Culture
«Walou» : des existences emmurées
En représentation par la troupe Garajay les 24 et 25 mai au Garage TserfeQ à Casablanca, la pièce «Walou» met en scène le suicide et un héroïsme posthume que le personnage central préfère à une vie anéantie par le vide et le totalitarisme.

Un lit carré, un garage carré, un monde carré, sans issue à l’horizon… hormis celle dont la vie est le prix à payer. La mort choisie. Le suicide. Ne cherchez pas, vous regardez la pièce Walou, mise en scène par Ghassan El Hakim, où vous connaissez d’emblée le sort du protagoniste. Tout n’est plus qu’une question de temps.
Walou commence ainsi. Le personnage principal, Abdellah Walou, quitte son lit avec la décision de se suicider. Il y revient à la fin de la pièce pour retrouver une mort choisie. Entretemps, c’est en pleine nuit qu’il a réveillé sa femme par une envie de saucisson qui le prend. Sur un coup de colère après une scène de ménage, il décide fatalement de mettre fin à sa vie. Voisins et entourage tenteront tant bien que mal de l’en dissuader. A ce moment-là, Abdellah Walou se rend compte de l’anonymat effroyable dans lequel sa vie est murée. Il imagine alors toute la gloire posthume que lui coûtera son acte. Combien de gens auront son nom sur les lèvres ? Combien parleront de lui, bien ou mal n’est pas son souci, mais ils évoqueront au moins sa personne. Finalement, l’intérêt des autres personnages à Abdellah Walou n’a été suscité que par sa décision de suicide. Loin d’être un élément dissuasif pour notre héros, cet intérêt inhabituel lui est paru alors une arme de détermination dans son jusqu’au-boutisme suicidaire. Du début jusqu’à la fin de la pièce, on est immergé dans une ambiance de non-rire et submergé par la fatalité du déroulement des faits.
L’angoisse n’est toutefois pas une fin en soi, dans la pièce. L’acte suicidaire du héros l’est encore moins. A travers Walou, Ghassan El Hakim revisite Le Suicidé, texte du dramaturge et cinéaste russe Nicolaï Erdman. Plus que cela, il pousse la réflexion et dit l’ambivalence de l’hypocrisie dont les individus en société sont faiseurs et victimes en même temps. Le suicide étant personnifié dans la pièce comme un des affres de l’ignorance des uns infligée aux autres et à soi-même. L’objectif est clair. Il est grand temps de faire sortir l’art de sa fonction de divertissement pour le divertissement. A sa manière, Ghassan El Hakim propose un art indissociable de l’espace-temps et donc de l’espace social. Un espace où la création a une fonction critique et donc citoyenne, puisque la citoyenneté est également le fait de questionner son environnement dans une démarche de déconstruction.
C’est d’ici qu’est née justement l’idée de réaménager un garage en un espace de création libre et indépendante. Cet espace s’appelle désormais Garage TserfeQ. Si vous avez raté la représentation d’hier, vous pouvez aller y voir aujourd’hui et demain soir cette pièce, Walou, recentrée sur un questionnement brechtien comme rare réussi de nos jours.
«Walou», mise en scène de Ghassan El Hakim.
