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Organisation d’insolvabilité : la législation est trop souple pour les fraudeurs

Seuls les codes de commerce et de recouvrement des créances publiques mentionnent l’organisation d’insolvabilité. Sans une condamnation de nature patrimoniale, un prévenu ne peut être poursuivi pour un tel délit.

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Justice 2014 05 06

Un prévenu, lors d’un procès de détournement de fonds retentissant, qui divorce, et tout le monde crie à «l’organisation d’insolvabilité». Il s’agit pourtant là d’une «infraction» qui n’est pas reconnue en tant que tel par le droit pénal marocain. C’est le code de commerce, dans son livre V, qui y fait allusion en interdisant toute transaction concernant les biens des dirigeants d’entreprises en difficulté, comme l’explique MeMouhsine Hicham, avocat au barreau de Casablanca. De même, l’instruction générale du code de recouvrement des créances publiques l’assimile à la fraude fiscale.

Le délit est constitué lorsque le débiteur, par ses actes, veut se rendre insolvable

L’acte consiste pour une personne à organiser sciemment son insolvabilité afin de se soustraire et d’échapper aux conséquences d’une condamnation pécuniaire. Le détournement porte donc ici sur les biens de l’auteur même de l’infraction.
Pour le législateur, il ne s’agit pas de protéger la propriété d’autrui, mais de protéger les créanciers et, au-delà, de garantir la bonne exécution des décisions de justice. Le problème est que «le soupçon d’une organisation frauduleuse d’insolvabilité ne peut exister à défaut de condamnation de nature patrimoniale constatant une dette», explique un avocat. Plus encore, il doit s’agir, pour les personnes physiques, d’une décision prononcée par une juridiction répressive ou civile, en matière délictuelle, quasi délictuelle ou de pension alimentaire. Pour les personnes morales, il doit s’agir d’une condamnation prononcée en matière répressive, délictuelle ou quasi délictuelle.
En revanche, le délit est constitué même si l’acte incriminé intervient avant cette condamnation. Se rendrait ainsi coupable du délit d’organisation d’insolvabilité le prévenu qui, certain de son renvoi devant une juridiction pénale, fait donation d’une partie de ses biens à ses proches afin de se soustraire à une probable condamnation au paiement de dommages et intérêts à la victime.
L’élément matériel constitutif d’un délit d’organisation d’insolvabilité consiste pour une personne ou pour le dirigeant de droit ou de fait de la personne morale à organiser ou aggraver son insolvabilité, soit en augmentant le passif ou en diminuant l’actif de son patrimoine, soit en diminuant ou en dissimulant tout ou partie de ses revenus, soit en dissimulant certains de ses biens. C’est par exemple le cas lorsqu’un individu renonce volontairement à un emploi rémunéré pour être en état de diminution de ses revenus, lorsqu’il vend certains de ses biens à un prix dérisoire ou lorsqu’il les donne à un proche pour diminuer son actif, ou encore lorsqu’il fait une fausse déclaration de dettes pour augmenter frauduleusement son passif. L’élément moral supposerait un dol général, à savoir la connaissance par le débiteur de la condamnation pécuniaire qui le frappe, et un dol spécial, c’est-à-dire le cas où le prévenu a l’intention de se soustraire à l’exécution de la condamnation.

La contrainte par corps, très controversée, demeure la seule solution pour l’Etat

Afin de parer à ce vide juridique, Me Fadel Boucetta, avocat au barreau de Casablanca, indique que «l’Etat a souvent recours à la contrainte par corps». Un moyen de pression, par la détention privative de liberté, sur le débiteur solvable mais récalcitrant pour l’amener à honorer sa dette. Il s’agit d’une mesure exceptionnelle du recouvrement forcé, à laquelle le comptable ne peut recourir qu’après épuisement des voies d’exécution sur les biens. L’exercice de la contrainte par corps n’a pas pour conséquence d’éteindre la dette du redevable. Celle-ci reste due tant que le Trésor n’aura pas été désintéressé.

En application des dispositions de la loi 15-97 formant code de recouvrement des créances publiques, tout redevable d’une somme exigible supérieure ou égale à 8 000 DH peut faire l’objet de recouvrement par voie de contrainte par corps. Toutefois, sont exclus de l’application de la contrainte par corps les redevables âgés de plus de 60 ans, ceux en liquidation judiciaire, les personnes âgées de moins de 20 ans, la femme enceinte ou qui allaite, dans la limite de deux années à compter de la date d’accouchement, et le mari et sa femme simultanément, même pour des dettes différentes.