Carrière
L’enseignement supérieur privé au Maroc peine à décoller
Moins de 40 000 étudiants sont inscrits dans l’enseignement supérieur privé. Une grande ville comme Agadir, avec ses 900 000 habitants, n’a pas plus de 1 653 étudiants dans le privé. En cause, la non-solvabilité de la demande. Les professionnels du secteur demandent à l’Etat d’attribuer des bourses de mérite aux étudiants du privé au même titre que ceux du public.

Plus de trois décennies après son apparition, le secteur de l’enseignement supérieur privé peine à décoller. Comparé au système universitaire public, fort de ses 615 000 étudiants, le privé reste négligeable. Les chiffres officiels disponibles au titre de l’année 2011-2012 parlent de 36 434 inscrits à travers tout le Maroc dans des établissements supérieurs privés. Si l’on arrondit ce chiffre à 40 000 étudiants, le poids du privé sera à peine de 6,5%. Et encore, ce sont les deux grandes villes de Rabat et Casablanca qui accaparent le gros de ces effectifs, soit 24000. Une grande ville comme Agadir, avec ses 900 000 habitants, n’a pas plus de 1 653 étudiants dans le privé. Elle qui abrite d’ailleurs la deuxième plus grande université publique du Royaume (Université Ibn Zohr) avec 69 736 étudiants (chiffres officiels de 2012-2013), classée juste après l’Université Sidi Mohamed Ben Abdellah de Fès, avec 75 000 étudiants. On est donc très loin des prévisions de la charte d’éducation et de formation qui avait avancé déjà en 2000 le chiffre de 20% d’effectifs dans le privé à l’horizon 2010. Pourquoi cette désaffection ? Le secteur n’est-il pas attractif, pas crédible ? Ou y a-t-il plutôt un problème au niveau de la demande ? Certains responsables du secteur se plaignent surtout de l’impéritie de l’Etat à mettre le paquet pour encourager le secteur à prendre son envol. Ils dressent tous le même constat: ce n’est pas la crédibilité du secteur qui fait bouder les parents, mais c’est surtout le manque de moyens. Seule une catégorie de la population, les classes moyennes (et les familles qui font de gros sacrifices pour assurer une bonne formation à leurs enfants, en empruntant auprès des banques s’il le faut) qui se le permettent. Ce dont le secteur a besoin, estime Yasmine Benamour, administrateur DG de HEM, «c’est d’une aide qui ira directement aux familles et non au secteur lui-même. L’Etat pourrait améliorer la solvabilité de la demande par un système de défiscalisation ou de bourses de mérite». Certes, chaque année une poignée d’étudiants démunis bénéficie de bourses de mérites offertes gracieusement par des entreprises (ou des écoles privées elles-mêmes) pour mieux étoffer leur image de marque et en même temps leurs effectifs, mais cela ne peut booster un secteur qui devra tôt ou tard absorber une partie des hordes d’étudiants qui dérochent leur bac chaque année. Si l’Etat s’est fixé le taux de 20% d’effectifs devant être drainés vers le privé, c’est pour soulager le public et faire participer les investisseurs privés au grand projet de formation dont a besoin le Maroc.
Par ailleurs, le processus des accréditations et des homologations a été certainement lent et laborieux, mais tout le dispositif est maintenant installé pour que le secteur privé joue pleinement son rôle : décret sur les accréditations des filières, décret autorisant les universités privées… Il manque encore une pièce à l’édifice pour que les accréditations aient tout leur sens : le décret sur l’équivalence des diplômes des établissements privés, prévu d’ailleurs par la loi. Sans cette équivalence, les lauréats du secteur privé ne peuvent faire des masters dans les universités publiques, ni postuler pour travailler dans la fonction publique, si tant est qu’ils veuillent le faire.
Il y avait deux défis à relever, commente Amine Bensaïd, président de l’Université Mundiapolis de Casablanca : «Celui de l’assurance qualité, et celui de mettre les gens en confiance avec le système privé». C’est maintenant chose plus ou moins faite. Plus ou moins, car tous les établissements privés n’ont pas la même expérience, la même qualité de gouvernance ni le même management. C’est légitime de faire du business dans la formation, mais cela ne devrait pas se faire au détriment de la qualité. En tout cas, c’est le marché de l’emploi qui est le seul juge en la matière. C’est pourquoi les établissements privés s’emploient à favoriser l’employabilité de leurs lauréats en misant sur le perfectionnement des langues et de leur personnalité. Ces lauréats, notamment ceux issus de quelques établissements ayant f ait leurs preuves dans le domaine, sont, par expérience, prisés par les cabinets de recrutement et se sont imposés sur le marché du travail. Comme l’affirme Yasmina Zitan, directrice développement à ESCA Ecole de Management : «Les lauréats de l’enseignement supérieur privé occupent des postes de plus en plus importants dans les divers secteurs des services et de l’industrie et de ce fait contribuent à combler le manque en compétences de haut niveau dans plusieurs secteurs». Et pour cause, les conditions de ces établissements favorisent généralement une bonne qualité de la formation (classes réduites, activités parascolaires, compétence du personnel administratif et qualité des enseignants), d’autant qu’ils font de l’assiduité de l’étudiant un facteur déterminant dans sa réussite (absences pénalisées…).
En outre, la plupart des écoles et universités privées sont en étroite relation avec le monde de l’entreprise et évoluent en fonction de la demande du marché du travail. Chaque année, elles proposent de nouvelles filières et de nouveaux masters… Certaines, tout en faisant du business, ne négligent pas la formation. L’éducation est un domaine où tout le monde devra, comme le dit Mme Benamour, «porter une responsabilité au quotidien vis-à-vis d’une jeunesse et de ses proches. Lorsqu’un établissement est sérieux, éthique, empreint de valeurs (réelles et pas seulement déclarées), avec une ligne directrice claire, un modèle pédagogique fort qui se renouvelle, une communication vraie et cohérente, il dure et tend vers l’excellence. Le “software” avant le “hardware”. La bonne qualité de l’enseignement supérieur privé vient d’abord, à mon sens, de cela».
Cela étant, nombre d’établissements supérieurs privés, sinon tous, pour des besoins de rayonnement et de marketing, recrutent un nombre d’étudiants de couches défavorisées en les faisant profiter de bourses de mérite offertes par des groupes industriels, souvent par l’entremise de la Fondation marocaine de l’étudiant (FME). Cette dernière lance, d’ailleurs, pour la rentrée 2014-2015 un appel à candidature pour les 4 programmes de Bourse d’excellence et de mérite. Cet appel s’adresse à l’ensemble des futurs bacheliers qui souhaitent poursuivre leurs études supérieures, mais qui ne disposent pas des moyens financiers suffisants.
