Affaires
Ouverture du capital des cliniques : déjà sept établissements cédées à Casablanca et Rabat !
Des médecins remettent en question la légalité de ces opérations réalisées avant la publication de la loi au BO et des textes d’application. Ils brandissent le risque de hausse du coût des soins. Le ministre de la santé assure que les transactions effectuées l’ont été normalement dans le cadre de la loi 10-94

A peine la loi 113-13 autorisant l’ouverture du capital des cliniques privées aux investisseurs non médecins votée, que les négociations pour les premières cessions ont eu lieu. Des transactions ont même été conclues. Selon le Syndicat national des médecins du secteur libéral, sept cliniques situées dans les villes de Casablanca et Rabat ont été reprises par des investisseurs privés non médecins.
Le rachat de ces entités serait fait par un même groupe de la place. Celui-ci s’apprêterait aussi à entrer dans le capital d’une clinique à El Jadida. En revanche, il a essuyé un refus de la part de deux cliniques à Tanger et Fès.
La loi a certes été votée mais n’a pas encore été publiée au Bulletin Officiel et les décrets d’application sont aussi attendus. Ce qui pose le problème de la légalité de ces opérations, selon le syndicat des médecins qui prédit que «l’objectif de cette loi risque de ne pas être atteint». Les responsables précisent que «selon le ministère de la santé, le texte 113-13 vise en premier lieu l’encouragement des implantations de cliniques dans les régions reculées. Or, sur la base de ce qui se passe actuellement dans le secteur, l’ouverture au privé concernera davantage les cliniques dans les grandes villes».
El Houssein Louardi, ministre de la santé, donne une tout autre version. A l’en croire, des cliniques et cabinets de radiologie ont bien été cédés, mais bien à des medecins, et ce, conformément à la loi 10-94.
Il est clair que l’adoption, le 4 février 2015, de cette loi ne met pas un terme aux controverses qui ont duré plus de deux ans entre le ministère de la santé et les professionnels qui se sont accrochés en vain à la loi 10-94 qui leur réservait l’exclusivité de l’ouverture d’une clinique. Une pilule qu’ils ne semblent pas près d’avaler. Médecins et chirurgiens continuent donc de critiquer le texte en avançant la remise en cause de l’indépendance des médecins, de la qualité des prestations et de l’accès aux soins pour l’ensemble des citoyens marocains.
L’ouverture du capital, opportunité d’une retraite dorée pour les médecins
La loi 113-13 a pourtant prévu des garde-fous. Ainsi, la direction médicale devra être confiée à un médecin, même si l’établissement est détenu par des bailleurs de fonds privés. Elle garantit également au directeur médical de pouvoir exercer ses fonctions en toute liberté sans l’ingérence des propriétaires de la clinique. Les médecins ne sont pas rassurés pour autant : la loi exclut l’avis du conseil de l’ordre des médecins. Ils estiment par conséquent que «le code de déontologie médical ne peut être opposé aux propriétaires des cliniques qui seront davantage animés par la réalisation de gains au détriment de la garantie de l’accès aux soins, sachant que tous les Marocains ne bénéficient pas d’une couverture médicale». Un argument qui reste peu convaincant si l’on considère les pratiques actuelles de certaines cliniques : non-respect des tarifs de référence, exigence des chèques de garantie et refus de soigner des assurés de l’AMO en raison des retards de paiement des prises en charge.
Par ailleurs, dans le milieu médical on persiste à dire que l’ouverture du capital entraînera «une hausse du coût des prestations et se traduira également par l’exclusion d’un grand nombre de patients de l’accès aux soins et de la pratique de plusieurs tarifs». Ces deux conséquences sont aussi avancées par les associations de défense des consommateurs. Mais il importe de signaler qu’actuellement, les praticiens et les cliniques ne respectent pas les tarifs de référence arrêtés en 2005 au démarrage de l’Assurance maladie obligatoire. D’autre part, sur le terrain, on constate qu’il existe quatre tarifications différentes. La convention médicale signée avec les assureurs privés qui fixe le K (unité de calcul de la valeur de l’acte de chirurgie) à 30 DH. Le K est en revanche facturé 25 DH à la CMIM, 22,50 DH dans le cadre de l’AMO et 7,50 DH dans les hôpitaux. Ce qui pousse certains observateurs à dire que «les arguments des médecins ne sont pas solides». Et ils vont même jusqu’à assurer que «l’ouverture du capital représente l’opportunité d’une bonne retraite pour certains patrons de cliniques parce qu’ils cèdent leurs cliniques et continuent à y travailler comme salariés ou à l’acte !». Les patients, quant à eux, pourraient payer plus cher leurs soins sauf si le volet tarifaire est bien encadré dans les décrets d’application. Effectivement, le ministre assure que des plafonds seront fixés et que les cliniques seront obligées d’afficher leurs prix. Tout dépassement sera sanctionné.
