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Le financement désintermédié des entreprises en Afrique reste très faible

95% des entreprises en Afrique ne font appel qu’au financement bancaire. Marché financier de petite taille, base d’investisseurs insuffisante, capital investissement étroit…, les principales lacunes.
Les entreprises en Afrique font face à plusieurs contraintes dont particulièrement l’accès au financement. 95% des entreprises ne se financent qu’à travers les banques, seulement 5% se dirigent vers les marchés financiers. Dans les pays développés, 80% des financements des entreprises sont apportés par les marchés financiers aux Etats-Unis et 60% en zone euro. C’est ce que révèle le rapport sur la «désintermédiation des entreprises en Afrique» réalisé conjointement par Casablanca Finance City Authority (CFCA) et Europlace, présenté lors d’une conférence vendredi 23 octobre.
Il faut dire que la désintermédiation du financement des entreprises se heurte à plusieurs obstacles dont notamment l’étroitesse des marchés boursiers. En effet, la capitalisation boursière de toutes les bourses du continent africain représente au premier trimestre 2015 près de 1 500 milliards de dollars, pour 1 600 entreprises cotées et un volume de transactions de 200 milliards de dollars. Notons que l’Afrique du Sud, à elle seule, représente 65% de la capitalisation boursière de l’Afrique et réalise plus de 90% des volumes. Ce qui laisse une part dérisoire pour les autres bourses du continent. De plus, au cours des cinq dernières années, 37 milliards de dollars de capitaux ont été levés dans le cadre de 339 opérations. L’Afrique du Sud en accapare 78%.
Parallèlement, les entreprises ont peu recours au marché de la dette privée. L’encours du marché des obligations est d’environ 100 milliards de dollars, soit 1300 obligations d’entreprises. Sans surprise, l’Afrique du Sud compte l’essentiel des émissions obligataires, suivie directement par le Maroc avec une cinquantaine d’obligations émises à fin 2014. La majorité des émissions sont à coupon fixe et ne font presque pas l’objet de notation (seulement 11% des entreprises émettrices sont notées).
Pour sa part, le capital investissement en Afrique, bien qu’en développement, contribue encore modestement au financement des entreprises, comme l’atteste son taux de pénétration. Il est de 0,1% du PIB contre 0,7% au Royaume Uni et aux Etats-Unis. Entre 2008 et 2014, ce moyen de financement a drainé près de 13 milliards de dollars, avec une part de 62% pour les fonds internationaux, de 22% pour les fonds domestiques et de 16% pour les fonds africains à vocation panafricaine.
Même la base des investisseurs en Afrique, tous types confondus, reste faible, alors que la dynamique de développement des systèmes financiers dans les économies matures et émergentes s’est appuyée sur une base importante d’investisseurs institutionnels domestiques, individuels et internationaux. D’abord, il y a lieu de souligner que les investissements des sociétés d’assurance et des caisses de retraite ciblent surtout les titres d’Etat, l’immobilier et les dépôts bancaires et dans une moindre mesure les titres de capital et de dette des entreprises. Ensuite, la base des investisseurs individuels est limitée. Le taux de pénétration des marchés boursiers dans la population est compris entre 0 et 3% contre 2 à 8% dans les pays émergents et entre 10 et 20% aux Etats Unis et en Europe. Enfin, les investisseurs internationaux sont encore insuffisamment présents pour soutenir durablement la croissance des marchés financiers.
Pour palier ces difficultés, plusieurs propositions ont été formulées dont notamment l’intégration financière. A ce titre, Lamia Merzouki, directeur du pôle stratégie et développement à CFCA, souligne la nécessité de développer un réseau régional de marchés financiers. Ce qui devrait offrir davantage de visibilité pour les investisseurs étrangers. Cela devrait passer au préalable par l’harmonisation de la réglementation, la facilitation des conditions d’accès ainsi qu’une multi-cotation dans différentes places boursières. Mme Merzouki a mis l’accent également sur le développement des véhicules de financement panafricains à l’instar de fonds thématiques régionaux offrant une taille critique et un profil de rendement/risque attractif. En outre, la désintermédiation devrait passer également par la création de véhicules de titrisation, de fonds obligataires mutualisés, ainsi que par le développement du marché du capital investissement. C’est donc tout le cadre réglementaire, légal et fiscal qui devrait changer, en ligne avec l’évolution des marchés financiers et des besoins des investisseurs et émetteurs. A côté de ces réformes, la disponibilité, la transparence et l’accès à l’information restent des défis à relever en Afrique. D’où la proposition de créer un observatoire du financement des entreprises en Afrique. Pour sa part, Mohamed Kettani, PDG du groupe Attijariwafa bank, a pointé du doigt le manque de confiance entre les différents acteurs du marché (Etat, institutions de régulation, entreprises, investisseurs…) ainsi que la nécessité de remettre à niveau le capital humain. «Il faut professionnaliser les approches, selon lui, pour s’orienter vers les ETI, PME et TPE, qui constituent le gros du tissu économique africain, surtout au Maroc».
