Affaires
Maroc : L’Exécutif favorable à l’indexation du SMIG
Le SMIG a évolué de 35% en cumulé au cours de la dernière décennie et l’inflation de 22%. Les prix pourraient toutefois augmenter avec le retrait des subventions.

Augmentation, pas augmentation… Jusqu’à la mi-journée du mercredi 29 avril, aucune décision n’avait été prise officiellement à propos de la hausse du SMIG. Au moment où ces lignes sont écrites, le gouvernement et les syndicats étaient réunis pour discuter du mémorandum que les syndicats UMT, CDT et FDT lui avaient remis quelques semaines auparavant. Le contenu du mémorandum, déjà largement diffusé, porte non seulement sur des revendications d’ordre matériel, comme la revalorisation des salaires, mais également sur d’autres questions comme la liberté syndicale, en particulier. Selon le secrétaire général de la FDT, Abderrahmane Azzouzi, en recevant les syndicats il y a près de deux semaines, le chef du gouvernement avait parlé d’une augmentation des salaires inférieurs à 3 000 DH dans la fonction publique qu’il accepterait relever à ce seuil, et d’un accord de principe de la CGEM sur la hausse du SMIG. «Mais aucune précision n’avait été donnée quant au niveau de cette hausse», précise le syndicaliste. Tout semble indiquer en fait que le patronat, en échange d’une acceptation de l’augmentation du SMIG, voudrait obtenir que le projet de loi organique sur la grève «sorte» le plus rapidement possible –le texte devant, de toute façon, être adopté avant la fin de l’actuelle législature.
On peut se demander à quoi cela rime-t-il que la revalorisation du SMIG fasse partie du lot des revendications récurrentes des syndications, qu’elle donne lieu souvent à d’âpres négociations et qu’elle crée même parfois de vives tensions entre les partenaires sociaux. Logiquement, le SMIG, qui est un minimum vital comme son nom l’indique, devrait s’ajuster automatiquement, en référence à un indicateur que l’on aura choisi consensuellement, afin précisément de garantir ce minimum auquel tout salarié a légitimement droit. Le gouvernement en tout cas y est favorable, selon un de ses membres. Le patronat, lui, y a toujours vu une mesure de nature à limiter la compétitivité des entreprises. Peut-être a-t-il évolué sur ses positions, mais les tentatives de contact pour prendre son avis sur le sujet n’ont pas abouti.
Faut-il rappeler que tout augmente, les prix comme les salaires, dans des proportions certes différentes ? Il n’y a pas de raison que seul le SMIG soit en retrait de cette dynamique de progression. Ceci pour le principe. En réalité, si l’on observe la période allant par exemple de 2000 à aujourd’hui, on se rend bien compte que le SMIG a augmenté plusieurs fois, avec des dates d’entrée en vigueur étalées dans le temps, et a cumulé une hausse de 35% en terme nominal, soit un peu moins de 3% par an en moyenne. Sur la même période, les salaires dans le secteur privé, suivant les déclarations à la CNSS, ont augmenté d’environ 4% par an en moyenne, et dans le secteur publique de plus de 7%. L’inflation, mesurée par l’indice des prix à la consommation, elle, a évolué à un rythme annuel de 1,7%.
Ces données permettent de constater que globalement les salaires, aussi bien dans le privé que dans le public, augmentent plus vite que l’inflation. Ce qui, mécaniquement, améliore le pouvoir d’achat des ménages, observés de façon indifférenciée. D’ailleurs, les statistiques du Haut commissariat au plan (HCP) montrent que le pouvoir d’achat des ménages a augmenté de 3,9% par an, en moyenne, entre 2001 et 2011. Mais cet agrégat mérite d’être affiné en raison de la forte concentration des revenus.
Le coût du travail est-il trop élevé au Maroc ?
Qu’est-ce cela veut dire et quel rapport à l’indexation? Tout simplement que si le mécanisme d’indexation à l’inflation avait été mis en place, les entreprises auraient probablement économisé sur cette dépense, considérant que l’inflation a été plus faible que le niveau de hausse du SMIG. Certes, ce que demandent les syndicats, pour être précis, c’est l’instauration, ou plus exactement la réhabilitation de la loi de 1958 sur l’échelle mobile des salaires ; celle-ci consistant à indexer les salaires et non pas seulement le SMIG sur l’évolution des prix. Mais cette pratique, à vrai dire, n’existe aujourd’hui nulle part. En France, l’échelle mobile des salaires, mise en place à partir de 1952, a été supprimée par les socialistes, arrivés au pouvoir en 1981. En Italie aussi, cette mesure, instaurée en 1975, a été annulée en 1992, en prélude à l’entrée du pays dans l’Union européenne.
Plus généralement, depuis que l’inflation est devenue l’ennemie à abattre de pratiquement tous les pays, l’échelle mobile des salaires n’a plus court.
Ce dont il s’agit ici, ce n’est pas de l’échelle mobile des salaires, quoi qu’en pensent les syndicats -car, ils y tiennent toujours- mais seulement de la mise en place d’un mécanisme qui permette un ajustement automatique du salaire minimum. En France, pour prendre cet exemple, cette indexation existe. Le salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), selon les nouvelles modalités d’indexation mises en place en février 2013, est maintenant indexé sur l’inflation mesurée pour les 20% des ménages ayant de faibles revenus. Et ceci afin que l’augmentation du SMIC soit plus consistante, sachant que l’inflation que subit cette catégorie de la population, proportionnellement à leurs revenus, est relativement plus élevée. A ceci s’ajoute ce que l’on appelle «les coups de pouce» que le gouvernement peut décider lorsque l’inflation globale dépasse 2%. Avant février 2013, le SMIC était indexé sur l’inflation mesurée pour les ménages urbains dont le chef de famille est ouvrier ou employé.
Au Maroc, avec le retrait progressif de la subvention et la possibilité, concomitante, d’une hausse de l’inflation, le SMIG n’aurait de sens et ne conserverait sa valeur comme minimum vital que s’il est adossé à un indicateur comme les prix à la consommation, ou les prix à la consommation calculés pour une catégorie de la population, par exemple celle ayant de faibles revenus.
On pourra toujours dire qu’aujourd’hui le SMIG au Maroc est le plus élevé en Afrique, et même par rapport à certains pays de l’Union européenne comme la Roumanie ou la Bulgarie. Ce qui est vrai. Est-ce que cela suffit à expliquer la faible compétitivité des entreprises marocaines ? En d’autres mots, le coût du travail est-il la seule variable à l’origine des faibles performances de l’économie marocaine ? Si c’était le cas, cela voudrait dire que la productivité du travail est médiocre. Et que disent les chiffres sur ce point ? Bank Al-Maghrib, dans un de ses derniers rapports annuels, souligne que la productivité apparente du travail est en augmentation quasi constante depuis 2001. La hausse serait de l’ordre de 3% par an en moyenne. La productivité globale, elle, aurait augmenté de 2,5% par an, selon certains économistes, un niveau jugé insuffisant par rapport aux pays concurrents, notamment asiatiques, où la productivité progresse à un rythme de 4% par an.
Une conclusion rapide pourrait faire dire que c’est le coût du travail seul, à supposer que l’expression soit juste, qui grève la compétitivité des entreprises. C’est oublier que la productivité a plusieurs déterminants et dont les principaux sont le progrès technique et le savoir. Une abondante littérature existe sur le sujet, inutile de s’y attarder.
Mais quoi qu’il en soit, et en admettant que la productivité demeure faible au Maroc, cela ne devrait pas empêcher d’opérer une indexation du SMIG qui tienne compte de ce niveau de productivité. Par ailleurs, la faiblesse de l’inflation, même si elle est en partie liée à l’intervention de la puissance publique, via les subventions, paraît bien traduire, malgré tout, une bonne tenue des marges des entreprises, sans quoi elles auraient augmenté les prix.
