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Idées

Ces pendules qu’il faut remettre à  l’heure

En début de semaine, sur un ton furibond ou narquois, plusieurs éditorialistes de la presse nationale ont cloué au pilori le ministre El Guerrouj.

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Hinde TAARJI 2013 10 04

En début de semaine, sur un ton furibond ou narquois, plusieurs éditorialistes de la presse nationale ont cloué au pilori le ministre El Guerrouj. Sa décision de reporter d’un mois, à quelques heures du moment où celui-ci devrait avoir lieu, le retour à l’heure GMT, a été accueillie par une totale incompréhension. «C’est à vous dégoûter de regarder votre montre», s’est emporté un éditorialiste d’un quotidien, concluant avec sévérité qu’«il est important que certaines pendules soient remises à l’heure pour trouver le bon ton au… temps». Un site électronique a ironiquement titré : «El Guerrouj, ministre GMT, détient le record du monde du changement d’horaire», il a fait dans la satire avec une plume trempée dans le vitriol. «A ce rythme, raille-t-il, ce ne sont pas seulement les vaches qui sont perturbées dans leur cycle laitier mais nous autres, vaches à lait, plus communément appelés contribuables, dont les impôts servent à payer les décisions loufoques de nos ministres». On l’aura compris, ce n’est pas le report en lui-même qui a créé la consternation mais cette annonce faite in extremis, créant une belle pagaille chez les entreprises qui avaient réglé leurs machines en fonction du nouvel horaire comme chez les voyageurs en partance qui ne savaient plus à quelle heure se vouer. Les justificatifs avancés a posteriori par le ministre n’ont fait que l’enfoncer davantage. Quand on commet une telle bourde, mieux vaut se taire et faire profil bas en attendant que l’orage passe. Mais non, le gouvernement Benkirane a éprouvé le besoin de pousser le ridicule jusqu’à brandir l’argument suprême «des intérêts supérieurs de la nation». Rien que cela ! Le communiqué publié par le département concerné explique, en effet, que la décision de maintenir l’horaire d’été jusqu’au 27 octobre a été prise de «manière urgente en raison de ses retombées positives sur l’économie nationale et répond aux intérêts supérieurs de la nation». Ainsi, ce n’est donc qu’entre le 24 septembre, date à laquelle il a ordonné la fin de l’heure GMT+1 et le 28 septembre, celle à laquelle il est revenu sur sa décision que le ministre a réalisé «les retombées positives» de cette heure d’été. Et que, sur le fil du rasoir, à quelques heures à peine du retour à l’heure GMT, il s’est empressé de surseoir à sa décision initiale afin de sauvegarder les «intérêts suprêmes de la nation». Heureusement que le ridicule ne tue pas !
Qu’on soit bien d’accord : il y a plus grave et les Marocains ont d’autres chats à fouetter que de se prendre la tête pour une heure rajoutée ou retranchée. Mais cette énorme bévue dont on se demande comment elle a pu être possible, outre le sidérant amateurisme et manque d’anticipation dans la gestion de la chose politique dont elle est le signe, est révélatrice au moins de deux choses : de l’inexistence quasi absolue du citoyen dans l’esprit de certains politiques comme celle du peu de poids qu’ils confèrent à la valeur temps.
Il y a fort à parier que le gouvernement Benkirane ne s’attendait pas à ce que cette décision de dernière minute suscite un tel raffut. Pour des raisons que l’on ignore, celle-ci a été prise dans l’urgence. Or, sans aller jusqu’à révéler les vraies causes de ce changement soudain, au lieu de s’excuser auprès du citoyen pour les désagréments que ce report a pu occasionner à certains d’entre eux, les responsables lui avancent des explications oiseuses, prenant, comme le dit l’expression populaire, les enfants du Bon Dieu pour des canards sauvages ! Eh ! messieurs du gouvernement, réveillez-vous, le citoyen marocain, ça existe, il a une cervelle, il pense et il n’aime pas beaucoup qu’on le prenne d’abord pour de l’argent comptant, ensuite pour un imbécile ! Il serait temps de commencer à le réaliser et à en tenir compte.
Maintenant, à côté de «l’oubli» du citoyen, un autre facteur, culturel cette fois-ci, a joué dans cette histoire, celui de ce rapport désinvolte au temps dont les méfaits font notre quotidien. Ce report de dernière minute sans explication valable relève du même comportement que ces rendez-vous auxquels on ne vient pas sans prendre la peine de s’excuser, ce non-respect pathologique de la ponctualité qui fait s’accumuler les retards au mépris et des individus et de la productivité, ce sentiment, au final, que le temps n’est pas important et qu’on peut l’étirer à l’infini sans conséquence particulière. Une heure de plus, une heure de moins, quelle importance ? Prévenir à la dernière minute, et après ? Personne ne va en mourir ! Sauf que ce temps qu’on méprise et avec lequel on joue, eh bien, à terme, il se venge en vous faisant la nique. Il file et vous laisse en plan. Après, on se prend la tête pour se demander comment le rattraper. Mais, comme on dit aussi,  l’heure, c’est l’heure et après l’heure, ce n’est plus l’heure !