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Constitution : quatre ans déjà  et il reste encore beaucoup à  faire

La classe politique et la société civile jugent très lente la mise en Å“uvre de la Constitution. Les lois organiques considérées comme problématiques sont retardées jusqu’à  la fin du mandat.

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En ce début 2011, le temps s’est accéléré. Un mouvement de jeunes (et moins jeunes d’ailleurs) qui a descendu dans la rue revendiquant des réformes et surtout la dignité pour tous les Marocains. Un Roi à l’écoute de son peuple qui a su anticiper le cours de l’histoire engage le Maroc dans un nouveau tournant. Il offre au Maroc un nouveau cadre constitutionnel qui répond le mieux à ses aspirations de démocratie d’ouverture et de développement. Tout cela s’est passé en quelques mois. Ces changements rapides, sur fond d’une transformation globale plus profonde qui, elle, s’est étalée sur plusieurs années, ont fait que le Maroc a connu un débat public sans précédent, à tous les niveaux sur tous les thèmes. Principalement sur les thèmes qui ont trait à la mise en œuvre de la nouvelle Constitution. Cela à tel point que, depuis sa toute première tentative de se doter d’une loi suprême, au début des années 60 du siècle dernier, le Maroc n’a jamais vécu autant de débats, et bien souvent de polémiques que durant ces quatre dernières années. Si par le passé, c’était le bien-fondé du texte même de la Loi suprême qui était au cœur du débat, aujourd’hui c’est surtout la manière de mise en œuvre de son contenu (sur lequel il y a unanimité) qui est très discutée. C’est surtout la question de l’interprétation du texte qui anime autant les débats. Ce qui fait dire à Hassan Tariq, député socialiste, également professeur de sciences politiques, que «la Constitution de 2011 n’est jamais citée sans qu’il y ait, en même temps, référence à son interprétation démocratique». Cela que ce soit dans les discours des hommes politiques, dans la littérature des partis, dans la presse ou dans les rencontres de la société civile. C’est que, comme le soulignait le Souverain dans son discours du 30 juillet 2011, «le grand défi qui reste à relever est celui de la qualification et de la mobilisation de tous les acteurs, de sorte que cette Constitution devienne une réalité concrète, et une pratique quotidienne qui reflète la démocratisation de l’Etat et de la société à la fois, tout en ouvrant de vastes perspectives prometteuses d’une vie libre et digne, surtout pour nos jeunes et pour les catégories populaires les plus démunies».

Pour cela il faut prendre en compte quelques préalables. D’abord l’«attachement à la suprématie de l’esprit et de la lettre de la Constitution, unique voie judicieuse pour son application». Ensuite, la «nécessité de créer un climat politique sain, digne du Maroc nouveau, issu de cette Constitution…». Et enfin, la «nécessité d’œuvrer, dans un esprit consensuel positif, à l’opérationnalisation des institutions constitutionnelles, en veillant à l’adoption des textes juridiques nécessaires et à la mise en œuvre des réformes politiques requises».

Parlement marginalisé, classe politique mise à l’écart

Et, toujours selon le même discours, «tout atermoiement risque d’hypothéquer cette dynamique de confiance et de dilapider les opportunités qu’offre la nouvelle réforme en matière de développement et pour réunir les conditions d’une vie décente pour notre peuple vaillant». Quatre années plus tard, «autant la Constitution de 2011 a suscité  de grands espoirs auprès du peuple marocain  pour l’édification d’un Etat démocratique moderniste, autant le gouvernement issu des élections anticipées en 2011 a réduit à néant ces espoirs». C’est un constat. Cela résume, en fait, l’idée (qui est loin d’être pessimiste) que se fait l’USFP des quatre premières années de la Constitution de 2011. Quand il s’agit d’évaluer l’approche gouvernementale en matière de mise en œuvre de la Constitution, ce ne sont pas les griefs qui manquent. «Le gouvernement a tenu à marginaliser totalement le rôle de l’institution législative dont le gouvernement et son chef tirent pourtant leur légitimité. Ces entraves constituent l’un des graves aspects de la non-mise en œuvre de la Constitution». Ainsi, à partir de son interprétation «antidémocratique» du rôle de l’institution législative, le chef du gouvernement «s’est employé à dévaloriser le discours politique pour se défausser de ses responsabilités, à savoir développer la pratique institutionnelle dans le sens de garantir l’équilibre des pouvoirs, la consolidation de l’institution du chef du gouvernement avec ses attributions politiques en tant qu’acquis importants de la nouvelle Constitution».

Le gouvernement «a tourné le dos également à l’ensemble des principes et mécanismes stipulés par la nouvelle Constitution pour le renforcement de l’Etat de droit, dont  la mise en place des bases de la bonne gouvernance, la lutte contre la prévarication, le clientélisme et la consolidation d’un pouvoir judiciaire indépendant», s’alarme-t-on au sein de ce parti socialiste. Bien plus, s’inquiète-t-on à l’USFP, «l’Exécutif a porté atteinte à l’esprit de la démocratie participative mentionnée clairement dans la Constitution qui vise à faire participer un grand nombre d’organisations politiques, syndicales et gouvernementales à la pratique démocratique et des citoyens de manière effective dans l’action de légiférer et de présenter des propositions».

Ce qui a été fait est important, mais…

A qui incombe la responsabilité ? Au PJD, au gouvernement, à l’opposition ? C’est vrai que, contrairement à d’autres partis politiques, la réforme de la Constitution n’a jamais fait partie de l’agenda du PJD. Même lorsqu’il a créé une commission qui devrait se charger d’élaborer la vision du parti islamiste en la matière, cette commission ne s’est jamais réunie, jusqu’au jour où la Commission royale chargée de la réforme de la Constitution a pris attache avec le parti pour lui demander de lui soumettre ses propositions de réforme. Ce n’est donc pas étrange qu’une fois au pouvoir les priorités du parti soient autres que celles de l’accélération de la mise en œuvre de la Constitution avec l’élaboration dans la célérité, mais avec le sérieux requis, des lois organiques nécessaires pour ce faire. La priorité du parti était d’abord une quête de normalisation avec le Palais. Le reste, tout le reste, pouvait attendre. Résultat : un retard flagrant dans la mise en œuvre du texte suprême et un gâchis du temps politique, qui, lui, est irrécupérable. Nombreux analystes politiques ont d’ailleurs pointé du doigt, tout au long des nombreuses rencontres organisées à l’occasion, un  décalage flagrant entre le contenu de la Loi suprême et la réalité de sa mise en œuvre. Cela dit, observe Adil Benhamza, porte-parole du Parti de l’Istiqlal, «ce qui a été réalisé est, certes, important». Mais pas nécessairement au niveau des attentes. «C’est une problématique des rapports de force qui sont actuellement altérés et le resteront tant que ce gouvernement est au pouvoir. Avec l’actuel gouvernement, on ne peut s’attendre qu’à une interprétation conservatrice du texte de la Constitution», estime-t-il. Celui qui assume la responsabilité de la situation, «c’est le chef de gouvernement car, ni lui ni son parti n’avaient inscrit dans leur agenda une quelconque réforme de la Constitution même lorsqu’ils étaient encore dans l’opposition».

L’opposition est-elle aussi responsable ?

En conséquence, il faut s’attendre, assure le porte-parole du Parti de l’Istiqlal, à ce que le chef de gouvernement retarde la déposition au Parlement des projets de lois organiques les plus problématiques jusqu’à la dernière minute pour laisser le soin de les soutenir et suivre leur débat et adoption au futur gouvernement. Abdellah Bouanou, chef de groupe parlementaire du PJD, assure, lui, que l’opposition a joué un rôle négatif dans la mise en œuvre de la Constitution.

«Ceux qui estiment que le gouvernement doit rendre des comptes en matière de production des lois organiques (relatives à la mise en œuvre de la Constitution) doivent prendre en considération que l’opposition, malgré les nouveaux et grands rôles constitutionnels dont elle a été investie, a joué un rôle négatif dans la mise en œuvre de la Constitution de 2011», soutient-il.  Il avance comme argument le fait que l’opposition se soit adressée au Roi pour «se plaindre» des comportements (qu’elle juge anti-démocratiques) du chef de gouvernement. En même temps, la position des formations de l’opposition par rapport à la loi organique relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire constitue un autre élément en ce sens. Pour le chef de groupe du PJD, le fait d’exiger l’indépendance du parquet vis-à-vis du ministère de la justice ne verse pas dans le sens de la responsabilisation politique du ministère public qui est censé, dans ce cas, appliquer la politique judiciaire et pénale. Le parquet étant indépendant du ministère qui relève, lui, d’un parti politique (ou d’une majorité gouvernementale politiquement responsable) est, du coup, exempt de toute responsabilité politique. Il ne peut pas, par conséquent, se soumettre au questionnement devant le Parlement, pour sa politique pénale. En plus, et en cette période pré-électorale, le responsable du parti islamiste considère toute revendication des partis de l’opposition comme une sorte de nostalgie pour l’ère pré-Constitution de 2011.

En même temps, le parti au pouvoir avance que «le gouvernement a établi, de sa propre initiative, un agenda législatif (NDLR : qu’il n’a finalement pas pu respecter), dans lequel il s’est engagé avec un échéancier à préparer un ensemble de textes de lois organiques et ordinaires, ceux liés à la Constitution, à l’institution législative ou au programme gouvernemental décliné selon les différents départements ministériels». Pour ce qui est des lois organiques, «il reste encore quatre textes à élaborer dont tout le monde a conscience de la complexité de leur nature. Il s’agit des lois organiques relatives à l’exercice du droit de grève et ses relations avec les syndicats, la loi organique relative à la mise en œuvre de l’officialisation de l’amazigh et le Conseil national des langues et de la culture marocaines ainsi que la loi organique portant encadrement de l’exception pour inconstitutionnalité d’une loi. Ce sont des textes qui demandent une concertation sociétale élargie. Le reste des textes de loi sont actuellement devant le Parlement». La Constitution oblige, certes, le gouvernement à adopter les lois organiques avant la fin de la législature, fait savoir Adil Benhamza, «mais la question est : Avec quel contenu ? Compter systématiquement sur la mécanique de la majorité numérique dans leur adoption est de nature à nuire à leur esprit du moment qu’ils sont complémentaires de la Constitution. Ces textes nécessitent, au contraire, un niveau minimal de consensus qui ne peut avoir lieu sans dialogue».

La société civile s’inquiète

Les exemples que le gouvernement a donné à voir sont, pour le moins, décevants. Les lois organiques portant statut des magistrats et celle relative au Conseil supérieur du pouvoir judiciaire, le projet de code pénal actuellement en discussion, les projets de l’instance de la parité, les deux projets de loi organique portant modalités d’exercice du droit de présenter des propositions en matière législative ou le droit de présenter des pétitions aux pouvoirs publics, le projet de loi organique portant organisation des associations, le projet de loi organique encadrant le droit d’accès à l’information…, tant de textes jugés un peu partout en deçà des attentes et qui ne cadrent pas du tout avec l’esprit de la Constitution.   

Même au niveau du Parlement, «si la Constitution a garanti de larges prérogatives à cette institution, l’actuel gouvernement a entravé la mise en application de ces atouts en  discréditant le rôle de cette institution et en méprisant le travail des parlementaires, notamment ceux de l’opposition», souligne un dirigeant de l’USFP. Bien plus, soutiennent de nombreux analystes, le chef du gouvernement a tout simplement renoncé à une partie de ses prérogatives en avançant des prétextes qui ne cadrent pas avec l’esprit de la nouvelle Constitution. Pour ce qui est de la société civile, les quatre premières années de la Constitution ne sont pas, pour ainsi dire, reluisantes. La preuve : il y a absence d’une stratégie nationale pour adapter la législation nationale aux traités et conventions signés par le Maroc, lit-on dans un communiqué signé par un collectif de près de 50 associations. Les questions structurant la pratique démocratique basée sur la participation, le respect des droits linguistiques et culturels, le droit d’accès à l’information, l’égalité entre les deux sexes, ne font pas non plus partie des priorités de la politique législative du gouvernement.

Ce qui porte un coup au droit des citoyens à la participation et à la contribution à l’élaboration de textes de loi à même de créer un climat de confiance afin de faire face au défis qu’affronte le pays. La société civile pointe également l’absence d’une réelle politique pour sortir au jour les instances de bonne gouvernance créées par la nouvelle Constitution. De même que les projets de lois qui ont été adoptés ou en cours d’adoption sont en deçà des attentes et ne répondent pas aux revendications de la société civile, que ce soit au point de vue forme ou sur le fond, ce qui suscite une certaine déception et une perte de confiance en l’avenir.