Idées
Mac Luhan avait raison
Les discours xénophobes enflent sur « l’invasion musulmane » au point que même des pays, tels les Pays-Bas par exemple, dont la tolérance a longtemps constitué la marque de fabrique, durcissent leur regard sur cet « autre » qui, dans cette partie du monde, est désormais personnifié par le croyant en Allah et Mohammed.

Pour la huitième année consécutive, la plage d’Agadir a accueilli récemment son «concert pour la tolérance». Organisé conjointement par une association marocaine et des chaînes de télévision françaises, cet événement musical, suivi sur place par quelque 200 000 Marocains et, à l’international, par pas moins de 30 millions de téléspectateurs, promeut la diversité et le respect d’autrui en même temps qu’il constitue une belle opération de communication pour le Maroc, que la carte de visite présente comme «une terre de tolérance et de dialogue des cultures». Ah, la tolérance ! Quelle belle tarte à la crème que voilà ! Jamais cette notion n’a autant été à la mode. On monte autour d’elle des festivals, on lui dédie colloques, rencontres et tables rondes et on la sacre comme jamais. Sauf que c’est comme pour la démocratie, chacun l’accommode à sa manière. Quant à ce qu’on met dedans, c’est une autre histoire. Et cela peut même aboutir à des choses tout à fait drôles. Ainsi, par exemple, dans le cadre de ce concert pour la tolérance auquel ont pris part toute une brochette d’artistes étrangers. Parmi ces derniers, la chanteuse française Jennifer. Invitée à dire ce que la notion de tolérance évoque pour elle, Jennifer a fait référence à l’homosexualité. Et à la nécessité de lutter contre la stigmatisation dont celle-ci continue à faire l’objet de par le monde ! Alors, bien sûr, on rit un bon coup en se demandant si la chanteuse envoie une pique ou si elle parle sans arrière-pensées, dans l’ignorance absolue de notre législation en la matière. Dans tous les cas de figure, on a envie de lui dire que c’est cela la tolérance à la marocaine. On monte des concerts hautement médiatisés autour de cette notion mais, dans le même temps, l’homosexualité est un délit puni par la loi, les homos sont considérés comme des pervers que l’on montre du doigt et jette en prison tout comme les «mécréants» mangeurs de Ramadan ou les amoureux qui font bisou-bisou sans l’autorisation des adouls.
Maintenant, plus sérieusement, cet intérêt appuyé pour la tolérance n’est pas pour étonner. La tolérance est à l’ordre du jour car le jour est à l’ordre de l’intolérance. Autour de nous, celle-ci enfle à devenir une vague monstrueuse qui menace de tout briser sur son passage. L’intolérance s’affiche, s’affirme, se revendique. Avec elle, le racisme, la xénophobie, le rejet et le mépris de l’autre qu’on ne prend même plus la peine de parer d’une feuille de vigne. C’est cela, aujourd’hui, le temps dans lequel nous vivons, un temps où l’autre redevient l’ennemi alors même que jamais il n’a été aussi proche, alors même que jamais les univers ne se sont autant interpénétrés. Mais justement, c’est en raison de cette proximité nouvelle, du fait de ces frontières qui tombent et rendent plus aisée la circulation des êtres et des idées que l’intolérance prend de telles proportions. Parce que l’intolérance au fond, qu’est-ce d’autre sinon une peur irrationnelle de l’autre ? Et cette peur de l’autre a grandi au fur et à mesure que le monde est devenu ce village global prédit dès les années 70 par Marshall Mac Luhan, le théoricien canadien de la communication. Dans ce monde d’aujourd’hui où tout est connecté, où les modes de vie s’entrechoquent, où les pensées et les valeurs se confrontent, la peur de la dilution s’empare de tous. En Occident où l’islam a affirmé sa présence jusqu’à devenir, parfois, la deuxième religion (France), on craint pour l’identité nationale, à composante judéo-chrétienne. Et les discours xénophobes enflent sur «l’invasion musulmane» au point que même des pays, tels les Pays-Bas par exemple, dont la tolérance a longtemps constitué la marque de fabrique, durcissent leur regard sur cet «autre» qui, dans cette partie du monde, est désormais personnifié par le croyant en Allah et Mohammed. La réponse du berger à la bergère se fait par l’entremise de l’extrémisme musulman. Et c’est, inversé, le même discours qui prévaut. Là aussi, que défend-on d’autre sinon l’identité musulmane menacée ? Après la colonisation des terres, l’Occident s’attaquerait désormais à la colonisation des esprits par l’exportation de ses «mœurs dévoyées». Résultat : une intolérance qui flambe partout, tant chez soi que chez l’autre.
Il y a 40 ans, Mac Luhan avait décrit ce village global que les nouvelles technologies de l’information allaient forger. Il avait évoqué les contrecoups de la mondialisation, de ce que celle-ci allait favoriser en matière de repli sur soi, avec l’extension des comportements tribaux et de l’esprit de clocher. L’homme s’est montré visionnaire : c’est ce que nous vivons aujourd’hui.
