Au Royaume
TV publique et nuisances politiques
La polémique qui enfle depuis quelques jours au sujet de la retransmission sur la chaîne 2M du show de Jennifer Lopez a pris une ampleur telle que l’on en oublie, comme le voudraient peut-être certains, le vrai débat de fond sur le rôle, la mission et la gouvernance de l’audiovisuel public.

C’est que, bizarrement, ladite polémique a d’abord pris une tournure politique à laquelle elle n’était pas forcément vouée.
Car, comme nous sommes dans un Etat de droit, si une partie estime qu’un texte, une loi ou un règlement n’a pas été respecté elle devrait logiquement saisir les autorités compétentes pour faire appliquer la loi et demander des sanctions s’il y a lieu. Point à la ligne.
Or ce n’est pas ce qui s’est passé dans le cas de figure. Le fait est que le chef du gouvernement n’a saisi la Haute autorité de la communication audiovisuelle (HACA) qu’après des jours de lynchage en public des responsables et de guerre médiatique où l’heure était plus au règlement de comptes purement politiques. Au passage, beaucoup de dommages collatéraux notamment quand on voit la très mauvaise publicité faite au Maroc à l’échelle mondiale à travers les réseaux.
Ensuite, et c’est là que la classe politique a joliment joué son coup, alors que cette polémique a duré plusieurs jours et dure encore, personne au sein de cette classe politique ne s’est aperçu qu’on laissait de côté les vraies questions de fond. A commencer par celle de la tutelle, une des principales cartes jouées par le gouvernement. Et justement, allons jusqu’au bout de cette logique. Si aujourd’hui, le gouvernement mené par le PJD, se prévaut de cette tutelle pour estimer que la TV publique, qui relève de ses prérogatives, doit répondre à un référentiel, qui est le sien, demain quand on aura un gouvernement mené par un parti de gauche ou de toute autre couleur, il devrait en faire de même.
Concrètement, rien n’empêchera un tel gouvernement de revoir le cahier des charges de la TV publique pour demander par exemple de zapper de la grille des programmes à caractère religieux, de zapper les appels à la prière ou de rajouter des programmes qu’il estimerait être en phase avec son projet. Et il n’aura pas tort puisqu’il ne fera qu’exercer cette tutelle. Du coup, notre TV devrait changer de référentiel et de ligne éditoriale avec chaque changement de gouvernement.
«A quelque chose malheur est bon», dit l’adage. Cette polémique n’est-elle pas en fait la meilleure occasion pour revoir la génétique même de cette TV publique. Un parti politique, une majorité, quelle qu’en soit la couleur, ont-ils le droit de façonner la TV publique comme ils le veulent ? Et au titre de quelle légitimité pourraient-ils décider pour 34 millions de personnes au moment où seuls 4 ou 5 millions de Marocains vont aux urnes ? Que sait le PJD de ce que veulent les 30 millions qui restent ?
Auquel cas l’autre question, encore plus existentielle, est de savoir quel modèle de TV publique nous voulons pour le Maroc de tous ? Qui doit en décider ? Et de quel mode de gouvernance doit-on la doter pour préserver son immunité et la déconnecter définitivement de la sphère politique et de ses nuisances ? C’est cela en fait le vrai débat qu’il aurait fallu engager en 2012 au lieu du rafistolage des cahiers des charges. Mais il n’est jamais tard pour bien faire…
