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250 000 emplois par an, le pari difficile de Benkirane

Il se trouve qu’aujourd’hui les données ont beaucoup changé. Le BTP, traditionnellement gros employeur en effet, est en crise. L’agriculture, qui, certes, emploie encore près de 40% de la population active occupée, est sur une tendance de modernisation qui aura, qui a déjà , comme conséquence la baisse de sa part dans l’emploi total.

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benkirane diplomes chomeurs 2014 03 07

S’il y a une promesse que les gouvernements devraient s’abstenir de faire, c’est celle de créer un volume bien déterminé d’emplois, d’infléchir la courbe du chômage. Nul, ici comme ailleurs, n’a d’emprise réelle sur l’évolution de l’emploi, et donc du chômage. Ce sont les entreprises qui recrutent, et celles-ci peuvent, au gré de la conjoncture, en exprimer le besoin ou pas, et même parfois être amenées, malheureusement, à tailler dans les effectifs. Ceci est l’évidence même dans une économie de marché, ouverte à la concurrence, mais les évidences, il faut parfois les rappeler. L’exemple français est à cet égard assez éloquent.

Au Maroc, le gouvernement Benkirane II prépare une feuille de route pour le reste de son mandat, dans laquelle, sur le volet social, il se serait fixé un objectif de créer 250000 emplois par an et, ainsi, réduire le chômage à 7% d’ici à fin 2016. Il s’agirait pour le moment, selon des confidences rapportées par La Vie éco (voir notre édition de la semaine dernière), d’une proposition du PPS, auquel a été confié la charge de préparer les mesures à caractère social de cette feuille de route (chacune des composantes de la majorité s’occupant d’un volet particulier du programme, le tout devant être avalisé par les premiers responsables des partis de la coalition gouvernementale).

On ne sait trop si ce chiffre, encore officieux, sera retenu dans le document que le chef du gouvernement présentera devant la représentation nationale à l’ouverture de la prochaine session parlementaire. Ce qui est certain, en revanche, c’est qu’un tel objectif, sur un horizon aussi court et compte tenu des structures actuelles de l’économie, est difficilement réalisable, pour ne pas dire impossible.

Abbas El Fassi, pour mémoire, s’était essayé à cet exercice de prévision, on en connaît le résultat : entre 2007 et 2011 (son mandat ayant été écourté d’un an pour raison d’élections législatives anticipées), il s’en est créé une moyenne de 116 000 postes par an, sur un objectif de 250000, et le taux de chômage est demeuré à 9% contre une prévision de 7% ! Et encore, ce résultat n’a pu être atteint que parce que les recrutements dans la fonction publique avaient été multipliés par 2,5 durant cette période : d’une moyenne de 7000 postes budgétaires par an jusqu’en 2007, l’on est passé depuis à une moyenne de 18 000 par an. Et si le gouvernement El Fassi avait été jusqu’au terme de sa mandature, la moyenne de 116 000 postes n’aurait pas été réalisée, car, on le sait, en 2012 seulement…1000 emplois ont été créés !
Pourquoi le gouvernement Benkirane II, s’il retenait cet objectif, ne pourrait pas lui aussi le réaliser ? Il y a d’abord une raison démographique. Le Maroc, c’est bien connu, vit une phase de transition démographique qui produira ses pleins effets sur la problématique de l’emploi précisément sur la période 2014-2018.

Cette transition démographique se caractérise par une baisse de la fécondité, l’allongement de l’espérance de vie et le “gonflement” de la tranche d’âge 15-59 ans. Selon les projections du HCP, le poids de cette population en âge d’activité commence à devenir important à partir de 2014 et atteindrait son maximum historique en 2018, représentant 65% de la population totale. Dans ces conditions, la population active (composée des actifs occupés et des chômeurs), sous l’hypothèse, et seulement sous cette hypothèse, du maintien du taux d’activité à son niveau actuel de 48,3%, devrait augmenter de 173 000 actifs par an en moyenne jusqu’en 2030. Par contre, si le taux d’activité renoue avec son niveau de la fin des années 90, soit près de 55%, le nombre d’actifs additionnels serait alors de 248000 par an en moyenne.

Baisse de l’emploi non rémunéré

En retenant la première hypothèse (taux d’activité à 48%), la plus plausible en raison du retrait de plus en plus important des femmes du marché du travail (le taux d’activité des femmes étant de 25% en 2013 au lieu de 30,4% en 1999), il faudrait, selon les travaux de prospective du HCP, que le PIB augmente en moyenne de 4,8% chaque année pour espérer résorber la demande additionnelle. Si l’on se base sur le fait que depuis l’année 2000 l’économie marocaine a créé 156 000 emplois par an en moyenne, il faudrait donc en créer 17 000 supplémentaires pour atteindre les 173 000 emplois par an correspondant à la demande additionnelle. Or, on l’a déjà dit, ces dernières années, la moyenne des créations n’est plus de 156000 emplois, mais de 116000 et même moins que cela si l’on tient compte de l’année 2012. Ceci en raison du fait que les conditions qui ont prévalu durant la décennie 2000 tendent à disparaître. Au cours de cette période en effet, les créations d’emplois pouvaient atteindre jusqu’à 400000 postes par an, comme en 2003 par exemple. Pourquoi ? Parce que les structures de l’économie et le niveau de productivité faisaient que les emplois proposés étaient des emplois sans qualification : entre 1999 et 2009, les non-diplômés occupaient 73,3% de l’emploi total. Et il ne pouvait pas en être autrement, puisque les principaux moteurs de la croissance, donc de l’emploi, étaient l’agriculture, le BTP et les services, soit 80% de la valeur ajoutée totale. Pour rappel, la croissance dans ces secteurs durant la décennie 2000 fut respectivement de 5,8%, 7,2% et 5%, en moyenne, tandis que dans l’industrie elle ne dépassa pas 3% par an. Ce qui a d’ailleurs fait baisser considérablement le poids de l’industrie dans le PIB global, passant de 18% sur la période 1990-1999 à 13% entre 2000 et 2011.

Il se trouve qu’aujourd’hui  les données ont beaucoup changé. Le BTP, traditionnellement gros employeur en effet, est en crise. L’agriculture, qui, certes, emploie encore près de 40% de la population active occupée, est sur une tendance de modernisation qui aura, qui a déjà, comme conséquence la baisse de sa part dans l’emploi total : -6,5 points entre 2000 et 2013. Ceci venant se greffer sur une évolution tout aussi importante, celle de la généralisation de l’éducation et de l’accès aux moyens de communication, toutes choses incitant de moins en moins au travail peu rémunéré, et à plus forte raison au travail non rémunéré. La preuve, en 2004, par exemple, celui-ci représentait 34,2% de l’emploi total, il n’en pèse plus “que” 23% – ce qui est malgré tout encore élevé. A contrario, la part du travail rémunéré, qui était de 65,8% de l’emploi total en 2004, augmente de 10,8 points à 76,6% aujourd’hui.

Au total, alors que du fait de la transition démographique, la pression sur le marché du travail va s’accentuant, les secteurs sur lesquels reposait l’essentiel de l’emploi, pour les raisons déjà évoquées, n’offrent plus autant d’opportunités que par le passé, et ceci sans que l’industrie en prenne le relais. Pas étonnant dans ces conditions que depuis 2009, le chômage stagne à 9%. Le réduire de 2 points ou même de 1 point en 30 mois ressemble presque à une gageure.
S.A.