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Affaires

Les patrons croient encore au Grand Maghreb

Signature de l’initiative maghrébine du commerce et de l’investissement. Plus de 700 participants des 5 pays ont fait durant deux jours les constats d’échecs et identifié les pistes de réussite. Un plan d’action concret et à  court terme pour donner corps aux engagements pris à  Marrakech.

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patrons grand maghreb 2014 02 21

Faire le Maghreb par l’économie et le business en attendant que le politique suive. La thèse n’est pas nouvelle mais elle n’a jamais pu véritablement dépasser le stade de la théorie. Il y a 25 ans, à Marrakech, les chefs des cinq Etats du Grand Maghreb paraphaient ensemble l’acte de naissance de l’UMA. Mais depuis, rien. Entre-temps, et à plusieurs reprises, les opérateurs économiques, eux, ont essayé de réussir là où les hommes politiques ont échoué. Union douanière, banque centrale maghrébine, banque d’investissement, ce ne sont pas les idées ni les annonces qui manquent. Mais en termes concrets, il faut dire que le bilan est plutôt maigre pour ne pas dire nul. Avec tout cela, l’espoir ne semble pas être définitivement perdu. En tout cas, la communauté d’affaires du Maghreb y croit encore. Et c’est 25 années plus tard que les patronats des cinq pays se retrouvent à Marrakech, un bon présage, pour lancer une énième tentative. Cette fois-ci, il s’agit de ce qui a été baptisé Initiative maghrébine du commerce et de l’investissement (IMCI). Elle a été signée en marge du 3e forum des entrepreneurs maghrébins qui s’est tenu les 17 et 18 février avec pour thématique centrale «l’intégration économique, un pacte de prospérité partagée».
Et comme pour signifier leur volonté de ne pas dupliquer les échecs du passé, les communautés d’affaires des cinq pays ont tenu à donner un contenu pratique à leur initiative. Cette dernière est ainsi articulée autour d’un plan d’action clair avec un timing précis. A court terme, c’est-à-dire dans l’année qui vient, une première action déjà : la formation d’une task force composée des représentants des cinq patronats qui devra constituer l’embryon d’un Secrétariat permanent de l’Union maghrébine des entrepreneurs (UME) qui, lui, en revanche, ne devrait pas être opérationnel avant cinq ans. A ce niveau, il faut rappeler que l’UME, bien que créée en 2007 déjà, n’a eu en tout et pour tout à son actif que deux forums économiques. En attendant, les patrons ont pensé à mettre en place des groupes de travail, appelés aussi comités sectoriels et groupes d’experts, dédiés à des secteurs considérés comme clés dans la coopération. Quelques secteurs sont déjà retenus comme l’agriculture, l’énergie, les services et le tourisme, l’industrie, les technologies de l’information et télécoms ou encore les infrastructures et la logistique. Deuxième action rapide prévue, l’ouverture d’un bureau de liaison de l’UME à Bruxelles pour commencer avant d’en ouvrir d’autres à Riyad, Washington et Pékin. A cela, il faut ajouter d’autres actions envisagées comme l’instauration des tables rondes sectorielles à une fréquence de 3 à 4 fois par an, la première étant prévue en 2014 déjà, où encore l’harmonisation des outils et des démarches en matière d’évaluation et d’amélioration du climat des affaires dans le Maghreb.

L’Afrique de l’Ouest fait mieux

Avec tout cela, la question reste posée de savoir si l’on peut encore y croire, au regard de l’ampleur des échecs passés, de l’état comateux dans lequel se trouve l’UMA depuis sa naissance et du nombre incalculable des blocages, contraintes, freins, obstacles institutionnels de tout genre. D’ailleurs, leur enthousiasme ne fait pas oublier aux communautés d’affaires du Maghreb la complexité des problèmes sur le terrain qui font qu’aujourd’hui le Maghreb est classé comme étant la région la moins intégrée économiquement au monde. Les échanges entre les cinq pays ne dépassent guère les 3% en moyenne des échanges de chaque pays avec le reste du monde. C’est évidemment très médiocre quand on sait que ces taux d’intégration atteignent les 60 et 70% dans les pays de l’Amérique du Nord (Mexique-USA-Canada) et l’Union européenne ou encore 20% dans les pays du Mercosur (Amérique du Sud). Même les pays de l’Afrique de l’Ouest (UEMOA) font mieux avec un taux d’intégration respectable de 15%. Le constat est d’autant plus amer que, comme l’a si bien souligné la présidente de la CGEM en ouverture du forum, «les pays du Maghreb avaient tous les atouts et tous les ingrédients pour réaliser leur intégration mais ne l’ont pas fait». Un constat que partage parfaitement le patron de Bank Al-Maghrib, Abdellatif Jouahri, qui a lui-même, au titre des multiples responsabilités qu’il a occupées, pris part à une multitude d’initiatives qui n’ont donné que «très peu de résultats en 25 ans», conclut M. Jouahri.

Aujourd’hui, en lançant leur nouvelle initiative, les communautés d’affaires du Maghreb ne se font pas pour autant trop d’illusions à l’image du gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Chedly Ayari, et surtout du directeur du département Maghreb à la Banque mondiale, Simon Gray, pour qui, «même si le secteur privé est mieux placé pour identifier les opportunités, les freins et obstacles sur le terrain, rien ne pourra s’accomplir en matière d’intégration sans le politique».   

Mais le terme «politique» tel qu’utilisé par le secteur privé et tel qu’il se dégage des différentes interventions ne renvoie pas au sens strict du terme. En fait, les blocages qui semblent aujourd’hui porter le plus de tort à la construction maghrébine sont d’ordre institutionnel mais qui, évidemment, ne peuvent être levés sans des décisions et de la volonté politiques. Entre autres situations aberrantes qui se passent de tout commentaire, celle décrite de manière presque caricaturale par le directeur général de l’Administration des douanes, Zouhair Chorfi, lors d’un des ateliers thématiques. Il a expliqué comment un même produit marocain, par exemple, peut être admis sur le territoire tunisien sous différents régimes selon que les douaniers le placent dans le cadre de l’accord d’Agadir, ou celui des pays de la Ligue arabe ou encore les accords bilatéraux. Le comble de la désintégration : les pays du Maghreb, alors qu’ils ont ratifié tous les cinq les accords de grande zone de libre-échange arabe, ont décidé de faire table rase de tout et de discuter de leur propre zone de libre-échange. A cela, il faut ajouter la grande hétérogénéité des dispositifs douaniers, des procédures de contrôle, de la réglementation comme l’ont si bien souligné durant les travaux d’ateliers les interventions de consultants, d’experts, de chefs d’entreprises…
En définitive, et pour ne pas se voiler la face, il faut reconnaître qu’au vu des avancées réalisées dans d’autres blocs économiques à travers le monde, le Maghreb est en mauvaise posture voire dans le peloton de queue. L’initiative des patrons maghrébins apporte, certes, une lueur d’espoir et constitue probablement la dernière chance pour les pays de la région à condition, toutefois, que les politiques décident eux aussi de s’y mettre sérieusement…