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Affaires

30% des architectes signent des plans qu’ils n’ont pas réalisés !

Ils n’effectuent pas non plus aucune des missions de suivi qu’impose la loi. Les agents communaux agissent comme rabatteurs pour les architectes véreux. Les initiateurs d’auto-constructions sont les premiers clients.

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architectes 2015 01 06

C’est une pratique qui se répand de plus en plus dans le secteur de la construction, qui transgresse la loi et qui peut être lourde de conséquences. Un architecte responsable d’un projet au Maroc est tenu légalement de superviser toutes les étapes, de sa conception à sa réalisation, comme l’impose la loi 12-90 relative à l’urbanisme et la loi 16-89 sur l’exercice de la profession d’architecte. Sauf que plusieurs professionnels se contentent d’apposer leur signature sur des plans dont ils ne sont pas les auteurs, sans effectuer aucune des missions de suivi qu’impose la loi. Ces architectes véreux sont loin d’être une minorité. Dans la zone du Centre (Casablanca, Mohammédia, Settat et Berrechid), au moins 20% des 1400 professionnels en exercice vendraient des signatures de complaisance, selon le Conseil des architectes de la région. Cette proportion atteindrait 30%, voire plus, au niveau national, soit plus de 1 200 architectes sur un total de près de 4 000 recensés, selon les éléments avancés par les Conseils régionaux, que le sujet gêne évidemment.

Toute une filière bien rodée permet d’entretenir cette pratique. Selon les constats des conseils, confirmés par les agences urbaines, le premier maillon de la chaîne est, dans les cas les plus courants, l’agent communal, spécifiquement les techniciens de la division du plan en charge des demandes de permis de construire. «Un ou deux agents font de cette fonction leur chasse gardée au niveau de chaque commune et agissent de connivence avec les architectes signataires vers lesquels ils drainent de la clientèle», relate un professionnel. «Lorsqu’un usager se présente pour une demande d’information, on lui propose de le débarrasser de tous les tracas administratifs dans le cadre de sa demande de permis de construire», explique-t-il. Pour le convaincre, on lui promet également des dispositions plus généreuses par rapport à ce qui est habituellement autorisé dans un plan et un traitement rapide de son dossier. Le tarif de ce privilège est de 10 000 à 20 000 DH, selon les informations rapportées par les Conseils régionaux. En coulisses, l’agent communal se tourne vers l’architecte qui se contente donc d’apposer sa signature sur le plan fourni contre une compensation qui tourne autour de 2 000 DH, selon les professionnels. Cette rémunération facile appâte, comme l’on pourrait s’y attendre, les professionnels indépendants qui n’ont pas beaucoup d’années d’exercice à leur actif mais plus étonnamment on retrouve également dans le lot des architectes installés depuis plus longtemps, selon les témoignages des opérateurs.
Au final, dans la manœuvre, l’usager ne rencontre même pas l’architecte ayant validé son plan alors que la loi 12-90 précise que le recours à un professionnel exerçant à titre libéral est obligatoire lorsqu’il s’agit de construction nouvelle ou de modification d’une construction existante nécessitant l’octroi du permis de construire. Et le professionnel hors la loi est encore moins au fait des détails du plan qu’il a signé. «Il se trouve même des signataires qui ignorent jusqu’à l’emplacement géographique du projet dont ils ont paraphé les plans», témoigne-t-on auprès des Conseils régionaux.   

La réaction des pouvoirs publics reste timide

Pour les demandeurs d’autorisations, le recours à des architectes signataires peut sembler opportun ne serait-ce que pour l’économie que cela permet, sachant que les architectes exerçant dans les règles de l’art réclament généralement un pourcentage de la valeur du projet en guise d’honoraires. Mieux que cela, les usagers recourant au circuit informel bénéficient comme promis par les agents communaux d’un traitement plus rapide de leurs dossiers, les fonctionnaires étant en position privilégiée pour donner la priorité aux demandes qu’ils souhaitent. Autant d’avantages qui séduisent essentiellement les particuliers réalisant des auto-constructions de villas ou d’immeubles R+2, lesquels restent la première clientèle des architectes signataires, tout en sachant que bien d’autres catégories de projets sont concernées par cette pratique. Les professionnels évoquent même des signataires de luxe spécialistes des plans élaborés à l’étranger. Ceux-ci apposent leur signature de manière à contourner l’interdiction faite aux architectes étrangers d’exercer au niveau national.      
Tout cela pose bien évidemment problème à plusieurs niveaux. En effet, les plans soumis aux architectes signataires, apportés par les demandeurs eux-mêmes ou par les agents communaux, ne respectent généralement pas les règles de la profession, ce qui compromet la sécurité des constructions réalisées par la suite. Le risque grandit plus encore à l’étape de la réalisation pendant laquelle les architectes signataires n’accomplissent aucune des démarches, pourtant vitales, prévues par la réglementation. La loi 12-90 impose en effet aux architectes de suivre l’exécution des travaux de construction et d’en contrôler la conformité avec les plans architecturaux et les indications de l’autorisation de construire et ce, jusqu’à la délivrance du permis d’habiter ou du certificat de conformité.
Étonnamment, face à ces graves manquements, la réaction des pouvoirs publics reste timide. Le Secrétariat général du gouvernement, régulateur de la profession, tarde à prendre le problème à bras le corps, de l’avis des opérateurs. Contactée à ce sujet, l’administration n’a pas donné suite à notre requête. Il faut aussi dire que l’ordre des architectes lui-même, appelé à traiter ce type de questions, reste timoré dans son action. Tout en parvenant à cibler les architectes qui s’adonnent aux signatures de complaisance, les Conseils régionaux se contentent de convoquer ces professionnels pour les sensibiliser et les dissuader. Des commissions de suivi des projets mènent également des visites inopinées auprès des architectes suspectés de se livrer à cette pratique. L’on convient néanmoins que ces actions restent limitées, ce que l’on justifie par une limitation des prérogatives de l’ordre. Et c’est à dessein que les professionnels défendent un élargissement des attributions de leurs représentations pour sévir contre les architectes hors la loi.