur un pied d’égalité) a augmenté de 6% par an, soit un niveau très largement supérieur à l’inflation, laquelle a crû à un taux moyen de 2,1% sur la même période.
Généralement, les institutions financières internationales recommandent un niveau de masse salariale de l’Etat inférieur à 10% du PIB. Dans les pays à niveau de développement comparable à celui du Maroc, la situation n’est cependant guère meilleure. En Jordanie, par exemple, la masse salariale représente 16,7% du PIB. Pareil en Tunisie. A ceci près qu’en Tunisie, la dette publique ne représentait que 44% en 2011, alors qu’elle était de 65% au Maroc (70% à fin 2012).
Autre composante des dépenses de fonctionnement, les dépenses de matériel et dépenses diverses, ou encore les dépenses relatives au train de vie de l’Etat : 30,2 milliards dans le budget 2013 (+4%). Celles-ci comprennent les redevances d’eau, d’électricité, de télécommunications pour 1,6 milliard de DH, les subventions aux établissements publics et aux services de l’Etat gérés de manière autonome (SEGMA) pour 18,4 milliards de DH et les dépenses de matériel (comme le mobilier, le parc auto, l’achat ou la construction d’immeubles, etc.) pour 10,2 milliards de DH. C’est là où, en principe, des économies sont possibles. D’abord, en agissant sur les transferts (18,4 milliards) aux établissements publics et aux SEGMA. On se souvient qu’en 2011, le gouvernement avait décidé de supprimer l’automaticité de ces transferts, et les subordonner à l’avenir à la capacité de réalisation de ces entités. Ensuite, le gisement d’économie, si l’on peut dire, ce sont les dépenses relatives au train de vie de l’Etat. A plusieurs reprises, des réformes dans ce sens ont été annoncées, comme la réduction du parc auto, des frais de réceptions et de voyages, l’arrêt des constructions de sièges et autres… Néanmoins, les statistiques du ministère des finances lui-même montrent que les dépenses du train de vie de l’Etat (dépenses de biens et services autres que la masse salariale) sont passées de 4,7% du PIB entre 2000 et 2004 à 5,5% du PIB au cours de la période allant de 2005-2012. En 2013, elles devraient légèrement augmenter à 5,7% du PIB ! Il faudrait peut-être examiner l’expérience suédoise dans ce sens : ce pays a réussi à ramener à des proportions très modestes les dépenses de l’administration. Sans aller jusqu’à suggérer que les ministres marocains enfourchent des vélos pour se rendre au bureau, comme leurs collègues suédois, il y aurait sans doute des économies à trouver dans ces postes de dépenses.
Enfin, dans les dépenses de fonctionnement, il y a la composante liée aux subventions des carburants, du butane, de la farine et du sucre. Lorsque ces charges ne représentaient que 1% du PIB, comme c’était le cas jusqu’en 2004, elles étaient gérables, supportables. Mais, depuis, à l’exception d’une légère inflexion à la baisse en 2006 et 2009 (où les subventions étaient contenues à 12,6 milliards de DH), les charges n’ont fait qu’augmenter pour culminer à 56 milliards en 2012, soit 6,7% du PIB. Cela est l’équivalent de la quasi-totalité du déficit budgétaire (7,1% du PIB).
Il est clair, au vu de ces dépenses et de leur évolution, que le Maroc vit au-dessus de ses moyens. La question est de savoir dans quelles dépenses il faudra couper : compensation, train de vie de l’Etat, masse salariale, investissement ? Affaire d’arbitrage…
