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Derb Ghallef : les propriétaires du terrain augmentent la pression sur l’Etat

Ils envisagent de céder leurs droits aux commerçants de la Jouteya après l’échec des tentatives de récupérer leur bien par voie judiciaire. Des entités publiques ont pris possession de plusieurs parcelles du terrain au fil des ans. Les autorités de Casablanca interdisent aux vendeurs ambulants les espaces jouxtant le souk.

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derb ghalef 2014 03 21

Les autorités du Grand Casablanca mènent la guerre contre les commerçants de Derb Ghallef. Du moins, une partie d’entre eux ! Depuis quelques jours, il est interdit aux vendeurs ambulants d’exposer leurs marchandises sur les trottoirs et autres espaces jouxtant la Jouteya. Si cette mesure est saluée par les riverains du célèbre souk, tant la circulation y était devenue pénible, elle rappelle cependant que le phénomène des deux poids deux mesures n’est pas près de disparaître au Maroc. En effet, le litige qui oppose les propriétaires des terrains occupés par la Jouteya à différentes entités publiques est encore loin d’être réglé. Pire, l’une des pistes envisagées aujourd’hui par ces propriétaires risque bien de devenir une équation insoluble pour les pouvoirs publics, le jour où ils décideront d’activer le projet de déplacement du souk. Selon les informations recueillies auprès des représentants des propriétaires, la possibilité de céder leurs droits sur le terrain aux commerçants est en effet envisagée. Des discussions directes sont même engagées avec ceux-ci. Si ces pourparlers devaient aboutir, les commerçants seraient indélogeables. Les propriétaires actuels du terrain affirment que c’est l’une des rares solutions qui leur restent après l’échec des tentatives de récupérer leur bien par voie judiciaire.

Un provisoire qui dure

Pour comprendre le problème, il faudrait remonter au début des années 1980, période où la Jouteya actuelle est née. A l’époque, elle n’était qu’une solution provisoire pour recaser quelques centaines de commerçants victimes de l’incendie qui a détruit, en 1982, l’ancienne Jouteya alors installée sur un terrain privé situé à environ un km de l’actuel emplacement. En tout, leur nombre ne dépassait pas 500, avant de se multiplier rapidement pour atteindre aujourd’hui plusieurs milliers (10 000 commerces, selon des estimations officieuses).

«A l’époque, les autorités de la ville se sont contentées de transmettre à certains d’entre nous une lettre de remerciements pour la mise à disposition du terrain au profit des commerçants alors qu’aucun accord dans ce sens n’a été signé», se rappelle l’un des propriétaires. Depuis, les commerces de Derb Ghallef occupent illégalement un terrain qui ne leur appartient pas, ni d’ailleurs à la commune urbaine du Maârif qui leur délivre les autorisations d’installation.

L’Etat et la commune du Maârif tirent profit du marché

D’après les informations recueillies auprès de certains commerçants, l’obtention d’une autorisation peut nécessiter jusqu’à 250 000 DH, incluant le montant effectif à verser à la commune et la commission des intermédiaires spécialisés en la matière. Et encore, ce n’est là qu’une autorisation «provisoire», les pouvoirs publics ont le droit de la suspendre quand bon leur semble. Pourquoi alors n’a-t-on pas fait jouer cette mention pour rendre le terrain aux propriétaires ? Difficile d’avoir une réponse officielle, les responsables de la commune sont restés injoignables.

Selon plusieurs sources au sein de la Jouteya, les autorités n’ont aucun intérêt à vider le terrain de ses occupants. En effet, jusqu’à très récemment, la commune percevait un loyer pour chaque commerce. Par la suite, ce loyer à été transformé en taxe communale, laquelle varierait de 50 DH à 100 DH par mois pour chaque commerce, selon sa superficie. A cela, il faut rajouter les recettes versées aux Impôts, car bien qu’il soit connu comme un havre de l’informel, Derb Ghallef contribue bien aux recettes fiscales. Les commerçants acquittent une taxe professionnelle forfaitairement de 500 à 1 200 DH, selon l’activité.

C’est dire que finalement, l’Etat tire également profit du marché, alors que les propriétaires ne perçoivent ni loyer ni redevance sur l’exploitation de leur terrain. Pire, certaines parcelles qui ne sont pas occupées par les commerces sont devenues des parkings, là encore loués par la commune. «Nous avons dressé, avec le soutien du wali de l’époque, un mur pour à la fois empêcher l’extension de la Jouteya et l’exploitation du terrain par les ferrachas et les gardiens de voitures. Après quelques jours, une partie du mur a été détruite et le parking est réapparu», explique un des représentants des propriétaires.

Le titre mère éclaté illégalement

C’est dire toute l’anarchie qui prévaut dans cette zone considérée comme un haut lieu du commerce de tout type de produits (électronique, téléphonie, habillement, accessoires, mobilier…) à Casablanca. Et encore, ce n’est là que la partie visible de l’iceberg. Car le problème de Derb Ghallef n’est qu’une conséquence d’une série de dérives qui ont conduit au morcellement illégal d’un terrain privé de 25 hectares (voir plan).

La parcelle objet du différend est identifiée par le titre foncier n° 4238d. C’est ce terrain qu’ont hérité les propriétaires actuels. Depuis la fin des années 70, une série d’événements a fini par éclater les 25 hectares en plusieurs titres fonciers, sans que les propriétaires ne jouissent de la totalité de leurs droits.

L’affaire a commencé dans un premier temps avec la décision du ministère de l’urbanisme, de l’habitat, du tourisme et de l’environnement de créer un lotissement pour des immeubles d’habitation. La direction des Domaines devait à l’époque se charger des opérations foncières nécessaires. Finalement, ce projet ne verra jamais le jour. En revanche, une procédure d’expropriation entamée pour la construction d’un Centre pédagogique régional a finalement débouché sur le morcellement du titre foncier mère et la création d’un nouveau titre foncier (29191), sans que l’ensemble des propriétaires ne soit indemnisé.

«A l’époque, ceux d’entre nous qui étaient dans le besoin ont accepté la proposition de l’Etat de leur verser une indemnisation de 200 DH/m2. Les autres ont intenté des actions en justice qui, plus de dix ans après, ont débouché sur une revalorisation du prix à 325 DH», explique le représentant des propriétaires.

Une deuxième partie du terrain a subi le même sort. Cette fois-ci, il s’agissait de construire une école primaire, à une différence près : aucune procédure d’expropriation n’avait été entamée. Sept ans plus tard, la circonscription des Domaines de Casa-Anfa entama des négociations avec les propriétaires alors que le nouveau titre foncier est déjà établi. S’en est alors suivie la construction d’un lycée, d’un institut de technologie appliquée et d’un dépôt communal. Ceci a été fait après un nouveau morcellement du titre mère pour la création du titre foncier 29190 sur lequel la Jouteya est sise aujourd’hui.

Autre décision tout aussi arbitraire, des logements ont été construits au profit de la direction de la Sûreté nationale à la fin des années 80 bien que les propriétaires aient obtenu une décision de la justice pour l’arrêt des travaux (une décision qui a finalement été déboutée par la Cour de cassation).

En fin de compte, le terrain initial de 25 hectares n’est plus que de quelques hectares que les propriétaires ne peuvent récupérer, soit parce que des parcelles sont exploitées illégalement (le cas du parking cité plus haut), soit parce qu’elles doivent être extraites du titre foncier mère. En somme, ne sont pas au bout de leur peine.